Site icon La Revue Internationale

Inégalités: de quoi parle-t-on au juste?

[image:1,l]

Les chiffres ont de quoi donner le tournis. Quelques exemples, piochés ici et là : en 2010, les patrons des entreprises du CAC 40 n’ont pas trop subi la crise, puisque Michel Rollier, PDG de Michelin, recevait un salaire annuel – sans compter les stock-options et autres dividendes perçus au cours de cette année – de 4 500 000 euros, soit l’équivalent de 349 années de Smic ; et, Franck Riboud, PDG du groupe Danone, n’émargeait lui « que » à 341 années de Smic.

Les sportifs médiatiques de très haut niveau n’ont pas été en reste : Franck Ribery, Tony Parker et Karim Benzema ont perçus en 2011 des revenus annuels dépassant les 11 millions d’euros, soit plus de 800 fois le Smic annuel ! Mais ils jouaient à l’étranger. Le sportif français le mieux payé jouant en France, Yoann Gourcuff, n’a été rémunéré annuellement « que » l’équivalent de 500 années de Smic.

Il existe trois grandes formes d’inégalités économiques : les inégalités de revenus, de salaires et de patrimoines

Concernant les stars des arts et des spectacles, Dany Boon, toujours en 2011, a gagné 7,5 millions d’euros, et François Cluzet, 3,1. Bon, nous sommes cependant encore loin des revenus étrangers ; à titre de comparaison, Oprah Winfrey, star de la télévision américaine, a touché quant à elle… 16 700 années de Smic français !

Mais sans aller à de tels extrêmes, si l’on s’arrête au salaire moyen des « très hauts salaires » en France, c’est-à-dire au salaire perçu par les 1 % de salariés à temps complet les mieux rémunérés, il s’élève quand même à 215 700 euros. Les 133 000 personnes correspondantes ont donc en moyenne gagné 7 fois plus que le salaire moyen de l’ensemble des salariés à temps complet du secteur privé (soit 32 000 euros annuels).

Nous vivons dans un monde inégal, comme le montrent quelques-uns des écarts que nous avons ici mis en exergue. Pour autant, peut-on affirmer que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes ? Pour le savoir, il va falloir nous intéresser aux trois grandes formes d’inégalités économiques existantes : les inégalités de revenus, de salaires et de patrimoines. 

Ne pas confondre richesses et revenus

Les analyses relatives aux inégalités consistent le plus souvent à comparer les écarts de richesses existant entre les individus. Or il est courant de confondre richesses et revenus. Qu’est-ce que la richesse ? C’est l’ensemble des actifs, physiques ou financiers, détenus par un individu. Les actifs physiques correspondent aux immeubles, maisons, terrains, voitures, tableaux, meubles, bijoux possédés ; tandis que les actifs financiers se rapportent aux titres (actions, obligations…) détenus, et aux actifs présents sous forme liquide (pièces, billets, et surtout dépôts à vue) placés sur des comptes d’épargne ou non. 

Ces actifs peuvent avoir été acquis à la suite d’un héritage, d’un gain à un jeu de hasard tel que le loto, et aussi et surtout, grâce aux revenus touchés en contrepartie d’une participation directe ou indirecte à l’activité économique. Richesses et revenus ne sont donc pas deux termes synonymes. Quelqu’un ayant gagné un revenu élevé et l’ayant dilapidé en soirées festives dispendieuses n’est pas économiquement riche – quand bien même on peut trouver sa vie préférable à celle d’un individu au revenu équivalent et limitant strictement ses loisirs. 

On peut à l’inverse être riche grâce à un héritage, sans avoir nécessairement jusqu’alors eu de hauts revenus. Pour comparer les richesses, on devrait donc comparer les patrimoines. Ces comparaisons existent et nous allons les présenter, mais ce ne sont pas celles auxquelles on se réfère le plus souvent pour mesurer les inégalités. Les différences de revenus sont ainsi privilégiées, peut-être et sans doute parce qu’elles « nous parlent » plus

Les inégalités de revenus sont plus fortes que les inégalités de salaires

Si l’on met de côté les revenus de transfert qui sont versés par le système de protection sociale, les revenus reçus en contrepartie d’une participation directe ou indirecte à l’activité économique sont au nombre de trois. Il y a d’abord les revenus salariaux, principalement sous forme de salaires et de primes.  

Rappelons que 90 % des travailleurs sont des salariés, et que par conséquent les comparaisons de salaires sont celles qui concernent le plus grand nombre des actifs. Mais les revenus ne s’arrêtent pas aux salaires ; les indépendants touchent des revenus mixtes, appelés ainsi parce qu’ils rémunèrent à la fois le travail qu’ils ont réalisé, mais aussi le fait qu’ils possèdent, à la différence des simples salariés, le capital qu’ils utilisent. Ils sont donc rémunérés en tant que travailleurs et en tant que capitalistes. 

Enfin, les revenus comprennent aussi les revenus du patrimoine, qui sont les revenus perçus en échange de la possession d’un actif financier – c’est le cas pour les dividendes, les plus-values ou les intérêts – ou d’un actif corporel – comme les loyers des terrains loués. Ce qu’il faut comprendre, c’est que calculer les inégalités de salaires ou de revenus ne revient pas exactement au même. 

En fait, historiquement, les inégalités de revenus sont supérieures aux inégalités de salaires, car les revenus les plus bas sont inférieurs aux salaires les plus faibles – le RSA est plus bas que le Smic par exemple. Et les revenus les plus hauts sont supérieurs aux salaires les plus hauts, car le plus souvent les salaires les plus élevés donnent accès à des actifs financiers qui à leur tour génèrent des revenus du patrimoine. Le patrimoine est donc un stock qui mesure une richesse, alors que le revenu – dont les salaires ne sont que l’une des composantes – est un flux, qui peut éventuellement permettre d’alimenter ce stock et donc la richesse !

> Consultez d’autres articles du même auteur sur le site d’Économie Matin

Quitter la version mobile