Site icon La Revue Internationale

La presse allemande arrivera-t-elle à faire payer Google?

2443884255_919eb4c0f2_z.jpeg2443884255_919eb4c0f2_z.jpeg

Fabrice Boé s’interroge sur le sens du projet de loi allemand défendu par la fédération des éditeurs de journaux d’outre-Rhin, qui viserait à contraindre Google, ainsi que tous les agrégateurs de flux, à verser des rémunérations aux journalistes et aux éditeurs de presse dont les contenus sont reproduits. 

[image:1,l]

Faire payer Google constitue le rêve avoué de nombreux acteurs des médias

Mêlant raisonnement construit et addition de motifs plus passionnels, capables de fédérer dans une lutte anti-Google des acteurs qui, d’ordinaire, ont bien peu de motifs de se rapprocher, les éléments à charge contre le géant de Mountain View sont aussi divers que :

–  son insolente prospérité, qui jure avec la paupérisation de l’univers des médias et irrite sérieusement ses dirigeants,
–  sa nationalité américaine,
–  sa prétention à se mêler de culture...

Les médias ne manquent pas de griefs envers Google

Des motifs plus objectifs ont permis d’étayer les récriminations des médias et des politiques contre Google, notamment :

–  son hégémonie de nature anticoncurrentielle sur le marché publicitaire,
–  sa quasi-absence d’imposition en France (y compris par le biais de la TVA),
–  sa propension à reprendre, via le moteur de recherche ou via Google News, des contenus journalistiques sans jamais payer de droits.

Les précédentes tentatives de contrer Google ont été souvent soldées d’échec

Depuis plusieurs années les dirigeants européens, poussés par l’industrie des médias, ont cherché à freiner Google… et à ponctionner son trésor.

Google a beau avoir tenté de donner des gages (inaugurant par exemple en France un centre de recherche et même un  « centre culturel », agrandissant son siège, etc…), rien n’y a fait et la hache de guerre est restée déterrée.

La France avait ouvert la voie et inventé une taxe sur la publicité en ligne, très politiquement baptisée « taxe Google », qui a fait long feu (elle avait plus de chance d’handicaper les acteurs français que de toucher sa cible…).

Nicolas Sarkozy, durant sa campagne, avait voulu reprendre le thème mais, étonnamment, c’est d’Allemagne que vient de partir le coup le plus sérieux.

[image:2,l]

Les Allemands veulent s’attaquer au géant de Mountain Valley

Le gouvernement allemand va proposer au Parlement de ratifier une loi imposant aux agrégateurs d’informations de payer des droits d’auteur.

Immédiatement, le principal syndicat de presse en France, le SPQN, a demandé à la ministre de la Culture de rédiger un projet similaire.

Il m’est impossible de savoir si ces lois, qui n’en sont qu’au stade de projets, verront le jour et seront jugées conformes au droit européen. Les lobbyistes et avocats sont déjà à l’oeuvre, et la lutte promet d’être acharnée.

Quelques commentaires personnels, cependant.

Google ne sait pas s’auto-limiter

Google, tout d’abord, a été bien peu habile dans sa manière de faire en Europe.

À vouloir maximiser ses gains, certes en respectant les lois, Google a poussé l’optimisation fiscale au-delà de ce que la raison et la morale commandent.

La France, par exemple, est un pays qui, selon différentes estimations convergentes, rapporte plus d’1 milliard d’euros au groupe, mais, officiellement, sa filiale ne réalise en France stricto sensu que quelques dizaines de millions d’euros de CA avec des effectifs réduits (au moins jusque fin 2011) et une poignée de millions de bénéfice. Elle ne verse vraisemblablement que ridiculement peu au fisc français.

Il a fallu beaucoup de pression pour que le groupe se décide enfin à investir en France et encore, diront certains, modérément et sans rien changer de son impeccable schéma d’optimisation fiscale pour ses revenus publicitaires. Notons que, de ce point de vue, Microsoft a toujours été plus habile pour apparaître comme une entreprise citoyenne.

Les médias maintiennent leur influence

Les médias, eux, conservent une proximité avec les pouvoirs politiques qui leur permet de faire entendre leur voix, bien au-delà de leur poids économique réel.

C’est vrai en France, mais en Allemagne également où le poids de Springer et Bertelsmann est évalué avec respect par le gouvernement. On aurait tort de l’oublier.

Le match devrait plutôt se dérouler sur le terrain

Sur le fond, il me semble difficile de reprocher à Google le succès le son modèle et sa puissance sur le marché publicitaire : les médias n’avaient qu’à être plus actifs et moins conservateurs, ils lui ont laissé un boulevard et n’ont pas su défendre leur pré carré, en tout cas en matière publicitaire – l’initiative de plate-forme La Place Média arrive bien tard.

Ils ont fait des progrès en matière d’information, et l’audience des sites d’information issus des marques de presse est aujourd’hui remarquable, alors que celle de Google News... a quitté le Top 10.

Un combat perdu d’avance ?

Ne nous y trompons pas, en imposant des droits sur la reprise de contenus journalistiques par Google News, il y a certainement matière à un beau combat de principe, dont les journalistes se réjouiront, mais :

– celui-ci est loin d’être gagné : Google se défendra et il n’est pas légalement évident que citer des articles soit attentatoire au droit d’auteur,

–  le produit de cette taxation sera extrêmement limité. Il serait intéressant de l’évaluer : en effet l’archimajorité des revenus de Google ne provient pas de ce service,

–  les articles repris par Google renvoient sur les sites des journaux et leur apportent du trafic. Que va-t-il se passer pour les sites des médias si Google décide de limiter ce service ?

–  par ailleurs, qu’en sera-t-il des autres agrégateurs de contenus, notamment les sites français d’information indépendants qui eux-mêmes reprennent les contenus de confrères, sans probablement avoir les moyens de les rémunérer ?

La complexité de la mise en œuvre d’une loi de taxation

Il est évidemment juste que les droits soient payés par ceux qui utilisent les contenus, c’est le principe même du droit d’auteur.

La mise en oeuvre du principe est cependant d’une grande complexité s’agissant d’articles qui renvoient sur l’émetteur lorsqu’on les ouvre : que doit payer dans ce cas l’agrégateur ? Et combien ?

Le véritable enjeu : localiser la fiscalité

Le vrai enjeu (et de taille !) me semble plutôt de réussir à ce que les entreprises du web, qui par nature ne connaissent pas les frontières, paient des contributions (de quelque nature que ce soit) dans les pays où sont générés leurs revenus.

Avec Google, on en est très loin, à un point qui est moralement et économiquement choquant.

La matière a toujours semblé tellement complexe, qu’à ce jour, personne n’a trouvé la solution, n’y aurait-il pas aujourd’hui un fiscaliste dans la salle ?…

Quitter la version mobile