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Le droit du travail, plus bafoué que jamais en Chine

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Une dizaine d’ONG forcées de fermer

Pas facile de défendre les droits du travail en Chine. Au moins une dizaine d’ONG de défense des travailleurs ont ainsi été expulsées ou forcées de fermer leurs bureaux dans la ville de Shenzhen, au cœur de la Chine manufacturière. Les propriétaires de leurs locaux auraient subis des pressions des autorités.

Le siège d’une organisation vandalisé sous les yeux des forces de police

Le dernier incident remonte au jeudi 30 août après-midi. Des employés de l’organisation Little Grass Center for Migrant Workers (Petit Coin de Verdure pour les Travailleurs Migrants) ont été expulsés de leurs locaux par une douzaine d’hommes qui se sont avérés avoir été payés. Ils ont cassé les vitres et la porte d’entrée des bureaux, devant les forces de polices sans que celles-ci n’interviennent. L’entreprise a publié sur son site internet une vidéo de l’événement.

Sans « Hukou » les travailleurs perdent leurs droits

À Shenzhen, une ville dynamique de plus de 15 millions d’habitants, près de 12,8 millions de personnes ne disposent pas de Hukou, le passeport intérieur certifiant leur domiciliation dans la ville et leur permettant d’accéder aux services publics tels que la sécurité sociale ou la retraite. La plupart sont des travailleurs immigrés. Une main-d’œuvre intéressante pour les entreprises car non protégée par le droit du travail ou la justice locale.

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Une manipulation des autorités ? 

La répression qui pèse sur les ONG de défense des travailleurs surprend beaucoup. Ces incidents surviennent alors que la province de Guangdong, à laquelle appartient Shenzhen, était sur la voie d’un renforcement du droit du travail, notamment par l’augmentation du salaire minimum et l’encouragement à la création d’ONG pour représenter les travailleurs. « Nous étions très excités au début. Nous pensions qu’il y aurait plus de place mise à disposition des ONG […], mais la pression exercée sur les organisations a soulevé un nombre important de questions sur les réelles intentions de la province », raconte Chen Mao, un représentant de Schenzhen Migrant Workers Center ( Centre des travailleurs migrants de Schenzhen), une des ONG expulsées. Depuis l’expulsion de Little Grass, ses membres et leurs familles ont été questionnés à plusieurs reprises par des officiers de police en civil et au moins un des travailleurs ayant aidé le groupe à chercher un nouveau local a été emprisonné à domicile puis poussé par les forces de l’ordre à quitter la ville.

Les employés avaient conscience du danger

Les membres du groupe avaient conscience de la possibilité d’une expulsion. La veille, l’une d’entre eux témoignait sous couvert d’anonymat : « Nous nous sentons très vulnérables […], ils peuvent utiliser n’importe quelle raison légale, voir même engager des mercenaires nous chercher, si ils veulent vraiment nous obliger à fermer. ». Durant les deux derniers mois, la propriétaire des locaux de l’organisation s’était montrée très insistante : « Je pouvais voir qu’elle était terrifiée », raconte la jeune femme. « Elle nous a beaucoup soutenus par le passé, mais soudainement elle a commencé à nous accuser de mener des activités antigouvernementales, disant que nous étions Falun Gong – un groupe spirituel supprimé par le gouvernement – et ce genre de choses. ».

L’ONG a été menacée directement par les autorités

Quelques semaines avant l’expulsion du groupe, des agences gouvernementales ont menacé Little Grass d’une amende de 50 000 yuan (6 268 €) pour non-respect de règles de sécurité, mais ont sous-entendu que si les employés retiraient leurs noms à l’entrée de l’immeuble et envoyaient une lettre annonçant la fermeture de l’organisation, la dette serait oubliée. Dans le même temps, trois des six employés de Little Grass ont été expulsés de leurs appartements. L’un d’entre eux explique : « Ma propriétaire m’a conseillé de ne pas utiliser mon vrai nom la prochaine fois que je chercherai un appartement car il a été mis sur une liste noire ».

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L’ONG Spring Breeze Center, victime du même type de menaces

Zhang Zhiru, 38 ans, qui est originaire de la province de Hunan et dirige le groupe Spring Breeze Center for Migrant Workers (Brise de printemps pour les travailleurs migrants), nous a signalé le même type de pratiques. Affirmant que trois des bureaux de l’ONG ont été fermés de force ces derniers mois. L’un d’entre eux avait été menacé d’amendes pour de présumées violations des règles de sécurité anti-incendie

Une protection sociale minimale, voire inexistante

Depuis qu’il a commencé à travailler dans les usines mobilières de Shenzhen en 2004, Song Wenhai, un ouvrier originaire de la province de Hubei, a perdu l’extrémité de son index lors d’un accident de scie et s’est cassé une hanche en tombant depuis une pile de planches plus haute que la loi ne l’autorise. La chute l’a empêché de travailler pendant un an. Dans ces deux cas, il dit ne pas avoir été dédommagé correctement. Pour le doigt perdu, il a reçu 377 euros, et toujours rien pour sa hanche. Durant sa période de convalescence, l’entreprise ne l’a payé que 113 euros par mois – le salaire minimum. 

Les licenciements abusifs de plus en plus fréquents

Song et son ami Wu Baozhi, un travailleur quadragénaire originaire de la province de Henan, disent avoir été aidés par le Shenzhen Migrant Workers Center, mais, pour Wu, la situation est différente. Il dit avoir été victime d’une série de licenciements l’année dernière – quatre en tout – dans des usines l’ayant employé jusqu’à la veille de sa période probatoire puis licencié dans le cadre de plans de « licenciements stratégiques ». Les deux hommes disent avoir tenté de faire appel à la justice, aux institutions gouvernementales et à la Fédération chinoise des syndicats (ACFTU) – la seule union syndicale légale en Chine – pour tenter d’obtenir réparation, mais en vain. « Nous sommes allés voir l’union syndicale, mais ils ne nous aident pas », déplore Song avant de continuer : « L’union syndicale est comme un vase, juste une décoration sur une table ».

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Les travailleurs temporaires représentent près de 10% de la force de travail

L’utilisation d’agences d’intérim a explosé grâce à des failles de la Loi sur le Contrat de Travail, entrée en application en 2009, soulignent les observateurs. L’ACFTU estimait ces travailleurs à 60 millions en 2010Zhang, directeur de Spring Breeze, parle d’un chiffre plus proche de 70 millions aujourd’hui. Un chiffre qui placerait les travailleurs temporaires à 10 % de la force de travail totale. Engager des travailleurs temporaires via les agences d’intérim permet à de nombreuses entreprises de contourner les contraintes imposées par un contrat de travail classique, comme ne pas pouvoir licencier les travailleurs jusqu’à six mois après leur embauche sans frais ou encore être contraint de payer un salaire minimum.

Trop de lois, pas assez appliquées

« La Chine crée trop de lois, mais ne les fait pas appliquer », explique Zhang. « Les entreprises tirent avantage des failles juridiques des lois, trop nombreuses. Je pense qu’ils devraient se débarrasser des agences d’intérim » qui obligent les travailleurs à cumuler deux emplois. Les lois seront révisées cet été, mais même les employés des agences d’intérim pensent que cela ne changera rien. Pour Zhao Jiawen, président de Shenzhen Jincao HR Information Advisory Service Company, une des trois plus importantes entreprises d’intérim à Shenzhen, la mise en place de nouvelles restrictions dans son secteur d’activité ne touchera que les petites sociétés. Les plus importantes s’adapteront.

Renforcer le droit du travail ne changera rien

Les faits semblent lui donner raison. Dix des clients de Shenzhen Jincao ont déjà anticipé ces changements en faisant sous-traiter certaines de leurs opérations – ressources humaines, travail de bureau et même certaines tâches spécifiques de manufacture – par l’agence directement. Ce fonctionnement change la donne. Les travailleurs ne sont plus employés par des entreprises différentes, mais par une seule et même firme qui loue les services de ses employés. Ils ne sont donc techniquement plus des intérimaires.

Le système est verrouillé 

Pour obtenir un emploi dans la plupart des entreprises, il faut passer par les agences d’intérim. Zhang, le directeur de Spring Breeze, voudrait mettre un terme à l’activité de ces firmes. En novembre 2011, il a voulu participer aux élections municipales, mais a dû renoncer à sa campagne sous la pression des autorités. « Je n’étais même pas autoriser à mener ma campagne, […] je collais mes affiches et les autorités les retiraient en me disant que je n’étais pas  » autorisé à faire de la publicité pour ma candidature « . », raconte Zhang. Dans le compté de Dalang où Zhang vit, seulement 6 900 des 350 000 habitants possèdent un hukou. Sur les 60 000 habitants qu’il aurait représentés, seulement 797 ont le droit de voteUn système verrouillé.

 

Global Post / Adaptation Stéphan Harraudeau – JOL Press

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