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Les réformes de Peter Hartz ont-elles sauvé l’Allemagne?

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On oublie souvent que l’économie allemande était, jusqu’à peu, en très mauvaise santé.

Les miraculeuses réformes de Peter Hartz

Il y a dix ans ce mois-ci, Peter Hartz, directeur du personnel du groupe Volkswagen, intervenait lors d’une conférence pour faire le bilan du travail d’une commission censée trouver des solutions pour que l’Allemagne retrouve le chemin de la croissance.

Les propositions de cette commission composée de quinze membres étaient destinées au chancelier Gerhard Schröder, alors au pouvoir. Elles préconisaient la réforme complète du système du travail et du système de protection sociale.

Les propositions de réformes de Peter Hartz sont rapidement devenues le cœur de l’ambitieux programme du chancelier allemand, destiné à moderniser une économie devenue poussiéreuse. Ces réformes ont largement divisé l’opinion publique et ont fini par coûter son poste à Gerhard Schröder. Mais ils sont nombreux à croire encore aujourd’hui qu’elles ont finalement été cruciale pour transformer le destin économique de l’Allemagne.

L’Allemagne, quand elle était encore le pays malade de l’Europe

Aujourd’hui, Berlin implore le reste de l’Europe de libéraliser son marché du travail. Toutefois, les conséquences de ces réformes sont encore mitigées, une décennie plus tard. Si certains estiment que les mesures Hartz ont revigoré un marché du travail sclérosé et réduit le chômage, d’autres pensent que leur seul héritage s’est traduit par une explosion des bas salaires et une augmentation des inégalités sociales.

En 2002, l’Allemagne était toujours en train de se démener avec les coûts induits par l’effondrement de l’économie de l’Allemagne de l’Est, au point qu’elle était alors considérée comme « le malade de l’Europe ». « Par rapport à d’autres pays européens, l’Allemagne a été en mauvais état pendant un très long moment », explique Ralf Wilke de l’université de York. « Elle a toujours été moins performante en termes de croissance et de chômage. »

Le taux de chômage avait effectivement atteint près de 10% et les charges sociales augmentaient comme dans une spirale infernale, des enjeux pour lesquels le gouvernement estimait devoir prendre d’urgentes mesures.

Peter Hartz divise la classe politique allemande

Gerhard Schröder, qui dirigeait une coalition au sein de son parti de centre gauche, le SPD, avait récemment gagné une bataille politique contre l’ancien ministre des Finances, Oskar Lafontaine, qui dirigeait l’aile droite du SPD. Gerhard Schröder estimait que sa coalition avait besoin de reproduire la nouvelle voie centriste engagée par le parti travailliste du Premier ministre britannique Tony Blair en modernisant l’économie allemande.

Les réformes de Peter Hartz ont totalement restructuré le travail de l’Agence nationale pour l’emploi et des agences fédérales, elles ont permis la création de « mini-jobs », faiblement rémunérés, et ont largement réduit les taxes et les contributions sociales des entreprises.

La mesure la plus centrale et la plus impopulaire de Peter Hartz a également permis de réduire les allocations chômage de trois à un an, de manière à limiter le chômage volontaire.

Une mesure qui s’est avérée très impopulaire parmi les politiciens du SPD et leurs sympathisants. Oskar Lafontaine et d’autres mécontents de gauche se sont alors réunis pour rejoindre les communistes de l’Allemagne de l’Est afin de former le Parti de Gauche.

Angela Merkel doit-elle tout à Peter Hartz ?

Malgré les réformes, le chômage a continué sa progression pour atteindre le chiffre de 5 millions en 2005, année durant laquelle le SPD a perdu les élections.

Lorsque l’économie a commencé à respirer de nouveau, peu de temps après, Angela Merkel en a tout naturellement récolté les récompenses politiques. Le chômage est retombé à un taux de 6,8%, le taux le plus bas depuis la réunification en 1990 et, bien que la crise ait commencé à ralentir la croissance économique, la chancelière reste aujourd’hui populaire.

Certains estiment alors que les réformes de Peter Hartz sont les principales responsables de ces bons moments de l’Allemagne qui ont fait le quotidien d’Angela Merkel. Sabine Klinger, de l’Institut pour la recherche sur l’emploi, pense qu’aujourd’hui aucun autre facteur ne peut expliquer la dynamique actuelle du marché du travail allemand.

« Ce sont ces changements structurels qui ont apportés les améliorations », estime-t-elle. « Il devient moins couteux et plus rapide pour les entreprises de trouver et d’embaucher du personnel. La réduction des coûts sociaux a naturellement rendu l’embauche plus attractive, et l’emploi plus facile à créer. »

Les entreprises ont profité du système de protection sociale

Tout le monde n’est pourtant pas convaincu : « Elles n’ont pas fait de mal », pense Ralf Wilke, « mais je ne crois pas qu’elles soient pour autant la cause principale. »

Ralf Wilke avance les arguments du véritable boom dans l’exportation des voitures et de l’industrie lourde allemandes, ainsi que le vieillissement de la population : « Beaucoup de salariés ont pris leur retraite pendant qu’un nombre beaucoup plus faible de jeunes sont entrés sur le marché du travail. »

Hilmar Schneider, de l’Institut pour l’étude du travail, basé à Bonn, estime pour sa part que les réformes ont eu un impact important sur les chiffres du chômage chez les personnes seniors.

Les entreprises ont utilisé l’avantageux système de protection sociale pour se débarrasser des travailleurs dans une stratégie de mise à la retraite anticipée non-officielle. Ceux qui ont perdu leur travail ont eu droit à une longue période de prestations sociales après que leur période officielle de chômage a pris fin. « Ils n’ont eu que très peu de pertes de revenus et ont pu profiter de leur retraite dix ans plus tôt que la normale », explique-t-il.

Bien qu’employés et employeurs se soient trouvés satisfaits, le coût pour l’État s’est avéré énorme. Les changements ont eu un effet significatif : en 2003, 40% des 55-64 ans avaient un emploi, ils sont 60% aujourd’hui.

Le pays où les emplois sont précaires

Être au chômage est donc devenu beaucoup plus difficile. Lorsque les prestations sociales prennent fin, au bout d’un an, les chômeurs ne perçoivent qu’une très maigre compensation.

L’Agence du travail examine les finances des chômeurs et exige des preuves constantes que les bénéficiaires des prestations sociales sont bien à la recherche d’un emploi. « Les gens sont gardés sous contrôle très strict », explique Wiebke Rockhoff pour Diakonie, l’organisme de protection sociale des Églises protestantes d’Allemagne. « Cela atteint la dignité humaine. »

Ils sont également nombreux à avoir un emploi faiblement rémunéré. L’absence de salaire minimum oblige les travailleurs à compléter leur revenu grâce aux prestations sociales.

« Dans la grande distribution, qui est fortement dominée par les femmes, de nombreux employeurs utilise les « mini-jobs » pour permettre une plus grande flexibilité de leur personnel », explique Wiebke Rockhoff. « Si le salaire n’est pas assez élevé, ils leur disent alors de faire appel aux prestations sociales. »

La dérèglementation finalement a rendu le statut des travailleurs plus précaires. La moitié de tous les nouveaux postes sont des contrats à court terme. Même dans les milieux universitaires, les médias et autres secteurs spécialisés, les employeurs peuvent embaucher de nouveaux salariés sur une base d’un an.

Un système à deux vitesses

Les employeurs ont également de plus en plus recours aux agences de travail par intérim afin d’embaucher des salariés beaucoup plus flexibles. « Les entreprises utilisent cela pour faire pression sur leurs employés », explique Fabian Lindner de l’Institut de politique macroéconomique. « Ils expliquent qu’ils peuvent vous licencier et vous réengager par l’intermédiaire d’une agence d’intérim. »

La pression a contribué à maintenir des salaires bas : l’Allemagne est le seul membre de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) où les salaires réels ont chuté au cours de la dernière décennie. Cela a accru la compétitivité des exportations allemandes mais a affaibli la demande intérieure.

Le résultat a été un système à deux niveaux, où une partie de la population active a bénéficié d’une bonne protection sociale et d’un bon marché de l’emploi, tandis que l’autre partie doit faire avec moins de sécurité et des emplois généralement moins bien payés.

Et si la crise de l’euro continue à ralentir le rouleau compresseur économique de l’Allemagne, le chômage pourrait bien devenir de nouveau un problème.

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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