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L’iPhone, un cadeau empoisonné pour les finances américaines

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Alors, comme ça, il paraît que c’est la crise depuis maintenant cinq ans ! Demandez donc à Apple… Le 31 août 2007, une action Apple valait 132 dollars. Aujourd’hui, elle en vaut 665, soit environ cinq fois plus. L’explosion des ventes d’iPhone partout dans le monde a dû créer un boost des exportations des États-Unis, non ? Et bien … non ! Au contraire, l’iPhone participe même à l’aggravation du déficit de la balance commerciale des États-Unis.

Petit rappel. La balance commerciale d’un pays est égale à la différence entre les exportations et les importations de ce pays. On dit alors que la balance commerciale d’un pays est excédentaire si ses exportations sont supérieures à ses importations. Dans le cas contraire, on dit que la balance commerciale d’un pays est déficitaire.

L’iPhone entraîne davantage d’importations que d’exportations pour les États-Unis

Essayons donc de comprendre pourquoi l‘iPhone entraîne une dégradation de la balance commerciale américaine (principalement envers la Chine), c’est-à-dire pourquoi cela entraîne davantage d’importations que d’exportations pour les États-Unis. Première étape : sortez votre iPhone de votre poche. Deuxième étape : tournez-le. Enfin, regardez ce qu’il y a écrit sous le logo iPhone : « Designed by Apple in California. Assembled in China ».

Une étude de l’Asian Development Bank datant de 2010, mais dont les conclusions sont toujours valables, explique en détail le processus de production d’un iPhone (source : « How iPhone Widens the US Trade Deficits with the PRC ? », Xing & Detert). Les composants (écran, mémoire flash, processeur, caméra…) ne sont pas fabriqués par Apple mais par une dizaine d’entreprises basées aux quatre coins du monde. Comme expliqué par la théorie d’Heckscher-Ohlin, chaque pays se spécialise en fonction de l’abondance relative de ses facteurs de production. Pour produire des composants high-tech, un pays à besoin de travailleurs qualifiés et d’une forte intensité capitalistique. C’est pour cela que les composants sont fabriqués dans des pays développés « orientés high-tech », à savoir le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis et l’Allemagne.

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L’ensemble des composants sont acheminés en Chine pour être assemblés à Shenzhen, en Chine. La République populaire a en effet un avantage comparatif pour cette étape de production, étant donné l’abondance de main d’œuvre peu qualifiée. Une fois assemblé, l’iPhone est envoyé de Chine vers l’ensemble des pays du monde, rentrant donc comptablement comme une exportation pour la Chine.

L’iPhone rentre aux États-Unis comme une exportation pour la Chine

Le produit ne passant pas par les États-Unis, un iPhone vendu aux États-Unis dégrade la balance commerciale américaine envers la Chine (car c’est une exportation de Chine vers les États-Unis). Il y a bien sûr quelques composants exportés des États-Unis vers la Chine, mais au total, en 2009, l’iPhone a contribué à hauteur de 1,9 milliard de dollars au déficit de la balance commerciale des États-Unis envers la Chine.

L’assemblage en Chine ne représente pourtant qu’un coût de 6,50 dollars ( « manufacturing costs » dans le tableau), soit moins de 4 % du coût total d’un iPhone. Cet exemple montre l’attention qu’il faut porter lors de l’analyse de la balance commerciale d’un pays, car derrière un chiffre brut peuvent se cacher de fortes disparités au niveau du processus de production.

Faut-il ramener l’assemblage aux États-Unis ?

« Today’s trade is not what was experienced by British economist David Ricardo two hundred years ago » (Grossman and Rossi-Hansberg, 2008)

Cette étude remet aussi en cause l’idée reçue qu’une appréciation du yuan, la monnaie chinoise, aurait pour conséquence directe une relocalisation de la production des entreprises dans les pays riches. Si l’on prend l’exemple de l’iPhone, une appréciation du yuan de 50%, ce qui est énorme, aurait pour effet d’augmenter le coût de production de l’iPhone de seulement 6,50 x 0,50 = 3,25 dollars. Autant dire que ce n’est pas cela qui va ramener l’assemblage aux États-Unis, l’étude de l’ADB montrant que cela coûterait environ 60 dollars de plus de produire aux États-Unis plutôt qu’en Chine. Au pire, Apple préfèrera faire quelques centaines de kilomètres, pour délocaliser de Chine vers le Vietnam, la Thailande ou le Bangladesh.

Conclusion

Apple pourrait produire aux États-Unis ses iPhone tout en s’assurant une marge confortable, même avec 60 dollars de coûts supplémentaires. Mais comme conclu par les auteurs de cette étude : « In a market economy, there is nothing wrong with a firm pursuing profit maximization » ( « Il n’y a rien de mauvais dans une économie de marché à ce qu’une entreprise cherche à maximiser son profit »). Le calcul est identique pour d’autres appareils de la marque à la pomme, les MacBook Air comme les MacBook Pro, et tutti quanti.

C’est ensuite une question de responsabilité sociale des entreprises, un concept assez vaste « dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire ». Concept malheureusement plus souvent connu sous le nom de « Bienvenue au pays des Bisounours »… Et à ce que l’on sache, Dell, HP et consort produisent aussi leurs ordinateurs (sans parler des smartphones de Samsung) dans des pays à bas coûts, souvent, dans les mêmes usines qu’Apple

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