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Nouveaux pauvres en Europe: la grande distribution s’adapte

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La même stratégie que celle appliquée au tiers-monde

« La pauvreté est de retour en Europe ». Jan Zijjderveld, directeur de Unilever Europe, interrogé par la version germanique du Financial Times en août dernier, s’est montré très pessimiste quant à la direction prise par le vieux continent, mais pas pour autant défaitiste. Nouveau contexte, nouvelle stratégie. Son entreprise, Unilever, troisième plus grande entreprise de biens de consommation au monde, s’est adaptée. Des packs plus petits. Des emballages moins chers. La stratégie est la même que celle qu’il emploie déjà dans le tiers-monde Un positionnement marketing qui a fait ses preuves… en Chine, où les salaires sont inférieurs à 400 euros.

Des produits vendus en petites quantités et commercialisés sous des marques génériques

En Grèce, le pays le plus durement touché par la crise de l’euro, Unilever vend maintenant la purée et la mayonnaise en petites quantités, le thé, l’huile d’olive et d’autres produits de première nécessité sous des marques génériques moins chères. Une façon de faire ce qui se généralise. Même en France, les menus à prix coûtant ont fait leur apparition dans la restauration. Le chef Alain Ducasse a lancé une offre « un acheté, un offert » dans plus de 1000 restaurants partenaires, pour certains étoilés.

L’Espagne : 22% de la population touchée par la pauvreté

La quatrième économie européenne est une bonne illustration de la dureté avec laquelle la crise touche la consommation des foyers. Le pays qui, il y a tout juste cinq ans, était en plein boom de la consommation, a aujourd’hui un taux de chômage avoisinant les 25% et une population touchée à 22% par la pauvreté. Une situation que reflète la grande distribution. D’après les chiffres publiés par l’International Coffee Organization, les ventes de café, souvent un excellent indicateur de santé pour le secteur de la grande distribution, ont chuté de plus de 7 % en un an (juin 2011-juin 2012). Une inflexion qui marque la chute du niveau de vie des Espagnols.

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Les mesures d’austérité du gouvernement espagnol n’ont rien arrangé

Des milliards d’euros de coupes budgétaires. Des hausses d’impôts importantes. Selon Euromonitor, les mesures d’austérité entreprises par le gouvernement espagnol pour réduire la dette publique du pays « ont eu un impact important sur la façon de consommer des foyers à faible et moyen revenus ». Des tendances auxquelles beaucoup de commerces locaux se sont adaptés. À quarante kilomètre de Barcelone, Pau Sole dirige un bar à tapas dans la station balnéaire de Cunit. Localisé dans une partie de la ville qui, il y a moins de dix ans, était encore vide, l’entreprise familiale grandi avec l’apparition de logements et de commerces toujours plus nombreux. Sole a su maintenir à flot sa firme grâce au maintien de prix bas « très populaires ». Les ventes vont encore mieux depuis qu’il a lancé une offre spéciale déjeuner comprenant deux plats, une boisson et un dessert pour seulement 10 euros.

Les anciens payent pour les jeunes chômeurs

Mais dans un pays où plus de 50% des moins de 25 ans sont sans emploi, ce sont souvent les retraités, dont les revenus sont réguliers, qui ont les moyens de s’offrir les repas. « Nous avions un nombre important d’ouvriers issus des chantiers de construction les premières années », explique Sole. « Maintenant, ce sont toujours les plus âgés qui payent la facture. Sans eux, notre commerce ferait faillite ». Les tables de Sole en disent long sur ce pays où ce sont maintenant les aînés qui payent la sécurité sociale de leurs enfants, voir petits-enfants, au chômage.

Même s’acheter une glace est devenu un « luxe »

Manuel Soriano, un mécanicien de 35 ans qui a prospéré durant les années de la bulle est à l’image de l’Espagnol typique : il ne peut plus consommer. Il avait récemment acheté un appartement au nord de Barcelone. Après deux années au chômage, il a été contraint de le louer et de retourner vivre chez ses parents. Le loyer qu’il perçoit pour son appartement couvre tout juste l’emprunt qu’il a contracté pour l’acheter. Soriano a maintenant récupéré un emploi de vendeur rémunéré à la commission, mais avec ses 1200 euros par mois il dit sa vie « très ennuyeuse ». « Ma copine [qui est au chômage] et moi n’avons pas assez d’argent pour dépenser pour le plaisir. Tout ce que nous faisons est gratuit, comme regarder des films à la maison ou aller à la plage ». Même s’acheter une glace est devenu un « luxe ».

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Les touristes chinois, planche de salut des grandes enseignes ?

Paradoxe. Les grandes surfaces espagnoles, confrontées à la faible consommation des résidents, appauvris, tentent maintenant d’attirer des clients plus fortunés : les touristes chinois. Selon le magazine économique chinois Stock Market Today, les guides d’achat en chinois fleurissent, les cartes de réductions pour touristes chinois font leur apparition et les commerces rappellent aux touristes qu’ils sont exemptés de la taxe sur la valeur ajoutée espagnole, très élevée.

« Nous sommes reclus dans nos maisons parce que nous n’avons pas d’argent »

Avec la récession qui s’aggrave de jour en jour, la pauvreté est probablement là pour durer. Euromonitor prévoit une baisse de la consommation de l’ordre de 2,7% en 2012. En Grèce et en Irlande, pays particulièrement touchés, les dépenses alimentaires ont déjà baissé de respectivement 9 et 7%. En Grèce, où le chômage des jeunes est maintenant très au dessus de 50%, il pourrait bientôt ne plus y avoir aucun consommateur à cibler. Leta Stavroulaki, une ancienne employée de cuisine de 27 ans – physiothérapeute de formation – explique qu’il n’y a plus grand chose qu’elle puisse acheter. « J’ai arrêté d’utiliser la voiture […] J’ai arrêté de voir mes ami. J’ai arrêté de partir en voyage. La plupart de mes amis sont des chômeurs de longue durée aussi et sont tous désespérés. Nous sommes reclus dans nos maisons parce que nous n’avons pas d’argent ».

Stuart Braun, correspondante à Berlin

Nikolia Apostolou, correspondante à Athène

Meritxell Mir, correspondante à Barcelone

GlobalPost / Adaptation par Stéphan Harraudeau pour JOLPress

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