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Politique de santé: pourquoi le gouvernement Ayrault se trompe

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Le système de santé français traverse une crise profonde et il semble que les gouvernements qui se succèdent ne savent pas comment remédier à un système qui ne répond plus aux nouvelles exigences de santé de la société. Pour Frédéric Bizard, le gouvernement  prétend améliorer l’accès aux soins mais il ne fait que fragiliser davantage la sécurité sociale.

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La focalisation du début de quinquennat de notre gouvernement sur les compléments d’honoraires est le signe manifeste d’une volonté d’éviter d’affronter les véritables enjeux qui se posent à notre système de santé, qui traverse une crise profonde. Les solutions envisagées par le gouvernement, en l’état, sont potentiellement dévastatrices pour l’accès et la qualité des soins.

Un système de santé en crise profonde

L’Assurance maladie est gangrénée par les déficits depuis des décennies et la situation s’est empirée ces dernières années. Sur les dix dernières années, le cumul des déficits a atteint 83 milliards d’euros, soit près des deux tiers du déficit de la sécurité sociale et les prévisions des trois prochaines années sont  alarmantes. La récurrence et le niveau de ce déficit démontrent qu’il est avant tout structurel et lié à l’absence de réforme de structure efficace. Le régime des affections de longue durée connaît des dépenses galopantes (deux tiers des dépenses et 90% de leur croissance) qui désengage l’Assurance Maladie chaque année un peu plus des soins courants. Un transfert de ressources d’une vingtaine de milliards d’euros  dans les dépenses courantes de santé entre l’hôpital et la ville aurait dû être opéré depuis longtemps pour rendre le système plus en phase avec les enjeux sanitaires actuels et mieux exploiter les capacités de la médecine moderne en ambulatoire. Aucune politique ambitieuse de prévention n’a été mise en place, on reste dans l’affichage et l’incantation politique. Enfin, les médecins connaissent une crise existentielle profonde face à la pression croissante des patients, de plus en plus informés et exigeants, de l’administration persuadée qu’ils pourraient faire mieux avec moins, et des pouvoirs publics qui en font des boucs-émissaires de leurs propres maux.

La recherche de symboles politiques avant tout

Voici de vrais enjeux actuels de santé, à côté desquels la question des compléments d’honoraires apparaît bien secondaire, d’autant plus qu’elle n’impacte pas les comptes publics. Malgré cette crise profonde de la santé en France, le gouvernement Ayrault recherche des symboles politiques et évite les sujets de fond. En cela, il marche dans les pas du précédent gouvernement, dont on peut mesurer les dégâts par les mesures liées à l’hôpital et au tour de vis centralisateur et bureaucratique de la gestion de la santé publique (médiator, grippe H1N1) et de la santé territoriale à travers la loi Bachelot de 2009.

Faire croire que les médecins ont abusé des compléments d’honoraires est une supercherie

L’assurance maladie, ligotée par les contraintes évoquées précédemment, ne finance plus l’évolution du coût des actes médicaux depuis 30 ans, composée de l’évolution technologique, celle du risque médico-légal, celle du coût de la pratique et de la vie. L’écart  entre le tarif de la sécurité sociale et la valeur réelle est d’autant plus important que les actes sont plus techniques et plus lourds. Peut-on sérieusement penser qu’un médecin pourra mettre à disposition des patients la meilleure technologie en facturant une ablation d’une tumeur du sein à 121 euros, une opération de la cataracte à 271 euros, une hystérectomie totale par cœlioscopie à 268 euros ou une méniscectomie à 175 euros, d’autant plus qu’il perçoit moins de 50% de ces honoraires bruts ? La réalité est que l’assurance maladie a fait le choix de financer une part de plus en plus faible de la valeur des actes médicaux. Les compléments  d’honoraires sont devenus une composante pleine et entière de la valeur réelle des actes médicaux, et ne cesseront d’augmenter tant qu’on ne revalorisera pas les tarifs de sécurité sociale.

La liberté tarifaire est le moyen le plus efficace pour compenser le désengagement de l’assurance maladie

Le tarif sécu devenant un non-sens économique pour un nombre croissant d’actes, il faut un système qui permette aux médecins de prendre en charge les patients les plus précaires à ce tarif et de faire supporter l’inflation des coûts sur les patients les plus aisés. C’est exactement le principe de la liberté tarifaire dont l’application réelle se traduit par un tiers des actes (pour les médecins pratiquant la liberté tarifaire) facturés au tarif sécu et une variation très forte des taux de compléments d’honoraires en fonction de la taille des agglomérations (11% dans le Cantal et 114% à Paris). C’est donc bien la preuve que la modulation tarifaire est appliquée. Il n’en reste pas moins que pour les classes moyennes, le reste à charge doit être mieux couvert par les complémentaires santé  et pour l’ensemble des patients, leur droit à l’information sur la fixation des tarifs renforcé.

L’encadrement des dépassements d’honoraires, véritable coût de grâce pour l’exercice libéral de la médecine, creusera l’inégalité d’accès à des soins de qualité

Le gouvernement veut forcer les médecins à honoraires libres à entrer dans un contrat d’accès aux soins qui plafonnera les compléments d’honoraires en volume et en valeur sous peine de « sanctions directes et rapides » (dixit Marisol Touraine) de la part de l’Assurance maladie. Ce contrat, outre le symbole politique, ne fait que des perdants.

Pour l’Assurance Maladie, il aggravera son déficit dès sa mise en place du fait de l’augmentation en nombre des actes, des baisses de cotisations sociales en contrepartie de son adhésion et des coûts de sa gestion et de son suivi. En bon agent économique rationnel, le médecin devra adapter sa pratique pour conserver la viabilité de sa pratique. Ce contrat sera donc le fossoyeur de la solidarité car le déficit et la dette de la sécu sont autant d’impôts sur les pauvres et les générations futures. Les complémentaires santé perdront leur raison d’être pour une part croissante de la population. Les patients n’auront plus un égal accès à des soins de qualité car la valeur moyenne des actes ne permettra plus de financer correctement le temps médical et l’investissement technologique. Quant aux médecins, ils auront la double peine d’être sous la tutelle directe de l’administration dans le contrôle du volume et de la valeur des actes et de ne plus pouvoir exercer une médecine à la pointe de l’innovation.

Prétendre améliorer l’accès aux soins en fragilisant davantage la sécurité sociale est une gageure qu’il fallait oser. « Le monde de la réalité a ses limites. Le monde de l’imagination est sans frontière ». (Jean-Jacques Rousseau).

> Consulter le blog de Frédéric Bizard

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