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Réflexions sur les prix des journaux

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Face au déclin de la presse papier, une étude publiée par Simon-Kucher&Partners s’interroge sur l’enjeu du prix de la presse. En face d’une baisse des ventes, la réduction du prix de la presse est-elle justifiée ? Fabrice Boé analyse la difficile équation économique de la presse.

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Dans une récente Monday Note, Frédéric Filloux s’interroge, sur la base d’une étude publiée par Simon-Kucher&Partners sur la pertinence d’une hausse des prix de la presse.

La presse papier : un produit de luxe ?

Et elle est traitée par un cabinet reconnu, sur la base d’études et d’analyses objectives conduites par des spécialistes, permettant ainsi de dépasser le stade des simples opinions et d’objectiver les faits.

Frédéric Filloux y ajoute son avis d’expert du secteur.

La question est passionnante en effet.

Comme lui, je suis moi-même enclin à penser, qu’à terme, la presse papier telle que nous la connaissons deviendra un produit, si ce n’est de luxe, en tout cas élitiste, reflet d’une certaine qualité intellectuelle et porteuse de contenus de valeur. Comme le dit Éric Fottorino : « Le lecteur ne paiera plus pour une information, mais pour une réflexion ou une analyse ». Dans ce cas, les prix de vente de ses éditions papier devraient le refléter.

C’est à cette conclusion qu’arrivent également Simon-Kucher&Partners, qui y ajoutent des éléments rationnels indiscutables.

L’étude montre que l’impact d’une baisse de prix ne dure pas et qu’il n’y a même pas d’élasticité réelle des ventes suite à des baisses de prix en presse : il s’agit surtout d’un « cadeau » fait aux plus fidèles des lecteurs…qui ne le demandaient pas (au contraire, leur fidélité est telle qu’ils seraient prêts à payer davantage).

Par ailleurs, comme toujours, les effets négatifs d’une guerre des prix ne tardent pas à se faire sentir, entrainant le marché dans une spirale de paupérisation générale.

Macro-économiquement, une baisse de prix n’a donc aucun sens sur la durée.

Face à une baisse des ventes : augmenter les prix

Le problème évoqué est aussi une sorte de cas d’école de marketing (comment ajuster son prix de vente dans un marché orienté à la baisse) dont l’application à l’univers de la presse donne lieu à d’intéressantes réflexions.

Dans un marché qui recule, une baisse de prix par un acteur entraine souvent une certaine hausse de ses volumes de vente à court terme, mais sans inverser la tendance à long terme et seulement jusqu’à ce que tous les concurrents procèdent de la même manière, auquel cas, les effets se neutralisent et tout le marché a perdu de la valeur. C’est bien ce que l’étude confirme.

Cependant, un acteur ne peut avoir de vision macro-économique, son comportement est, par nature, guidé par des impératifs propres à son entreprise, à ses échéances personnelles, et ses décisions visent d’abord à des résultats à court terme.

En l’occurrence, le premier réflexe des opérationnels, je l’ai expérimenté à maintes reprises, est presque toujours, face à une baisse des ventes, de diminuer les prix de vente, espérant ainsi regagner les volumes perdus.

Il n’est pas aisé de faire comprendre, même avec les meilleurs arguments du monde, à des opérationnels que, face à une baisse de leur vente, ils devraient plutôt augmenter leurs prix, l’instinct s’inscrit contre ce raisonnement et est souvent le plus fort.

Cette stratégie baissière, en réalité avant tout une réaction tactique, est d’autant plus redoutable qu’elle entraine à court terme… des résultats intéressants.

Le premier qui baisse ses prix enregistre une hausse de ses ventes, sans doute éphémère mais euphorisante.

De l’art de maîtriser l’équation économique de la presse

Certes, il perd en valeur unitaire mais, pour en saisir tout l’intérêt, il faut revenir à l’équation économique de la presse, qui ne repose pas uniquement sur ses ventes de journaux.

La presse dégage plus de la moitié de ses revenus et l’essentiel de ses marges grâce à la publicité, qui est corrélée aux chiffres de diffusion de deux manières :

–  les annonceurs et agences médias prennent en compte les diffusions moyennes, c’est bien souvent, avec les audiences, leur premier critère de décision pour retenir un titre,

–  les tarifs des pages sont directement liés aux performances de diffusion du titre (le célèbre « coût au mille »).

La mesure des diffusions, réalisée par l’organisme certificateur (l’Ojd), procède de moyennes mensuelles qu’un « boost » judicieusement placé peut rendre plus favorables ou tout au moins soutenir, idem pour la mesure des audiences.

Les magazines ont ainsi pris l’habitude de baisser leurs prix à certains moments de l’année. On aurait tort de penser que les journaux n’ont pas accès à cet outil : ils le pratiquent d’une autre manière, avec des prix différenciés suivant les jours de la semaine (jusqu’à 3 prix différents).

Une tendance inéluctable

On comprend mieux pourquoi la presse reste réticente à augmenter ses prix, surtout la presse populaire dont les lecteurs sont très sensibles au « ticket d’entrée ».

La tendance à la hausse des prix semble néanmoins inéluctable.

Mécaniquement, augmenter les prix permettra de valoriser chaque exemplaire vendu et donnera un statut « d’objet de prix » aux journaux et magazines.

Ce qui soulève aussi des questions :

–  la presse n’est-elle pas déjà un vecteur de contenus de qualité et sa vocation n’est-elle pas de mettre ses contributions à la disposition du plus grand nombre, dont elle risque de s’éloigner ?

–  pourquoi penser que des contenus imprimés devraient, par nature, être de meilleure qualité et vendus plus cher que des contenus diffusés sur supports numériques, n’est-ce pas une vision passéiste ?

–  avec des volumes déjà en baisse forte (les derniers chiffres font plus que confirmer cette tendance), l’économie entière de l’industrie de la presse se trouve mise en question : les rédactions réduisent leurs effectifs, la distribution logistique (messageries) est au bord du collapse, le réseau de diffusion (kiosques) se réduit dangereusement et n’arrive plus à se renouveler, les imprimeries sont en danger, etc.

On verra sans doute bientôt, à la suite de la Tribune, des quotidiens ou magazines sortir de la distribution que l’on a toujours connue, espacer leurs parutions papier (de quotidienne à hebdomadaire, d’hebdomadaire à mensuelle, par exemple) et se recentrer sur les abonnements, le portage et la diffusion numérique de leurs contenus, accélérant le déclin du secteur dans son organisation actuelle.

Les grands groupes auront probablement tendance à ne conserver une distribution papier extensive que pour leurs titres principaux ou pour les plus adaptés au support papier.

Se tourner vers le numérique

Il faudrait donc, en compensation, que la hausse des prix de la presse serve d’opportunité pour le basculement vers un lectorat numérique.

Par contraste avec un média papier devenu cher pour le lecteur, la diffusion numérique pourrait devenir non plus secondaire ou marginale, mais la principale source d’accès aux contenus de la part des lecteurs, surtout avec la démocratisation des appareils type tablettes et smartphones.

À la condition que les groupes de presse décident d’en faire leur priorité !

L’étude de Simon-Kucher&Partners met en évidence la manne (le « coffre-fort ») qu’apporte aux entreprises la hausse de leurs prix de vente.

En toute logique, ils devraient en profiter pour réinvestir au plus vite ces profits dans des investissements vers la diffusion numérique de leurs contenus.

Sera-ce le cas ?

J’en doute.

D’abord, parce que la santé des groupes est chancelante et je crains qu’ils ne soient tentés de thésauriser ces profits.

Ensuite, parce qu’ils ne me semblent pas avoir pris la mesure des défis. Le directeur du principal syndicat, le SPQN, vient ainsi de déclarer (cité par la Tribune de la Presse) que: « La bataille de l’audience sur le Web est gagnée pour les éditeurs de presse ».

Je n’en suis pas convaincu… Cette bataille est permanente, les éditeurs doivent la mener sans relâche et, plus que jamais, investir dans ce qui me semble leur immense voie d’avenir : gagner des lecteurs sur supports numériques

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