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Soufian Alsabbagh: «Mitt Romney n’est ni Kennedy, ni Obama»

[image:1,l]Une campagne présidentielle américaine est une course au long-cours. Cet été, le candidat républicain Mitt Romney semblait en mesure de prendre le dessus sur le sortant Barack Obama, qui irait rejoindre la longue liste des « battus de la crise » – ces dirigeants politiques de haut rang auxquels les peuples auront fait payer une conjoncture mondiale plus que défavorable. À un mois de l’échéance électorale, rien n’est moins sûr. Que s’est-il passé ? À qui la faute ? Le biographe français de Mitt Romney, Soufian Alsabbagh, partage son jugement sur la campagne de Mitt Romney en nous plongeant dans sa personnalité, son histoire personnelle et celle de son parti. Entretien.

JOL Press : Quel jugement d’ensemble portez-vous sur la campagne de Mitt Romney ?

Soufian Alsabbagh : Sans prise de position aucune, si je me mets à la place d’un militant du Parti républicain, mon sentiment est celui d’un immense gâchis. Compte tenu de la situation économique dans lequel se trouve le pays et du bilan du président sortant Barack Obama, le représentant du parti républicain n’aurait pas dû se retrouver distancé aussi rapidement.

Il souffre d’un problème d’organisation et il n’est pas parvenu à se présenter aux Américains.

Le contre-sens de Mitt Romney

JOL Press : Qu’entendez-vous par « se présenter aux Américains » ?

Soufian Alsabbagh : La première chose à faire pour un candidat aspirant à devenir président des États-Unis consiste à établir une relation de confiance avec le peuple américain. Se présenter, c’est-à-dire donner l’opportunité aux électeurs de mieux connaitre celui qui prétend les diriger pendant quatre ans, celui qui va incarner les États-Unis pendant quatre ans.

Mitt Romney souffre d’un problème de confiance. Il ne semble pas confortable avec les Américains. En privé, il est très ouvert, de caractère jovial mais il n’est pas parvenu à faire apparaitre cet aspect de sa personnalité, de son caractère.

Cela peut ainsi expliquer ses gaffes à répétition.

JOL Press : Mais pourtant, il est parvenu à séduire une partie de l’électorat républicain pour remporter les primaires. C’était selon vous une victoire par défaut ?

Soufian Alsabbagh : Absolument, il a remporté les primaires par défaut. À priori, il n’était pas le mieux placé. Alors que le parti républicain connait une forte dérive droitière, qui se manifeste notamment par la percée du Tea Party, son positionnement plus modéré ne le plaçait pas en position de favori. Par ailleurs, le fait qu’il soit mormon de religion aurait dû être un handicap aux yeux de l’électorat d’autres confessions protestantes.

Mais franchement, ce n’était pas un grand cru que ces primaires, et ses adversaires se sont disqualifiés les uns après les autres. Surtout, il est apparu comme le plus crédible et comme celui qui disposait – les sondages l’attestaient – des plus grandes chances de battre Barack Obama. Un argument de poids.

Une opportunité à saisir

JOL Press : Son ambition présidentielle, c’est l’ambition d’une vie ?

Soufian Alsabbagh : D’une vie, non. En France, oui, cela prend 20 ou 30 ans pour devenir président de la république. Pas aux États-Unis, où les carrières politiques sont beaucoup plus ramassées.

Il y pense sans doute depuis une dizaine d’années. En 1994, il avait été battu aux élections sénatoriales et avait dû revoir ses plans de vie. En 2002, il devient gouverneur du Massachusetts, et c’est à partir de ce moment qu’il songe sans doute à la Maison Blanche. Il sait qu’en 2008 George W. Bush ne pourra pas se représenter et il y voit une opportunité. En 2007, il se lance dans les primaires républicaines et perd de peu face à John McCain, lui-même battu par Barack Obama en novembre 2008.

Au lieu d’abandonner, Mitt Romney poursuit sa campagne et entame avec une longueur d’avance la nouvelle course à l’investiture républicaine, il y a un an et demi quasiment. Mission accomplie.

JOL Press : Étre candidat à la Maison Blanche, son père en avait rêvé. Est-ce pour cela que Mitt Romney l’a fait ?   

Soufian Alsabbagh : Il est exact que son père, ancien gouverneur du Michigan, s’était présenté face à Richard Nixon lors des primaires républicaines en vue de la présidentielle de 1968 – et avait été battu.

Pour les mormons, la famille est essentielle et le fonctionnement patriarcal est très marqué. Mais, si son père a été un modèle pour Mitt Romney, ce n’est sans doute qu’un modèle indirect.

JOL Press : Les Romney ne sont pas les Kennedy ?

Soufian Alsabbagh : Non, Mitt n’est pas un JFK bis, venant venger le père au destin contrarié. En plus, il manque une personnalité forte à Mitt Romney pour cela. C’est une autre histoire.

Incapable de raconter une histoire aux Américains

JOL Press : L’image du millionnaire, avantage ou inconvénient ?

Soufian Alsabbagh : Aux États-Unis, avoir de l’argent, être millionnaire et s’engager en politique, ce n’est pas impossible, et cela peut même être un avantage. Le lien entre politique et business est accepté.

Ce qui a nui à Mitt Romney, c’est l’image de businessman froid, ultra-conservateur, ayant investi en Chine que lui ont collée les démocrates.

Et puis, il ne s’est pas vraiment aidé avec ses gaffes à répétition et sa déclaration catastrophique sur les 47% d’Américains. Il a perdu des points dans tous les États clés.

JOL Press : Il se disait au début des primaires républicaines qu’un mormon à la Maison Blanche, c’était impossible. Vous le pensez ?

Soufian Alsabbagh : Une fois encore, c’est sa personnalité qui ne lui a pas permis de profiter de ce qui, effectivement, constituait peut-être un handicap. Son mormonisme, il aurait dû l’assumer, et mettre en avant les bons côtés de sa religion.

Mitt Romney n’est ni Kennedy ni Obama… Quand le catholique JFK ou le métis Barack Obama se font élire, ils assument et ils racontent une histoire en faisant rêver les Américains avec l’avancée considérable que constitueraient leurs élections. Là-dessus aussi, il a échoué.

JOL Press : Vous parliez de problèmes d’organisation. Le candidat Romney est-il bien entouré ?

Soufian Alsabbagh : Le problème de cette campagne ne vient pas d’un éventuel manque de talent des conseillers, de l’équipe du candidat. Non, le problème, c’est le candidat lui-même.

Les conseils dont il a besoin ne sont pas d’ordre politique. Mitt Romney n’a tout simplement pas compris ce qu’est une élection présidentielle et ce qu’elle impose pour espérer la remporter.

La radicalisation du Parti républicain, un dilemme pour tous les candidats

JOL Press : Le choix de Paul Ryan vous a-t-il surpris ?

Soufian Alsabbagh : C’est un choix logique. Le parti républicain vire à droite. Il était donc prévisible qu’un candidat à la présidence plutôt modéré choisisse un candidat à la viceprésidence plus conservateur. L’objectif est de garantir au moins que le ticket fasse le plein des voix dans son camp.

Le problème, c’est que le parti républicain a tellement viré à droite que Mitt Romney est contraint à un grand écart pour espérer séduire les électeurs du centre, indépendants ou indécis. Mission quasiment impossible.

C’est d’ailleurs une question que devra se poser le parti républicain s’il espère un jour reconquérir la Maison Blanche.

JOL Press : N’aurait-il pas été plus judicieux de tenter de séduire les minorités, en sélectionnant par exemple pour la vice-présidence un Hispanique, comme le sénateur de Floride Marco Rubio ?

Soufian Alsabbagh : Effectivement, c’est le second volet du choix idéologique vital auquel sont confrontés les républicains. Mitt Romney compte 30 points de retard chez les Hispaniques. Comme leur proportion dans la population américaine ne cesse d’augmenter, les démocrates entameront chaque élection présidentielle en 2016, 2020, et ainsi de suite, avec un avantage démographique croissant.

JOL Press : Les républicains ne croient plus à une victoire, les « jeunes loups » préparent le coup d’après, n’est-ce pas ?

Soufian Alsabbagh : Statistiquement, les chances de victoire étaient, au départ, minces. Sur les 13 derniers présidents à s’être représentés, 10 ont remporté un second mandat et trois ont été défaits. Les ambitieux ont raison de penser au coup d’après face à un candidat démocrate lui aussi sorti de primaires. Ce sera plus facile.

Paul Ryan, en étant candidat à la vice-présidence, augmente sa notoriété au niveau national. Dans quatre ans, il dominera sans doute l’aile droite du parti républicain.

Marco Rubio pourrait aussi croire en ses chances. Plus modéré, il est issu malgré tout du Tea Party. Sa sélection pourrait résoudre en partie le problème du parti avec les Hispaniques.

Des débats exceptionnels, seule planche de salut

JOL Press : Pour votre part, vous estimez que la défaite de Mitt Romney est désormais une certitude ?

Soufian Alsabbagh : Il ne faut jamais dire jamais. Ses dernières chances reposeraient sur des performances exceptionnelles, extraordinaires dans les débats.

Il a trente jours devant lui, 5 points de retard dans l’Ohio, 7 dans le Wisconsin, 4 en Floride. C’est là que cela va se jouer.

Il dispose de plus de fonds que Barack Obama, mais il n’a pas de message à faire passer. C’est compliqué. 

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

[image:2,s]Spécialiste de politique intérieure américaine et du Parti républicain, Soufian Alsabbagh est l’auteur de L’Amérique de Mitt Romney (Editions Demopolis, 2012), unique biographie en français de l’adversaire de Barack Obama. Son nouvel ouvrage, La Nouvelle Droite Américaine, est paru le 30 août chez Demopolis.

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