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«Une insulte à l’islam est une insulte à leur mode de vie»

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Les manifestations anti-américaines initiées le 11 septembre dernier, se sont étendues à presque vingt pays. Au delà de la vidéo anti-islam qui semble, en apparence, être à l’origine de ces événements, d’autres facteurs ont catalysé la haine de ces populations à l’égard des États-Unis. Pour mieux les identifier, notre partenaire GlobalPost a interviewé Dina Smeltz du département Opinion publique et Politique étrangère de l’organisation Chicago Council on Global Affairs et auteure d’études sur l’opinion publique des populations du monde arabe, réalisées pour certaines pour le Département d’État des États-Unis.

Alors qu’une vidéo apparaissait être à l’origine des manifestations du Caire de mardi dernier, la colère et l’agitation, ciblant à l’origine uniquement les États-Unis, se sont désormais étendues à 20 autres pays du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Asie. Comment expliquer ce schéma ? Quel est l’élément qui unifie cette colère ?

Dina Smletz La réaction de la société arabe est similaire à celle répondant à la controverse du caricaturiste danois [affaire de la caricature de Mahomet, ndlr] en 2005, ou les appels à brûler le Coran d’un pasteur américain en 2010, bien que cette fois, la réponse soit plus violente. Beaucoup des manifestants n’ont probablement pas vu la vidéo, mais cet incident a enflammé un ressentiment et un sentiment de méfiance à l’égard des États-Unis qui ne datent pas d’hier.

Des études ont montré que les musulmans à l’étranger entretiennent l’idée selon laquelle les Américains ne respectent ni les musulmans ni leurs traditions […] La vidéo a légitimer cette façon de voir les choses.

La vague de contestation pourrait aussi refléter le mécontentement générer par la politique étrangère des États-Unis et de l’Occident. Différentes études ont montré que le sentiment anti-américain repose souvent en premier lieu sur la politique étrangère américaine, plutôt que sur un choc de cultures ou de valeurs, qui inclue la perception d’un positionnement pro-Israël dans le conflit israélo-palestinien, l’invasion de l’Irak, la participation américaine dans la guerre en Afghanistan, mais aussi les actions menées par les États-Unis dans le cadre de la lutte antiterroriste, notamment les frappes de drones. Une récente étude Pew a mis en lumière que près de neuf personnes sur dix en Égypte et en Jordanie, huit sur dix en Turquie et sept sur dix en Tunisie, sont opposés aux frappes de drones (un positionnement de l’opinion publique qui se vérifie par ailleurs dans beaucoup de pays non-musulmans).

De nombreux musulmans voient aussi les efforts américains pour combattre le terrorisme comme un prétexte pour mener une guerre contre l’islam. Des études PIPA, menées de 2006 à 2007, demandaient à des citoyens marocains, égyptiens, pakistanais et indonésiens de choisir parmi trois propositions quel était le premier objectif de la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis. Pas plus de deux personnes sur dix, dans ces quatre pays, ont répondu qu’il s’agissait de protéger les États-Unis des attaques terroristes. La majorité a affirmé qu’il s’agissait soit d’affaiblir et de diviser l’islam et ses croyants, soit d’asseoir la domination politique et militaire des États-Unis sur le Moyen-Orient pour contrôler les ressources présentes dans la région.

Il serait intéressant de voir comment les Américains interprètent les événements se produisant en ce moment […]. Pour la première fois depuis 2002, une majorité d’Américains pensent que l’aide économique versée à l’Égypte devrait être réduite ou complètement arrêtée (Etude Chicago Council on Global Affairs). Les récents événements accentueront probablement cette tendance.

Qu’en est-il de la colère déjà existante dans les pays où les mouvements de protestation sont nés ? Assiste-t-on à la cristallisation de la colère, générée par des problèmes [politiques et économiques] locaux, contre les États-Unis ?

Dina Smletz : Par le passé, les analystes ont souvent vu ce type de mouvement de protestation comme un moyen pour les régimes du Moyen-Orient, soutenus par les États-Unis, de laisser leur population s’exprimer contre la politique étrangère américaine pour désamorcer la contestation latente s’exerçant contre leurs propres gouvernements. Mais aujourd’hui, les manifestations à Tunis et au Caire apparaissent comme plus centrés sur les États-Unis ou les politiques étrangères des occidentaux, le gouvernement tunisien et égyptien ayant mis une distance avec les États-Unis. Dans les pays où il est encore impossible de s’exprimer librement ou de critiquer le gouvernement [la contestation est différente], il existe une critique silencieuse des régimes et de leurs liens avec les États-Unis. Pour les musulmans de l’étranger, le soutien américain aux régimes autocratiques est perçu comme hypocrite, car opposé aux idéaux démocratiques promut par les États-Unis.

Dans quelle mesure pouvons-nous dire que ces mouvements, nés dans des pays différents, sont similaires ?

Dina Smletz : Tous ces mouvements ont des similarités considérables, dont la langue [de leurs participants] et les symboles [qu’ils défendent], bien que les situations politiques dans chacun de ces pays soient différentes. De récentes études ont révélées qu’une partie des musulmans ont été déçus par les similarités entre politique étrangère de Bush et d’Obama. Les études des instituts Pew et Zogby ont mis en lumière que depuis l’élection de Barack Obama à la Maison Blanche, les États-Unis n’ont cessé de perdre en popularité au Moyen-Orient. Aujourd’hui, Pew estime à environ 15% la proportion des populations musulmanes égyptiennes, jordaniennes, libanaises, pakistanaises, et turques ayant une perception positive des États-Unis (contre 25% en 2009).

Une large majorité des musulmans (et des non-musulmans dans beaucoup de zones) pensent que les États-Unis agissent unilatéralement et ne prennent pas en considération les intérêts des autres pays. Notre propre étude montre que de nombreux Américains veulent que le gouvernement américain soit plus multilatéral et coopératif.

Sans tenir compte des racines mêmes de la colère, il semble que la religion ait été un catalyseur dans la plupart de ces mouvements. Dans quelle mesure ces événements sont-ils le fruit de la perception à l’étranger du sentiment islamophobe aux États-Unis ?

Dina Smletz : L’islam offre des conseils pour la plupart des aspects de la vie ; en conséquence, la plupart des musulmans dans le monde interprètent les insultes faites à leurs figures religieuses et à leurs traditions comme des insultes à leur mode de vie.

Cette première analyse est une analyse de surface. L’irrespect des Américains pour les symboles et les traditions de l’Islam, qu’il soit réel ou imaginé, n’est pas bon pour l’image des États-Unis dans le monde musulman. […] Ce que veulent vraiment les musulmans des États-Unis, c’est d’être traités avec respect, de la façon dont semblait l’annoncer le discours de Barack Obama au Caire.

Comment les Américains envisagent-ils l’avenir des relations entre les nations musulmanes et les États-Unis ?

Dina Smletz : Les Américains sont encore incertains quant à ce qui sortira du Printemps arabe. Une étude du Chicago Council montre qu’une petite majorité d’Américains (37%) pensent que le Printemps arabe n’aura aucune conséquence sur les relations des États-Unis avec le monde musulman, alors que 34% d’entre eux pensent que celui-ci aura des retombées positives et 24% des négatives. Cette étude a toutefois été réalisée avant le 11 septembre dernier.

Les résultats de l’étude du Chicago Council mettent aussi en lumière que seule une petite majorité des Américains ne voient pas de conflits fondamentaux entre l’islam et l’Occident, mais que quatre sur dix pensent qu’en raison de l’incompatibilité des traditions musulmanes et occidentales, des conflits violents sont inévitables. Les récents événements en Libye ne les auront certainement pas fait changer d’avis. Les Américains perçoivent toujours le Moyen-Orient comme la plus grande source de menaces à venir, mais les dix dernières années de guerre les ont assagis, et la population américaine veut une diminution de la présence des États-Unis dans cette zone du globe. Deux Américains sur trois ne pensent pas que les guerres en Irak et en Afghanistan valaient ce qu’elles ont coûté ou qu’elles les aient sécurisés par rapport au terrorisme. En fait, la plupart pensent que ces guerres ont empiré les relations de leur pays avec le monde musulman.

Global Post/ Stéphan Harraudeau pour JOL Press

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