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Une sortie de l’euro: concrètement, comment ça se passerait?

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À force de vivre des semaines cruciales, le destin de la zone euro finira bien par être officiellement scellé. À plusieurs reprises, nous avons évoqué les possibles scénarios de sortie par le haut, ceux qui permettraient de sauver la monnaie – si tant est qu’il vaille la peine de la sauver. JOL Press tenait à s’interroger sur les conditions et les aspects pratiques d’une disparition, partielle ou pas, de la monnaie unique. Entretien avec Jean-Pierre Chevallier, expert en politique monétaire.

JOL Press : L’abandon de la monnaie unique par un des pays membres de la zone euro – et on pense évidemment, en premier lieu, à la Grèce –, c’est possible concrètement ?

Jean-Pierre Chevallier : Absolument, on entend parfois dire que rien n’a été prévu dans les traités. Mais les principes sont simples et ont près de soixante-dix ans, ce sont ceux établis par les Accords de Bretton Woods, en 1944.

L’Euro system est un système bloqué dans lequel le cours des différentes monnaies a été fixé par rapport à l’euro, devenu monnaie unique. Ce système peut être aisément détricoté puisque chaque pays a conservé une banque centrale qui tient ses comptes, comme si elle disposait d’une monnaie nationale.

JOL Press : Certes, un taux de conversion en euro des monnaies nationales a été établi, mais il y a de cela longtemps, le 31 décembre 1998…

Jean-Pierre Chevallier : Oui, mais, comme je viens de le dire, chaque banque centrale tient ses comptes. Et puis, il existe pour chaque pays un ersatz de monnaie, ce sont les bons du Trésor. La comparaison des taux à dix ans des obligations des différents pays permet d’évaluer ce que serait le rapport entre leurs différentes monnaies nationales, s’ils en avaient.

JOL Press : Aujourd’hui, une nouvelle drachme grecque, ce serait de la roupie de sansonnet ?

Jean-Pierre Chevallier : Les taux à dix ans grecs sont supérieurs à 20%. En comparaison, les taux normaux, ceux du Bund allemand, plafonnent entre 1 et 2%. En théorie, la drachme grecque vaut donc 10% de la valeur de l’euro. 10%, ce serait sans doute exagérer et on arriverait sans doute à un taux de 15 à 20%. Cela reviendrait à une dévaluation de 80-85%.

En 2002, lorsque le peso argentin s’est désarrimé du dollar, la dévaluation a été de 60% du jour au lendemain.  

JOL Press : Et si la France revenait au franc ?

Jean-Pierre Chevallier : L’écart relatif entre les taux français et allemand sont de l’ordre de 50%. On aurait donc un « eurofranc » inférieur de 50% à un « euromark ». Sur treize ans, la dévaluation aurait donc été de 50%. C’est conforme à ce qui se passait avant la création de la monnaie unique puisque le franc français perdait entre 2 et 3% par an par rapport au deutsche mark. C’est pour cela qu’il y avait régulièrement des dévaluations. On les a oubliées, ces dévaluations, mais un retour à l’euro, ce serait une vaste et forte dévaluation.

JOL Press : Les conséquences sociales et politiques seraient considérables ?

Jean-Pierre Chevallier : Oui, évidemment, même si elles sont difficiles à prévoir. Il y aurait dans chaque pays des perdants et des gagnants… Ceux qui auront pu, par exemple, placer leur argent à l’étranger, en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Suisse, en sortiront enrichis puisqu’ils bénéficieront de devises fortes pour acquérir des biens dans un pays à devise devenue faible. Les perdants seront les plus défavorisés et ceux qui auront conservé leur petite épargne dans les banques du pays.

JOL Press : Les effets sont durables dans le temps ?

Jean-Pierre Chevallier : Cela dépendrait évidemment des choix politiques. Mais, dans le cas argentin, la situation s’est rapidement rétablie. Avec une devise faible, les biens et services produits en Grèce, par exemple, redeviendraient très attractifs à l’exportation.

JOL Press : Concrètement, comment ça se passe ce changement de monnaie ?

Jean-Pierre Chevallier : Un vendredi soir, après la fermeture des marchés, quand personne ne s’y attend…

JOL Press : Et le gouvernement bloque les frontières, établit un contrôle des changes drastiques…

Jean-Pierre Chevallier : Pas forcément. L’argent placé dans les banques est converti automatiquement. La question de l’échange des billets peut être aisément réglé – on peut même continuer à utiliser un temps les mêmes billets.

Dans le cas de la Grèce, l’essentiel de l’argent qui devait s’évader s’est déjà évadé. La plupart des Grecs n’auraient pas les moyens de se rendre à l’étranger pour changer leurs euros contre des devises fortes. La dimension concrète de l’opération est marginale.

JOL Press : Quel pourrait être l’impact sur les marchés financiers ?

Jean-Pierre Chevallier : Dans l’hypothèse d’un abandon unilatéral de l’euro par la Grèce, la bourse d’Athènes serait laminée – elle l’est déjà. L’impact sur les autres marchés financiers seraient sans doute limité car on peut sans doute considérer que cette hypothèse a été largement anticipée par les marchés.

Une dissolution de l’euro pourrait entrainer une panique des investisseurs…

JOL Press : Si, comme vous le dites, l’hypothèse d’un abandon de l’euro par la Grèce a été anticipée, est-ce que cela signifie qu’il est inéluctable ?

Jean-Pierre Chevallier : Il faut voir la réalité en face. Cela fait au moins deux ans que la Grèce est maintenue artificiellement en vie, si je puis dire. En deux ans, ses créanciers internationaux lui ont versé 350 milliards d’euros – son PIB annuel est de 200 milliards d’euro. Malgré ces aides successives, la dette grecque n’a pas diminué d’un iota. Ces aides, on ne les retrouve nulle part dans les comptes du pays… il faudrait peut-être chercher en Suisse ou ailleurs…

JOL Press : Et une dissolution totale de l’euro, vous y croyez aussi ?

Jean-Pierre Chevallier : L’euro a été créé sur la base d’une profonde erreur économique. D’abord, seul un pays uni doté d’un État central peut disposer d’une monnaie unique. C’est le cas aux États-Unis, au Royaume-Uni, etc. Les États-Unis et le Canada se ressemblent, beaucoup mais ils n’ont pas de monnaie commune car ce n’est pas le même pays. Il faudrait au moins une uniformité de la productivité, à défaut de solidarité fédérale. Or, si on observe le marché de base, on s’aperçoit, qu’à partir de 2007, les taux divergent inéluctablement entre les pays membres de la zone euro. Comme cela était le cas avant l’euro.

L’euro est une aberration.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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