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Bataille presse vs Google: au secours l’Europe!

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Les éditeurs de presse de plusieurs pays se rejoignent dans la lutte anti-Google

Les éditeurs français avaient déjà emboîté le pas à leurs confrères allemands, des échanges avaient été organisés et le lobbyiste mandaté par la presse allemande était même venu distribuer ses conseils. On a appris hier que des éditeurs italiens souhaitaient exercer le même type d’action, des conflits de même nature ont déjà eu lieu en Belgique et, au Brésil, la presse est en plein bras de fer contre Google.

On voit donc se dessiner un front uni, cherchant à faire payer les acteurs du numérique qui utilisent des contenus de presse. En tête des cibles, naturellement, Google, qui indexe les articles des journaux et les utilise notamment pour son service Google News.

Pour appuyer leurs revendications, les éditeurs comptent utiliser la voie des droits d’auteur et droits d’utilisation : nul ne devrait pouvoir utiliser leurs contenus sans leur reverser des paiements de droits. Le législateur n’ayant pas prévu le cas de figure du numérique, les éditeurs cherchent à construire une nouvelle notion, celle de « droits voisins ».

Au-delà d’une indignation un peu simpliste, sur le thème  des « géants du numérique qui pillent sans payer », il faut noter que l’ensemble du raisonnement des éditeurs est bien fragile, et fait d’ailleurs appel à différents ressorts.

Rappelons tout d’abord que les vrais titulaires des droits sont les auteurs, c’est-à-dire les journalistes. Si les éditeurs devaient obtenir gain de cause, ils devraient reverser une part, qui reste à discuter, mais sans doute importante, à leurs propres journalistes. Curieusement, on entend s’exprimer les organisations patronales, mais ni les journalistes ni leurs syndicats.

Surtout, le fondement de la revendication est difficile à entendre.

On ne saurait s’abstraire de trois notions simples :

– Les moteurs de recherche ne gagnent pas directement d’argent (ou marginalement) en référençant les contenus de presse, puisqu’ils ne les revendent pas au sens propre du terme.

– Il ne saurait y avoir de contenus payants référencés dans un moteur de recherche, de même qu’un moteur ne peut pas payer pour indexer : cette notion est absolument antinomique de ce qu’est un moteur de recherche.

– En indexant les contenus presse, les moteurs de recherche permettent aux internautes d’accéder ensuite aux contenus eux-mêmes, c’est-à-dire aux sites des journaux. Ce faisant, ils drainent des quantités essentielles d’audience pour les journaux et leurs propres applications numériques.

Face à ces arguments élémentaires, il faut lire l’argumentation des éditeurs de presse entre les lignes

Que disent-ils ?

Ils utilisent, en réalité, trois arguments dans leurs discussions avec les pouvoirs publics et les législateurs :

– Ils dépensent beaucoup d’argent pour produire des contenus, alors qu’ils sont eux-mêmes en difficulté (et ont du mal « à continuer à financer une information de qualité »),

– En produisant des contenus journalistiques, principalement la presse d’information politique et générale (une catégorie que la France semble avoir inventée…), ils exercent une sorte de mission de service public (« essentielle à la vitalité démocratique »),

– Ils reconnaissent qu’ils ne savent pas monétiser convenablement leurs audiences numériques (qui sont pourtant respectables) alors même que les grands pure players numériques y réussissent parfaitement (la presse parle de « captation de la valeur ») .

C’est sur la base de ces trois idées qu’ils demandent aux États non seulement de taxer les grands acteurs du numérique, mais également de leur reverser tout ou partie du produit de ces futures taxes…

On imagine qu’en-dehors d’Europe, pareille attitude serait difficilement concevable, mais on ne peut pas exclure que les législateurs européens cherchent à prélever sur les géants du Net de quoi soutenir leurs éditeurs de presse en difficulté.

Je doute cependant de la voie empruntée et ne vois personnellement que deux issues.

La première est fiscale, je l’ai déjà exprimée et je persiste à m’étonner que les gouvernements laissent de tels vides dans leur arsenal, permettant ainsi à des sommes considérables d’échapper au fisc, tout à fait légalement, à un moment où même les retraites sont frappées de taxes nouvelles.

La seconde, plus productive, est d’aider les groupes de presse à monnayer leurs audiences numériques.

Le problème n’est pas que Google indexe leurs contenus et redirige vers les pages internet des éditeurs des milliards de clics, au contraire, il est que la presse ne réussisse pas à en dégager des ressources significatives.

Les pouvoirs publics peuvent aider, sans doute, mais la profession doit aussi trouver ses propres solutions. Il existe aujourd’hui suffisamment de modèles dans le monde numérique pour que la presse y puise de l’inspiration, y compris au niveau européen.

L’union pour réclamer la taxation de Google ne saurait masquer la désunion au quotidien des éditeurs qui ont le plus grand mal à mener des actions commerciales communes et à unir leurs bases, alors pourtant que la principale force des pure players numériques est la taille des données qu’ils accumulent et commercialisent ensuite.

Même les entités et organisations que les éditeurs de presse ont construites ont le plus grand mal à fonctionner simplement et à obtenir des décisions d’action de la part de leurs actionnaires éditeurs. La farouche volonté d’indépendance de chacun d’entre eux, héritée de réflexes journalistiques qui ne devraient pas influer la politique commerciale, n’a pas encore cédé à la recherche d’intérêts communs, de constitution de force unie et de poids sur le marché.

Les grands acteurs du numérique n’ont pas « capté de valeur » : ils l’ont créée en s’appuyant sur leurs audiences et sur les datas qu’ils ont su commercialiser

Dans le cas précis qui nous intéresse, en France, la puissance cumulée des sites d’information des journaux, qui trustent toutes les premières places, est considérablement plus importante que celle de Google News, qui au début de l’été a glissé …à la 17ème place des sites d’information.

En clair, la presse a une puissance de feu remarquable sur Internet, particulièrement dans le domaine de l’information.

Ce sont donc les géants du secteur de l’information sur Internet (la presse) qui s’attaquent au petit poucet (Google) !

Paradoxalement, le domaine de l’information est celui où la presse a le mieux réussi sur Internet en termes d’audience et il est celui, sans doute, où elle a le moins réussi à en dégager de la valeur.

Que fait la presse de sa domination dans l’information sur internet ?

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