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Danielle Auroi: «À peine voté, le traité européen est déjà obsolète»

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Mercredi 10 octobre. Danielle Auroi, députée Europe Ecologie – Les Verts du Puy-de-Dôme et présidente de la Commission des Affaires européennes, nous a accordé un entretien exclusif dans ses bureaux de l’Assemblée nationale.

La veille, une majorité de députés a approuvé la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit Traité européen de stabilité budgétaire, par 477 voix pour, 70 contre et 24 abstentions. Danielle Auroi est parmi ces abstentionnistes alors que ses collègues du groupe écologiste ont voté majoritairement contre ce traité. Retour sur un vote la forte portée politique.

Quelques heures après notre entretien, l’Assemblée nationale devait adopter la loi organique relative au pilotage des finances publiques, intégrant en droit français les dispositions du traité adopté la veille. Explication de son vote positif par Danielle Auroi.

Au-delà de cet épisode législatif, nous avons tenu à interroger Madame la présidente de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale sur les prochains temps forts de l’actualité communautaire : le Sommet européen des 18 et 19 octobre à Bruxelles, mais aussi la mise en œuvre de grandes réformes, comme l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, et les prochaines étapes de l’intégration européenne. Entretien.

JOL Press : L’Assemblée nationale vient d’adopter le traité européen. La majorité à laquelle vous appartenez était divisée. La majorité des membres du groupe Europe Ecologie – Les Verts auquel vous appartenez a voté contre, vous-vous êtes abstenue. Pour la présidente de la Commission des Affaires européennes que vous êtes, n’était-ce pas un moment délicat ?

Danielle Auroi : C’était un moment délicat parce qu’effectivement, au sein de la commission des Affaires européennes, tous les points de vue étaient représentés – et se sont exprimés. Certains étaient « contre » – contre ce traité en raison, notamment, de sa référence historique, le fait qu’il ait été négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy –, d’autres étaient « pour » – pour les mêmes raisons de principe, j’allais dire, ou, à l’inverse, pour soutenir François Hollande, parce qu’il a ajouté au traité le pacte de croissance et la taxe sur les transactions financières.

Pour ma part, je me suis abstenue parce qu’il me semblait, qu’à l’heure actuelle, les peuples – tous ces gens qui ont défilé à Paris, à Lisbonne ou à Madrid – ont exprimé de l’angoisse et que cette angoisse doit être relayée. Je comprends le vote négatif de mes collègues du groupe écologiste qui ont tenu à relayer ces angoisses et signifier clairement que ce traité, ce qu’il symbolise, ne saurait suffire et relève désormais d’un passé dont nous espérons qu’il est derrière nous.  

Il faut bien relayer l’angoisse de ces peuples qui se disent qu’ils sont confrontés à toujours plus de chômage, à toujours plus d’austérité et que cela devient insupportable.

JOL Press : Est-ce que, néanmoins, en tant que députée écologiste, membre de la majorité présidentielle, vous êtes soulagée qu’il y ait eu une majorité de gauche pour voter ce traité – puisqu’il était assuré, ou presque, que ce texte serait adopté ?

Danielle Auroi : Je pense que c’est intéressant qu’il y ait une majorité de gauche parce que la droite se faisait une espèce de joie de dire à la gauche – nouvellement au gouvernement – vous êtes pris en otage. Eh bien, non…

Il n’y a pas d’otages, il y a la liberté de penser de chacun. Et, la liberté de penser, c’est la moindre des choses pour des parlementaires.

JOL Press : Vous évoquiez ce « non » de gauche censé exprimer les difficultés que connaissent les peuples européens, leur mal de vivre. Pour vous, à voter ce traité, on nie, ou sous-estime, les difficultés que connaissent ces peuples ?

Danielle Auroi : Ce n’est pas nier les difficultés que traversent les peuples. Je pense que les dirigeants de gauche qui ont voté « oui » en sont tout à fait conscients. Ils ont voulu donner une majorité au président de la République avec l’ambiguïté qu’il y a dans toutes négociations. Parce qu’effectivement la négociation qui a eu lieu, à l’initiative de François Hollande en juin, était tout de même assez ambiguë.

Nous sommes aujourd’hui dans une phase nouvelle. Puisque le traité est voté par suffisamment d’États, il va s’appliquer. Même s’il est déjà quelque part obsolète.

Quand la BCE permet au Portugal de disposer d’un an de plus pour régler ses problèmes financiers, la BCE est en train de desserrer un étau – étau qu’établissait le traité. On voit que le traité n’est déjà plus forcément applicable. Je ne suis pas sûre que, même s’ils l’ont inscrit dans le marbre, la Grande-Bretagne ou l’Italie puissent honorer les 3%. Ce mythe des 3% est déjà un objet du passé.

D’un point de vue français, la question que nous devons nous poser alors que débute le débat budgétaire, c’est comment on peut établir un budget qui a du sens pour, non seulement, continuer à construire l’Europe – car on voit bien que c’est l’échelle sans laquelle rien n’est possible sur le plan international – mais, d’autre part aussi, un budget qui soit socialement plus équilibré, plus juste, pour que l’on cesse d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres. Le sport national en France au cours des cinq dernières années.

JOL Press : Il y a deux volets dans l’épisode parlementaire en cours. Le vote du traité européen mardi 9 octobre, et le vote de la loi organique qui l’accompagne ce mercredi 10 octobre. Votre position est différente sur ce deuxième texte…

Danielle Auroi : À titre personnel, je vais voter cette loi organique, comme une bonne partie des écologistes. Il y a deux raisons pour cela.

La première, c’est que, certes, elle découle du traité, mais il y a des amendements que nous avons proposés – et qui sont passés. Ainsi, lorsqu’on fera des investissements dans l’économie verte, ce ne sera pas considéré comme de la dette, puisque c’est du crédit pour les générations futures. C’est une des dispositions qui ont été acceptées.

La deuxième raison pour laquelle il me semble possible de voter la loi organique, c’est que, justement, ce que voulait la droite absolument, c’est-à-dire inscrire des pourcentages dans une constitution – un comble – ne s’est pas réalisé. Ces pourcentages ne seront pas dans la Constitution mais dans une loi organique qui peut, à tout moment, être revue. Nous y voyons donc beaucoup moins d’inconvénients.

JOL Press : Étape suivante, c’est le Sommet européen des 18 et 19 octobre. Qu’attendez-vous de ce Sommet ?

Danielle Auroi : J’attendrais déjà d’en connaitre l’ordre du jour exact. Parce que ce qui est un peu ennuyeux, c’est que le Conseil – car, là, c’est inter-gouvernemental – n’a pas fourni l’ordre du jour.

Si les Parlements nationaux et le Parlement européen avaient leurs places dans ce dispositif, ils exigeraient d’avoir à ce jour un ordre du jour clair, où l’on traite y compris des difficultés des uns et des autres. Et là, on voit bien que, comme d’habitude, au dernier moment, on va avoir un « néo-sommet de la dernière chance ». J’espère bien que ce sera le dernier.

JOL Press : Vous êtes parlementaire française, vous avez été parlementaire européenne… La coopération entre les Parlements nationaux et le Parlement européen, c’est un sujet qui vous tient à cœur. Quelles formes devraient prendre cette coopération ?

Danielle Auroi : C’est cet aspect qui me permet de justifier mon abstention sur le vote du traité européen. L’article 13 de ce traité précise que les Parlements, sur les finances de l’Europe, doivent être saisis en amont des questions, au même titre que la Commission européenne aujourd’hui. Les commissaires européens, sans détenir pour autant un pouvoir décisionnaire, sont informés des budgets des États en avance.

Le même exercice de la part du Parlement européen, qui a forcément une prééminence dans cette affaire – dans un débat avec les Parlements nationaux -, cela permettra aux seuls représentants directement élus des citoyens au sein de l’Union européenne d’avoir leurs mots à dire sur ce qui est le nerf de la politique, l’argent.

JOL Press : Puisque vous parlez d’argent, on parle beaucoup de la taxe sur les transactions financières. Vous y êtes favorable. Etes-vous optimiste quant à sa mise en œuvre prochaine ?

Danielle Auroi : Pour m’être battue lorsque j’étais au Parlement européen avec Harlem Désir sur ce que l’on appelait alors la taxe Tobin, et avoir échoué de 7 voix, aujourd’hui, je considère comme une bonne chose les progrès réalisés dans le sens d’une mise en œuvre de cette taxe.

Une bonne chose pour deux raisons. La première, c’est que, jusqu’à hier – littéralement – on n’était pas sûrs qu’il y ait 9 États qui veulent partir en coopération pour engager sa mise en œuvre. Aujourd’hui, on sait qu’il y en a onze qui ont signé, donc la taxe va être établie au niveau européen, comme elle est en train de l’être au niveau français.

Pour la première fois, même si c’est à un taux extrêmement réduit, il y aura une taxe sur la spéculation, une taxe sur les flux financiers. L’argent récolté servira, d’une part, à satisfaire – c’est normal compte tenu de la situation aujourd’hui en Europe – les besoins sociaux, à essayer de faire un peu contrepoids à cette montée du chômage, mais aussi, d’autre part, à la coopération avec les pays du Sud, son objectif initial. On a beaucoup pillé pendant quelques siècles… Ce sera un premier signe que la finance n’est plus toute puissante, que le politique reprend un petit peu la main.

JOL Press : Le « non » d’Europe Ecologie – Les Verts n’est pas un « non » anti-européen. Quelle est, selon vous, la prochaine étape dans la voie de la fédéralisation ?

Danielle Auroi : D’abord, effectivement, le « non » d’EELV est un « non » d’alerte, un « non » social.

La prochaine étape pour nous, qui sommes des fédéralistes convaincus… Quand on voit le commissaire Barroso qui n’est quand même pas très connu pour ses positions « sociales » dire qu’il faut faire l’ « Europe sociale », ressortir les vieux projets de Monsieur Delors, on se dit que, enfin, débattre de l’Europe, en faire un outil démocratique est crucial.

Il faut aller vers plus de fédéralisme, définir davantage de domaines, de politiques sur lesquels c’est l’Europe qui décide – avec une représentation directement élue par les peuples. Parallèlement, les États gardent des prérogatives, bien plus clairement définies.

Tout cela sera utile à tous les peuples, les peuples européens en premier lieu, mais aussi les autres peuples, car l’Europe aura une valeur d’exemple.

JOL Press : En tant que présidente de la Commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, êtes-vous satisfaite de l’implication de vos collègues sur les questions européennes ?

Danielle Auroi : Oh, il y a encore du travail. Certes, je ne parle pas de ceux qui siègent à la commission des Affaires européennes parce que, là, ce sont plutôt les convaincus. Donc 48 convaincus sur 577… vous voyez, il y a encore une marge de progrès qui est atteignable.

Je pense que beaucoup de mes collègues ignorent encore largement la réalité des mécanismes et ont tendance à penser que, l’Europe, cela peut être la France en grand. Alors que l’Europe, cela ne peut être que le compromis, parce que si chacun reste recroquevillé sur ses points de vue nationaux, on ne risque pas de faire avancer un projet fédéral.

Donc cela exige une meilleure connaissance. Cela passe par du volontarisme des membres de la commission des Affaires européennes – mais ils sont tous très motivés et, de ce point de vue-là, ce sont d’excellents relais. Puis cela passe aussi, et nous avons commencé à le faire, par un travail transversal avec d’autres commissions. Ce n’est pas dans la culture parlementaire française, mais cela va nous aider tous à réaliser que tous les sujets sont désormais traversés par la question européenne.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press. Images réalisées par Louise Michel D.

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