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Edmond Francey: «L’art contemporain poursuit son envolée»

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Christie’s a choisi la période de la Fiac pour présenter à quelques happy few  les pièces maîtresses proposées à sa prochaine grande vente d’art contemporain à New York le 14 novembre 2012, dont l’oeuvre la plus spectaculaire est la fameuse Statue of Liberty d’Andy Warhol.

Quand Andy Warhol célèbre la Statue de la Liberté

Estimée à plus de 35 millions de dollars, cette oeuvre est l’une des seules de la série de 1962, qui expérimente la technique en 3D, à être encore entre des mains privées. Les deux autres oeuvres en 3D sont conservées dans des institutions publiques : l’une au Kunstmuseum de Bâle en Suisse (Optique Car Crash), l’autre est une version réduite de Statue of Liberty qui se trouve au Musée Andy Warhol de Pittsburgh. De plus, comme on célèbre cette année le 126ème anniversaire de la Statue, Christie’s s’attend à pulvériser la cote du pape du pop art

Des charmes feutrés des salons Christie’s…

Une des autres oeuvres-phares de la future vente est un éblouissant tableau de Jean-Michel Basquiat peint en 1981, toile rare qui a été peu exposée et qui est pressentie aussi pour faire naître de fortes fièvres enchérisseuses. L’accrochage de cette mini-exposition est digne d’un musée : Yves Klein côtoie Dubuffet, Joan Mitchell, Pierre Soulages, Cy Tombly, Calder ou encore Louise Bourgois... Des gestes forts, des oeuvres chocs. Que du « lourd», comme disent les rappeurs, qui prend toute sa dimension dans les beaux salons feutrés de la célèbre maison de ventes aux enchères, avec moquette profonde et bois clair. François Pinault en personne a fait le déplacement pour l’inauguration de cette présentation exceptionnelle. Un silence religieux entoure les visites. Ici, luxe, art et excellence.

… au bouillonnement de la Fiac

Quel contraste avec le Grand Palais à deux pas, où la foule se fraye un passage pour découvrir les surprises de l’édition 2012 de la Fiac ! >lire notre article sur la Fiac 2012. Paris est pour quelques jours the place to be pour les acheteurs et collectionneurs du monde entier. L’occasion de faire le point sur un marché qui résiste étonnamment bien à la crise avec Edmond Francey, spécialiste du département Art contemporain et Après-Guerre chez Christie’s, qui partage avec nous sa vision sur l’évolution de cette économie si singulière. 

JOL Press : La Fiac vient de commencer et vous vous préparez à vos prochaines grandes ventes d’art contemporain. Quelle est votre analyse de la situation du marché de l’art aujourd’hui en 2012 ? Toujours pas de crise en vue ?

Edmond Francey, Christie’s: Si nous parlons des grandes pièces exceptionnelles, sans nul doute, le marché a été formidable cette année.  Nous allons voir ce que notre grande vente de New York obtiendra, mais nous avons pulvérisé cette année plusieurs records du monde, les acheteurs ont été nombreux, les ventes multiples et importantes, tant par le nombre de pièces vendues, que par la qualité des oeuvres. Donc non, pas de crise en vue, le marché poursuit son envolée. L’art est peut-être une valeur refuge, pas seulement pour des raisons financières, mais aussi parce que c’est un achat de coeur. Alors par temps de doute, la passion est le meilleur des antidotes.

JOL Press : Pouvez-vous nous citer quelques-uns de vos records récents?

Edmond Francey, Christie’s : Sans nul doute le Yves Klein qui s’est vendu pour 40 millions de dollars cette année : du jamais vu ! Et puis, pour ce qui est d’un record à venir, je parie sur ce somptueux Basquiat que nous vendrons le 14 novembre à New York. Ce tableau, qui vient d’une collection privée, a été exposé à la Fondation Beyeler et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Il a été créé au tout début du parcours fulgurant de Basquiat. On y trouve déjà une sécurité dans la ligne, une force et en même temps une joie, une profusion : c’est comme si le talent à l’état pur jaillissait soudain devant nous… Je prends le pari qu’il dépassera son précédent record du monde, 20 millions de dollars,  obtenu en juin dernier à Londres.

JOL Press : Le marché de l’art contemporain est mondial. Quelles sont les positions respectives des différentes places du marché : New York, Londres, Paris… ?

Edmond Francey, Christie’s : La première place reste New York, de loin. Pour de nombreuses raisons : il y a de grands collectionneurs et de nombreux musées et fondations. Il y a aussi le fait que les 50 dernières années ont vu l’émergence d’artistes américains majeurs qui ont dominé la scène internationale. Londres est devenue une place importante avec de belles ventes en octobre, février et juin, trois rendez-vous qui sont maintenant très suivis. Le dernier record du monde pour un Basquiat, comme je vous le disais a été obtenu lors des ventes de juin dernier à Londres. Quant à Paris, c’est une place qui a été historiquement forte et qui devrait être encore plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’est. Il y a eu un déclin depuis les années 1980 et aujourd’hui, alors que les conditions financières d’achat et de vente, sont les mêmes partout dans le monde, Paris n’a pas encore reconquis la place qu’elle mérite. Il va y avoir une vente le 3 décembre : nous allons voir si Paris se révèle !

JOL Press : Avez-vous eu très peur lorsqu’il a été question récemment de taxer les oeuvres d’art en France?

Edmond Francey, Christie’s : Peur, non, pas vraiment. Car je n’y croyais pas. Cela aurait été tellement inapproprié : on ne peut pas juger une oeuvre d’art uniquement sur des critères financiers. Il y a l’affectif, la transmission, les prêts et les dons aux musées… D’ailleurs, aucun autre pays au monde n’a jamais imposé les oeuvres d’art : c’est bien que cela n’a pas de sens. Et du reste, même si parfois certaines voix s’élèvent ici ou là, il me semble qu’il y a un consensus sur le sujet, quelque soient les partis.

JOL Press : Ce genre de débat nuit-il à la sérénité du marché français? Pensez-vous que cela crée un sentiment d’insécurité chez les collectionneurs?

Edmond Francey, Christie’s Non, je ne le pense pas. Cette situation est tellement improbable qu’elle n’a pas d’incidence selon moi. D’autant que si des mesures contre l’art étaient prises, les premières personne qui en souffriraient seraient les artistes et les galeries. Et la France a quand même une politique culturelle affirmée pour encourager la création.

JOL Press : Parlons justement d’actions en faveur de la création. Que pensez-vous de l’initiative de la Fiac cette année pour mettre en valeur les jeunes créateurs et renouer ainsi avec sa vocation première?

Edmond Francey, Christie’s Je pense que le parcours pour les jeunes artistes est difficile. Mais je pense aussi qu’il est impossible de faire des généralités, car l’art n’est composé que de cas particuliers! C’est ce qui fait sa magie. Et sa complexité. En France, la situation des artistes est meilleure qu’il y a quelques années. Les initiatives de soutien sont toujours bonnes, mais elles ne sont jamais ni suffisantes ni décisives. Toutefois, il est notable qu’en France, les artistes sont davantage reconnus et disposent désormais de scènes d’exposition majeures. Le Centre Georges Pompidou expose en ce moment Bertrand Lavier et Adel Abdessemed par exemple, Laurent Grasso était au Musée du Jeu de Paume. Et puis, il existe aujourd’hui des galeries très fortes avec une vraie surface d’action internationale: je pense à Emmanuel Perrotin, Kamel Mennour, Thaddeus Ropac… C’est pourquoi, avec des artistes plus présents, des galeristes de qualité, des musées qui se consacrent davantage à l’art contemporain, la France a beaucoup progressé pour préparer sa reconquête du marché de l’art.

JOL Press : Un mot sur les nouvelles places asiatiques. Sont-elles aujourd’hui présentes sur l’art contemporain ?

New York reste la référence incontournable. Hong Kong est une place récente. Ce n’est pas comparable. L’art contemporain occidental y est marginal. Nous y vendons surtout de l’art asiatique. Il faut du temps pour qu’un marché se construise et prenne des repères de fond. Le basculement de l’économie de l’Atlantique vers l’Asie va inévitablement s’accompagner d’une construction nouvelle du marché, mais cela ne se fera pas immédiatement.

JOL Press : Qu’en est-il de l’art contemporain chinois qui a connu une forte spéculation au début des années 2000 ? Les artistes chinois vont-ils devenir les maîtres de demain ?

Il y a un bouillonnement créatif en Chine. Au début des années 2000, on a senti cette envie de venir vers l’Occident, de mêler tous les vocabulaires. Mais là aussi, il faudra du temps pour pénétrer un langage, ses codes, ses références. Le marché aura besoin de quelques années pour mûrir. L’art, contrairement à ce que certains pensent, ne naît pas seulement d’une inspiration; il est aussi le fruit d’une époque, d’un univers. Il va être passionnant d’observer comment les oeuvres d’art et les artistes seront amenés de plus en plus à interroger la scène mondiale. Mais à un rythme qui ne peut pas occulter le sens profond.

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