Site icon La Revue Internationale

En Allemagne, on paie les femmes pour qu’elles restent chez elles

angela-merkel.jpgangela-merkel.jpg

[image:1,l]

Une mesure dépassée

La promesse faite par la chancelière Angela Merkel à son partenaire conservateur de la coalition, l’Union Sociale Chrétienne (ou USC), de promulguer une subvention à la garde d’enfants afin de laisser les tout-petits hors des garderies publiques, abaissera le nombre de femmes salariées en Allemagne. Il s’agit d’une mesure rétrograde, alors que l’Union européenne propose des quotas de femmes dans les conseils d’administration. Et cela n’aidera pas l’Allemagne dans sa quête pour améliorer son taux de natalité.

Pendant deux années consécutives, le magazine Forbes a couronné Merkel comme étant la femme la plus puissante du monde. À juste titre : elle a dirigé son pays loin des vagues de récession qui ont balayé une grande partie de l’Europe et des États-Unis. Aujourd’hui, le destin de l’Union européenne repose entre les mains de cette ancienne physicienne qui a grandi derrière le rideau de fer. Elle est un modèle pour les femmes qui aspirent à atteindre les sommets de la politique internationale, mais son propre gouvernement est en voie de retirer les femmes du monde du travail en Allemagne.

La subvention à la garde d’enfants n’enrayera pas le faible taux de natalité

Le projet « Betreuungsgeld », ou « subvention à la garde d’enfants », ne résoudra pas le problème de natalité en Allemagne. Au lieu de cela, il ne fera qu’aggraver le faible pourcentage de mères ayant un pied dans le monde du travail, dans un pays qui dispose déjà d’un écart de rémunération entre hommes et femmes de près de 20%.

Le PIB de l’Allemagne est resté relativement important par rapport à la croissance anémique qui touche d’autres parties de l’Europe, mais son taux de fécondité est au contraire très bas. À environ 1,4%, le taux de fécondité de l’Allemagne est à égalité avec celui de la Grèce, qui tombe déjà sous la norme, où deux enfants par femme est le taux de renouvellement pour la population. Le slogan « Made in Germany » ne semble pas s’appliquer à la croissance naturelle de la population.

Le difficile équilibre entre travail et vie de famille

Bien que le gouvernement ait mis en place de nombreuses mesures pour inciter les couples à avoir des enfants, y compris une allocation parentale généreuse, en Allemagne, les femmes trouvent particulièrement difficile de concilier travail et vie de famille. Les places limitées dans les garderies publiques, les cloches d’écoles qui sonnent tôt le matin et les pressions sociales ont conduit les femmes allemandes à penser qu’avoir des enfants et une carrière s’excluaient mutuellement.

Garder les enfants à la maison pour désengorger les garderies publiques

Dans ce contexte, la plus jeune ministre du cabinet de la chancelière Merkel, Kristina Schröder, a lancé une nouvelle législation, adoptée par le partenaire conservateur de la coalition gouvernementale, l’USC de Bavière, qui récompensera les familles avec une subvention mensuelle si elles gardent leurs enfants en bas âge à la maison, et non dans les garderies publiques.

Le « Betreuunsgeld » incitera les femmes à rester chez elles, et fournira une couverture pour un gouvernement qui s’est engagé à offrir une place dans les garderies publiques à chaque enfant de un à trois ans avant août 2013. Les autorités locales rapportent qu’elles auront à se démener pour répondre à une pénurie actuelle journalière de 130 000 places.

Refonder le système de garderie et supprimer les contraintes professionnelles 

Au lieu de payer les femmes à rester à la maison, les ressources devraient aller aux professionnels de garde et aux divers équipements et installations, afin que les femmes allemandes puissent retourner travailler quand elles le désirent.

Par rapport aux autres pays industrialisés, les mères allemandes ont tendance à ne pas retourner travailler. Selon une récente enquête du ministère fédéral des Affaires familiales, 16% des femmes ayant des enfants travaillent à plein temps, contre 46% pour les femmes sans enfants.

Afin d’augmenter son taux de natalité, l’Allemagne pourrait supprimer les contraintes pour les femmes dans le milieu du travail. Des hauts taux de natalité et une participation élevée des femmes dans le monde du travail sont directement liés. La subvention pour la garde d’enfants n’est pas le chemin à prendre pour rapprocher ces deux variables.

Une mesure contestée au sein-même de la coalition

Si l’on met de côté l’opposition des sociaux-démocrates et leur appel à établir une procédure judiciaire devant la Cour constitutionnelle contre cette subvention pour la garde d’enfants, de nombreux législateurs de la coalition gouvernementale également ne voient pas pourquoi la chancelière serait redevable de son jeune partenaire conservateur de Bavière. Un nombre suffisant de législateurs dans le propre rang d’Angela Merkel n’ont pas ressenti le besoin de rester à Berlin, un vendredi après-midi de juin, pour voter cette mesure, et maintenant les démocrates libéraux, dans sa coalition, menacent de torpiller le projet de loi.

Alors que l’Allemagne et ses partenaires européens font des choix difficiles afin de rétablir la confiance dans la zone euro, est-il nécessaire de prévoir une dépense d’environ 1,5 milliard d’euros sur les deux prochaines années, qui ne fera que renforcer les rôles, dépassés, liés aux genres ? Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le plan « Betreuungsgeld » en Allemagne ne fera qu’exacerber la participation déjà faible des femmes dans le monde du travail, un indicateur qui avance main dans la main avec le faible taux de fécondité en Allemagne.

Donner de l’argent aux parents n’a pas conduit à une hausse, même légère, du taux de natalité ; la chancelière allemande devrait donc peut-être prendre note de la représentation louable des femmes dans son propre cabinet, et s’appliquer à donner une présence similaire dans le monde du travail afin d’assurer une future croissance en Allemagne et en Europe.

Sudha David-Wilp est administratrice de programme au German Marshall Fund des États-Unis, travaillant dans son bureau de Berlin. Auparavant, elle a supervisé le Groupe d’étude du Congrès sur l’Allemagne, un programme pour les législateurs au Capitole et au Bundestag.

Global Post / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

Quitter la version mobile