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Ghyslaine Pierrat analyse le débat Obama-Romney

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JOL Press : Comment avez-vous considéré ce premier débat Obama-Romney de la campagne présidentielle américaine ?

Ghyslaine Pierrat : Comme je l’ai écrit dans mon ouvrage La communication n’est pas un jeu, le débat pour la Présidentielle ne peut pas faire gagner une élection, mais il peut à tous les coups la lui faire perdre. Sur le fond, ce premier débat a été davantage centré sur l’économie, les impôts, la fiscalité, la santé et la gouvernance contemporaine

Sur la forme, le décorum du débat de Denver a renforcé l’institutionnel et c’était une perfection technique qu’il faut saluer, éclairages sophistiqués, sons parfaits, couleurs calculées, franchement très bien. Sur la forme encore, tout d’abord ce débat est le premier des trois débats, avant celui du 16 octobre à Hempstead (État de New York), et celui du 22 octobre à Boca Raton en Floride. Le manque d’interaction de la part de Barack Obama, alors que Romney était tourné vers lui, a diminué la dynamique d’Obama. Le fait de les voir, debouts, à un pupitre, sans être face à face et assis comme en France, donnait parfois une impression de duplex différé, aux réponses un peu trop longues. Dans le public, les familles et amis étaient invités. Les journalistes de la presse écrite ont finalement été quelques-uns à avoir été admis avec les invités, une négociation a eu lieu. Et leur présence était naturelle.

Ce débat a été très important, il sera très commenté sur l’effet de surprise qu’il a dégagé. Il peut se traduire dans les sondages. Il va booster Romney et ses équipes. Permettez-moi d’insister sur l’originalité du terme du débat. Les embrassades avec les familles ont été surprenantes pour nous, Français, et les accolades, avec grands sourires entre les deux candidats, aussi. C’est la tradition américaine, mais tout de même, ce moment a été très curieusement fusionnel.

JOL Press : Selon vous, comment est apparu Barack Obama ?

Ghyslaine Pierrat : Avocat de formation, Barack Obama est apparu cérébral, concentré et moins combatif que prévu. Transformé par les quatre années qu’il vient de passer, quatre années où il a fallu batailler au Congrès, avec une opposition constante et férue d’obstruction, notamment pour la réforme du système de santé. Certes, cette réforme est timide, mais elle existe, et c’est un bon début. Sur la « Obamacare », il faut aller plus loin et plus vite. C’est du registre de l’exigence du progrès de l’humanité, pas celui de la légendaire liberté américaine.

Quatre années où nous avons vécu une crise mondiale et plurielle, quatre années où la « guerre économique » se conjuguait avec une « guerre de la finance », notamment en 2008. La décision devant l’affolement des marchés de créer un stimulus package de 780 milliards de dollars n’était pas facile à prendre. La recherche de solutions pour éviter l’effondrement de l’industrie automobile, non plus. Ce fut une réussite d’Obama. Quatre années où en chef d’État, des décisions ont été prises en politique étrangère avec la neutralisation de Ben Laden, l’arrêt de la guerre avec l’Irak. Mais le Barack Obama 2008 n’a pas été le Barack Obama 2012 ! De peur d’apparaître méprisant et arrogant, il a été trop froid, linéaire dans le phrasé. Il n’a pas été assez accrocheur et combatif. Il n’a pas évoqué suffisamment Bill Clinton, dont la notoriété est forte aux États Unis. Il n’a pas su adopter une position d’attaque non agressive. Il n’a même pas cité la maladresse de Romney des 47 % « d’assistés » qu’il déplorait en réunion politique. Pourquoi ?  Il n’a pas su mettre suffisamment l’accent sur son bilan, qui est positif sur beaucoup de points, ni su faire vivre son slogan « Forward » (en avant), moteur de son action concrète.

JOL Press : Et qu’avez-vous pensé de Mitt Romney ?

Ghyslaine Pierrat : Mitt Romney est le challenger républicain qui, évidemment, appelle au changement. Il est soutenu par une importante communauté et de gros soutiens financiers. Il est pénalisé par deux facteurs. D’abord, sa revendication religieuse comme atout d’autorité morale. Sa religion mormone est sur toutes les lèvres électorales et elle n’est pas une garantie de compétence pour le « job » de Président. Sa culture, ancienne depuis cinq générations, est-elle celle qui a façonné sont identité ? On peut le penser. Prisonnier de celle-ci, Mitt Romney peut difficilement apparaître « indépendant » de toutes pressions. Ensuite, surtout, il semble appartenir à un autre univers. De ce fait, sa vision politique semble très liée à sa religion et ses fondements. Il apparaît comme moins synchronisé à l’époque, moins opérationnel en temp réel.

Mais cette nuit – et je l’ai souligné par mes Tweets en direct du débat -, Mitt Romney a été plus performant, il est sorti des points d’interrogation et d’une myriade de doutes sur ces convictions. Il a essayé d’être offensif pendant le débat. Il avait ce sourire bienveillant à la bouche, qui le rendait sympathique. Il interpellait avec finesse Obama. Son corps tourné vers Obama lui donnait un plus de franchise, il le regardait très souvent en face. Il n’était pas agressif, mais il était ferme sur les propos et lui répétait qu’il avait eu quatre ans et que ce n’était pas, selon lui, une réussite. Il a dominé le débat.

JOL Press : C’est donc Mitt Romney qui vous a semblé le plus à l’aise ?

Ghyslaine Pierrat : À ce niveau d’exercice, ils sont à l’aise tous les deux, très entraînés par leurs conseillers… Ce sont des tribuns en convention, et des intervenants rompus aux techniques de la communication audiovisuelle et de vrais débatteurs. Romney a été très à l’aise, très détendu, souriant, offensif et montrant qu’il avait lui aussi une stature de chef d’État. Obama a été moins à l’aise et ce, durant tout le débat.

J’ai constaté que Mitt Romney était très entouré par ses conseillers Karl Rove et Matt Rhoades. Tout comme par son spin doctor Eric Fehrnstron, qui a multiplié les interviews à tous les journalistes à la fin du débat, répétant inlassablement que Romney avait été le meilleur. Les conseillers d’Obama semblaient en revanche moins présents : Valerie Jarrett, David Axelrod et Stéphanie Cutter

JOL Press : Selon le langage du corps, qui a pris l’ascendant sur l’autre ?

Les attitudes comportementales sont toujours très révélatrices des sentiments profonds aux questions, et des efforts pour ne pas être pris en flagrant délit d’incompétence ou de mensonge. Les yeux au ciel révèlent la gêne de l’un, les pincements de lèvres, l’auto-censure de l’autre. Soit l’un opte pour laisser répondre l’homme, soit il opte pour laisser répondre la fonction. Le premier cas va créer un lien avec la salle, grimaces drôles faisant de l’humour, tête penchée, sourires… Il use de l’indulgence et de la complicité avec la salle, comme l’a fait Romney. Le second va laisser parler l’institutionnel, la fonction, laissant un corps assez raide et droit, comme l’a fait Obama. Il exprime le souhait d’apparaître celui qui est le plus rationnel et opérationnel sachant se contrôler. La gestuelle « bras ouverts » et haussements d’épaules de Romney a laissé apparaître de l’impuissance, mais sans agressivité et plutôt exprimé de la compassion pour Obama, ce qui a déstabilisé ce dernier.

Barack Obama a l’expérience de président et n’a pas semblé, en non-verbal non plus, avoir l’ascendant. Son charisme et sa présence physique n’ont pas crevé l’écran. Il a opté pour une stratégie non-verbale, comportementale, gestuelle et morpho psychologique plus ancienne, à l’identique des années 1960, regardant droit devant la caméra. Il est resté sur le même registre toute la soirée, ce qui l’a fait apparaître, en retrait et pas suffisamment offensif, ardent et guerrier dans l’âme, comme si c’était la première fois. Ce sont des erreurs de communication politique.

Dans une situation plus empruntée, en difficulté dans les sondages récents, Mitt Romney est apparu très à l’aise dans son expression non-verbale. Selon les enseignements de l’école de Palo Alto en Californie – que j’apprécie -, on remarque une métamorphose de la gestuelle de Mitt Romney, d’habitude sous contrôle, avec son visage et sa mâchoire qui ont souvent laissé apparaître une colère intérieure. Il n’avait plus ses inclinaisons de tête, qui dévoilaient une gêne ou une volonté de dissimuler certains aspects de son parcours de vie. Il est apparu, en non-verbal, très sympathique et bienveillant, avec une expression de léger sourire permanent. Il se voulait accessible et parlait comme avec des amis, décontracté, surprenant chacun. Il a visiblement opté pour une stratégie « soft » et pugnace, qui a marché.

JOL Press : Finalement que retenez-vous de ce débat ?

Ghyslaine Pierrat : Ce débat a été très intéressant et, de le vivre en direct, grâce à la chaîne d’infos iTélé , était pour moi, « spin doctor à la française », un vrai plus. Bravo à cette chaîne, c’était une performance. Et la journaliste sur place, Laurence Haïm, a été très étonnante, compétente, et a réussi la prouesse d’interviewer en direct le conseiller de Romney. Ce n’était pas facile. Chapeau. Selon moi, ce débat a été un peu trop technique pour impacter dans l’imaginaire collectif. Ce qui ressort de ce débat, c’est surtout la prouesse de Romney, sa bravoure joviale à vouloir interpeller Obama. Et aussi, a contrario, la mise en retrait d’Obama et son ton linéaire permanent.

JOL Press : Si vous aviez un conseil à donner à chacun de ces candidats en matière de communication, quel serait-il ? À Barack Obama d’abord…

Ghyslaine Pierrat : On ne vote pas pour un bilan mais pour le futur. S’il est important d’informer, de rappeler les essentiels, il est nécessaire d’être le Président d’aujourd’hui et de demain. En ma qualité de « spin doctor à la française », je conseille à Barack Obama d’évoluer sur sa stratégie de communication politique. Il doit être le Président de tous les espoirs. Il doit s’appliquer à créer du lien social et à démontrer, avec pédagogie, qu’il a encore mieux compris son pays, les Américains et leur anxiété sociale. S’il a favorisé quatre millions d’emplois, il ne faut pas oublier que trois millions d’Américains ont perdu leur maison. Nous tous, en France, nous n’avons pas oublié ces images traumatisantes de ces Américains avec leur lit et leur frigo sur la pelouse de leur ancienne maison. Il serait préférable qu’il abandonne ses habitudes oratoires axées sur les prompteurs et qu’il se dégage de ces automates. Il peut  se « lâcher » pour aller vers les instants uniques de communion avec les publics, avec le peuple américain. Enrichi de l’expérience présidentielle, il sait aujourd’hui tout le potentiel de la fonction présidentielle. Barack Obama doit davantage être l’homme d’actions audacieuses d’aujourd’hui et maintenant, qui  laissera aussi son empreinte dans l’Histoire. De plus, même si l’élection ne se fait pas sur la politique étrangère, il doit être ferme sur un Iran nucléarisé, sur sa relation avec l’Europe, au lieu de s’en excuser. Le débat qui portera sur la politique étrangère pourra faire la différence.

JOL Press : Vos conseils à Mitt Romey ?

Ghyslaine Pierrat : Mitt Romney va être galvanisé par sa réussite oratoire et va savourer cet événement. Il sera encore plus redoutable au prochain débat. Il doit éviter les dissimulations et mensonges relevés dans les médias américains, repris en France par tous les quotidiens. Mitt Romney a une image patriarcale autour d’une famille nombreuse qui a été mise en scène et, incontestablement, son épouse est plus qu’un « atout charme » du candidat. Intelligente, perspicace, elle aide considérablement à humaniser le candidat… S’il est libre d’avoir une préférence religieuse, je ne crois pas que sa revendication religieuse soit un atout et une garantie pour être élu. Mitt Romney doit préparer le prochain débat sur la politique étrangère avec précision, et montrer qu’il a une vraie vision. En France, nous attendons naturellement un propos sur notre pays, qu’il connaît bien puisqu’il y a été « en mission mormone » pendant deux ans… 

JOL Press : De manière plus générale, que pensez-vous du ton de cette campagne américaine ?

Ghyslaine Pierrat : La campagne américaine 2012 est différente par sa gravité politico- économique-sociale et, de ce fait, a eu de nombreux accents rooseveltiens. Les enjeux sont clairs : emplois et économie, la sécurité des Américains après les traumatismes aussi cruels qu’injustes qu’ils ont subis. Les valeurs morales sont aussi attendues que réclamées dans ce contexte de crise économique mondiale. Fidèle à la tradition, les débats politiques américains existent depuis septembre 1960, ce premier débat a donné la place aux différences d’idées entre les deux candidats. 

JOL Press : Pensez-vous que l’usage très sytématique de la publicité politique négative a développé un climat de violence ?

Ghyslaine Pierrat : À propos de la publicité politique et des différents pugilats qu’elle engendre, naturellement, je regrette cette avalanche de spots à tonalité négative, que Bill Clinton qualifie : « de donner l’envie de prendre une douche après les avoir vus ». Ils sont permanents et quotidiens, parfois mensongers. Ils ne font pas honneur à la démocratie. L’élection de 2012 est-elle différente cette année par sa violence dans les spots ? Je crois que c’est une constance et que c’est déplorable. Cela indispose « l’opinion publique mondiale »,  qui est née sous l’effet de la mondialisation. Il reste 32 jours de campagne. Rien n’est jamais gagné. Rien n’est jamais perdu. « Forward » (en avant) !

[image:2,s]Ghyslaine Pierrat est docteur en communication politique et économique.

Elle se qualifie de « spin doctor à la française » et conseille hommes politiques et industriels.

Elle est l’auteur de La communication n’est pas un jeu ( L’Harmattan).

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