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Jean-Noël Kapferer: «Le luxe français a un grand avenir»

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Avec la montée en puissance des marché émergents (Chine, Brésil…), le secteur du luxe affiche depuis le début du XXIème siècle un bilan de santé insolent qui semble résister aux crises mondiales. Réalisée pour la Fondation Altagamma, qui réunit les grands noms du luxe italien, une étude du cabinet Bain & Company révèle que la croissance du marché mondial du luxe pourrait atteindre jusqu’à 12 %.

L’Asie reste le principal moteur de croissance en 2012, notamment les Chinois. Bain & Company prévoit une augmentation des dépenses en produits de luxe de 7% pendant les vacances, mais les consommateurs chinois, chez eux et à l’étranger, représenteront à eux seuls 25% des ventes mondiales, contre 24% pour les Européens, 20% pour les Américains et 14% pour les Japonais.

Jean-Noël Kapferer, expert mondial des problèmes de marques et co-auteur de Luxe oblige (Editions Eyrolles), avec Vincent Bastien, revient pour JOL Press sur cette étonnante croissance.

Comment expliquer de tels chiffres au regard de la conjoncture ?

Jean-Noël Kapferer : D’une part, la conjoncture ne touche pas tous les pays de la même façon. Même si la croissance est plus faible cette année en Chine, le pays continue de croître, donc de fabriquer des riches ou des jeunes managers à fort potentiel de revenu disponible pour des achats identitaires (nous préférons ce mot à celui d’ostentatoires). Sans parler du Brésil par exemple en croissance, ou même de l’Allemagne qui se met à aimer les produits de luxe alors qu’elle était jusqu’alors très attachée aux produits premium (produits d’une marque nationale positionnée haut de gamme).

De plus, même en situation de crise, les riches restent riches et portent leurs acquisitions sur des valeurs sûres, plus chères mais de qualité, sur de bons investissements. Ceux qui arrêtent d’acheter sont les excursionnistes qui achetaient des produits perçus comme luxueux mais qui ne le sont pas. Plus fondamentalement, nous avons montré que le luxe est contre-cyclique.  

Qu’en est-il du marché des produits de luxe français ?

Jean-Noël Kapferer : La France est le pays qui produit le luxe mondial mais c’est aussi celui qui l’aime le moins, parmi tous les pays développés. Cela est démontré dans l’étude IPSOS, World Luxury Tracking, 2011. Nous traversons en France une phase de remise en cause profonde des inégalités et de l’enrichissement à cause de succès entrepreneurial. En outre la ponction fiscale conduit à une certaine réserve dans les dépenses, par précaution. Enfin, le pays n’est pas porté vers la consommation ostentatoire. 

Quel est l’avenir du luxe en France face à la concurrence ?

Jean-Noël Kapferer : Le « modèle français du luxe » a un grand avenir car il correspond à ce que les Chinois et les riches de demain attendent : une fusion d’authenticité historique, culturelle, de production locale (dans le pays d’origine), et en même temps de créativité, le tout aux prix les plus hauts.

Le modèle français doit être comparé aux marques italiennes, anglaises ou américaines qui délocalisent leur production en Chine (Prada, Zegna, Burberry, Coach, Ralph Laren…), ou qui ont une histoire inventée de toutes pièces (Ralph Lauren) et qui de ce fait ne peuvent jouir d’un pouvoir de prix élevé. Ces marques dévient en réalité vers la mode, quittant sans le dire le business modèle du luxe. 

Quelles stratégies ont été mises en place par les marques pour ne pas être touchées par la crise ?

Jean-Noël Kapferer : Il faut savoir de quelle marque on parle. Il y a les marques de faux luxe qui n’ont d’autre choix que de baisser les prix (Mauboussin, Coach…), faire des discounts, des super soldes et écouler leur surproduction dans des factory outlets (magasins d’usine).

Les vraies marques de luxe en ont vu d’autres et connu plus d’une guerre mondiale. Elles peuvent augmenter leurs prix si la demande fléchit. 

Quel est le produit de luxe qui est le plus porteur de croissance ?

Jean-Noël Kapferer : Le secteur des services de luxe est en croissance car on passe vite d’une envie de produits à une envie de moments exceptionnels.

Selon l’étude, un quart des achats de luxe dans le monde en 2012 sont imputables aux Chinois (25%), comment l’expliquer ?

Jean-Noël Kapferer : La Chine est le pays du « luxe de masse ». Cela ne veut pas dire du luxe démocratisé, mais au contraire du luxe cher que chacun doit acheter pour sauver la face, sans compter l’énorme marché du cadeau qui obéit aux mêmes règles. Chacun des touristes chinois venant à Paris dépense plus de 1250 euros seulement en cadeaux à ramener en Chine. 

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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