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L’appel de Laurent Fabius pour l’abolition de la peine de mort

[image:1,l] Depuis 10 ans, le 10 octobre est la journée mondiale contre la peine de mort. Une occasion pour les abolitionnistes de faire entendre leur voix.

En 1981, Laurent Fabius était le ministre du budget du gouvernement de Pierre Mauroy qui, par la voix du Garde des Sceaux, Robert Badinter, a sollicité de l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort. Trente et un ans plus tard, l’ancien Premier ministre, désormais ministre des Affaires étrangères, poursuit son combat pour l’abolition de la mise à mort au nom de la Justice. Voici le texte de la tribune qu’il signe, en cette occasion, avec cinq de ses homologues européens.

Appel commun pour l’abolition de la peine de mort

Il est des batailles que nous ne pouvons pas gagner seuls. La lutte contre la peine de mort est de  celles-ci.  Isolés,  les  différents  acteurs  ne  seraient  sans  doute  pas  arrivés  à  faire  reculer  le nombre  d’Etats  qui  ont  encore  recours  à  la  peine  capitale.  C’est  ensemble  que  nous  tous, acteurs  engagés  pour  l’abolition  –  Etats,  organisations  internationales  et  société  civile  –  y sommes  parvenus.  Ce  sera  donc  également  ensemble  que  nous  parviendrons  à  l’abolition totale. 

L’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie, le Liechtenstein et la Suisse se veulent aux premières lignes de ce mouvement pour la dignité humaine.  Aujourd’hui,  10  octobre,  nous  célébrons  le  dixième  anniversaire  de  la  journée  mondiale contre  la  peine  de  mort.  Cette  journée  mondiale  représente  l’occasion  de  réaffirmer  notre opposition  à  la  peine  capitale,  en  toutes  circonstances.  Représentants  de  pays  partageant  des valeurs  communes,  nous  devons  conjuguer  nos  efforts  et  parler  d’une  seule  voix  pour  que disparaisse cette pratique qui n’a pas sa place au 21e siècle

Ces vingt dernières années, plus de 50 Etats ont tourné le dos à la peine de mort. Plus de 130 Etats  l’ont  abolie  ou  observent  un  moratoire.  De  fait,  une  cinquantaine  d’Etats  l’appliquent encore.  Ces  chiffres  sont  donc  encourageants,  les  actions  entreprises  et  les  efforts  passés portent  leurs  fruits.  Mais  nous  devons  redoubler  d’efforts,  car  notre  but  n’est  pas  encore atteint.  Nous  continuerons  à  lutter  contre  la  peine  de  mort tant qu’elle n’aura pas été abolie, car l’idée que l’on puisse tuer au nom de la justice va à l’encontre des valeurs de l’humanité elle-même. Nous voulons nous engager ensemble, avec conviction et persévérance, de façon à ce  que  le  nombre  d’exécutions  continue  de  diminuer,  que  les  procédures  deviennent  plus transparentes  et  qu’un  nombre  toujours  plus  élevé  de  pays  renoncent  à  la  peine  capitale, jusqu’à ce que cette peine inhumaine disparaisse complètement

La peine capitale est incompatible avec le respect des droits de l’homme. Elle porte atteinte à la dignité humaine et au droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains  ou  dégradants.  Alors  que  la  peine  de  mort  est  parfois  pratiquée  sur  des  bases discriminatoires,  son  caractère  irréversible  rend  les  révisions  de  jugements  impossibles, menant,  dans  certains  cas,  à  l’exécution  de  personnes  innocentes.  L’exécution  de  personnes innocentes  suffit  à  vider  la  peine  capitale  de  toute  légitimité.  Par  ailleurs,  la  peine  de  mort n’empêche  pas  les  délits  d’être  commis ;  elle  n’apporte  donc  aucun  surcroît  de  sécurité,  pas plus qu’elle n’apporte justice ou réparation aux familles des victimes d’un crime. 

Ces  réflexions  nous  semblent  presque  évidentes,  nos  pays  ayant  aboli  la  peine  de  mort  depuis  de nombreuses années. Sur le plan mondial, le chemin vers l’abolition demande pourtant un engagement fort  et  constant.  Les  changements  ne  s’opèrent  pas  d’un  jour  à  l’autre.  C’est  une  évolution  lente  et composée  d’étapes.  Ces  progrès  sont  pourtant  bien  réels  et  nous  devons  faire  en  sorte  qu’ils  se poursuivent. Nous continuerons à plaider pour l’abolition de la peine capitale, car seul un engagement politique  fort  permettra  un  jour  de  voir  la  peine  capitale  disparaître.  En  2010,  l’Assemblée  générale des Nations Unies adoptait une troisième résolution appelant à un moratoire universel sur le recours à la  peine  de  mort,  par  109  voix  contre  41.  Nos  pays  et  l’Union  européenne  ainsi  que  de  nombreux autres pays de toutes les régions du monde ont été à l’origine de ce texte adopté en 2007 et en 2008 déjà.  Cette  année,  cette  résolution  est  à  nouveau  présentée  à  l’Assemblée  générale  et  nos  pays s’engagent pour qu’elle reçoive un outien encore plus significatif. Ce document souligne les progrès et le caractère irréversible du mouvement mondial pour l’abolition de la peine de mort.

Le rôle des opinions publiques est également essentiel. Les populations doivent avoir accès à des informations fiables, elles doivent pouvoir débattre de cette question, afin de prendre une décision  en  toute  connaissance  de  cause.  La  société  civile  et  les  organisations  non gouvernementales occupent une place cruciale. 

Ensemble, nous voulons poursuivre l’engagement contre la peine capitale, au nom des valeurs que  nous  partageons  et  parce  qu’il  est  de  notre  devoir  d’associer  la  dignité  à  la  condition humaine. Nous appelons tous les Etats à se joindre à notre déclaration.   

Cet  appel  à  abolir  la  peine  de  mort  a  été  signé  par  les  ministres  des  affaires  étrangères suivants :  Didier  Burkhalter  (Suisse),  Guido  Westerwelle  (Allemagne),  Aurelia  Frick (Liechtenstein),  Michael  Spindelegger  (Autriche),  Giulio  Terzi  (Italie)  et  Laurent  Fabius (France).

 

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