Site icon La Revue Internationale

«Le Rose et le Gris» de Michèle Cotta: l’insaisissable Hollande?

cotta-rose-gris.jpgcotta-rose-gris.jpg

[image:1,l]

Depuis près de cinquante ans, Michèle Cotta a été une témoin privilégiée de la vie politique française et elle s’est imposée comme une de ses analystes les plus respectées. Experte engagée aux engagements assumés – son coeur battrait à gauche, un secret à peine dissimulé -, elle est avant tout journaliste – journaliste comme, peut-être – malheureusement -, il ne s’en fait plus, ne s’en fera plus… Une journaliste made in L’Express (dans sa version Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, pas Christophe Barbier…), une observatrice pointue et une analyste fine s’appuyant sur une réelle culture politique et historique, une profonde maitrise des enjeux et des problématiques, une connaissance directe et personnelle des acteurs qu’elle observe – et une capacité éprouvée à la prise de recul, telle une scientifique derrière son microscope.

Le souvenir des « Carnets secrets de la Vème République »

Ses Carnets secrets de la Vème République – quatre tomes épais, publiés de 2007 à 2011, et s’appuyant sur toutes les notes accumulées dans des petits carnets pendant quarante-deux ans, de la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1965 à la huitième en 2007 – sont parmi les récits les plus aboutis de la vie politique française au cours des cinq dernières décennies. Alors le nom de Michèle Cotta sur la couverture d’un livre qui promet d’évoquer le « prélude au quinquennat de François Hollande » ne peut que susciter une immédiate fringale chez l’amateur gourmand des aventures de ceux qui nous gouvernent ou aspirent à nous gouverner.

Une étude de caractère et un récit de l’après-campagne

Le récit que propose Michèle Cotta dans Le Rose et le Gris s’articule en cinq parties : « la préparation » (jusqu’à l’élection du 6 mai 2012) puis, dans la foulée, « la transition » (du 7 mai au 14 mai), « l’installation » (de la cérémonie de passation de pouvoir et de la formation du premier gouvernement Ayrault aux premières rencontres internationales), « les législatives » (la seconde campagne électorale de l’année et les deux tours des 10 et 17 juin – en passant par le « tweet » de Valérie Trierweiler) puis, pour finir, « le pain blanc » (sur l’état de grâce ou, plutôt, l’absence d’état de grâce jusqu’à la fin de l’été – et la remise du manuscrit à l’éditeur…).

L’introduction commence fort – une mise en bouche qui met en appétit et laisse espérer un met délicieux : « Pourquoi diable a-t-il (François Hollande) choisi, pendant sa campagne, pour définir son style, l’adjectif « normal » ? ». À ce « Pourquoi diable ? » fait suite le jugement net et sans bavure de l’auteur : « Il n’y a pas homme moins normal qu’un président de la République. On n’accède pas à l’Élysée  dans la normalité, pas plus François Hollande que Nicolas Sarkozy. L’un y pensait tous les jours en se rasant, l’autre depuis qu’à 27 ans il avait choisi, en se présentant dans sa circonscription aux législatives en Corrèze, en 1981, de défier Jacques Chirac. Il avait raté le coche en 2007, laissant s’échapper Ségolène Royal, parce qu’il estimait que les conditions politiques et personnelles n’étaient pas réunies, en ce qui le concerne, pour tenter l’aventure avec une chance de la gagner. Dès la défaite de la candidate socialiste, la machine Hollande a démarré. Pour son compte. »

L’anormalité d’un président

Entrée en matière intéressante. Le récit qu’entame Michèle Cotta est connu, encore de plein pied dans l’actualité et le lecteur conserve – a fortiori s’il se pique lui-même d’être, à sa manière, observateur – le souvenir quasi présent de toute cette accumulation de petites phrases, d’attaques personnelles, plus partisanes – et souvent stupides – qu’autre chose. Que ce soit ce président-là, celui d’avant ou tous les autres, ils font l’objet de jugements souvent bien trop péremptoires qui, visant l’homme, touchent la fonction – et perdent ainsi toute, ou presque, crédibilité. On ne devient pas président de la République par hasard, et aucun de ceux qui le sont devenus – qui plus est au suffrage universel direct – ne le sont devenus par hasard. Et c’est là, dans un décryptage, dans une analyse nourrie que l’on attend Michèle Cotta.

C’est l’objet de la première partie du livre – « La préparation ». Michèle Cotta revient sur les grandes dates de la carrière « normale » – en tout cas, pas exceptionnelle – de François Hollande. À chaque étape, elle insiste sur la surprise, comme si tout avait été surprenant dans l’ascension lente et prudente – à moins qu’elle soit masquée – du nouveau président de la République : surprise déjà en 1981 lorsqu’il avait défié Jacques Chirac en Corrèze puis, défait – sans surprise pour le coup – avait décidé de s’implanter dans ce département rural, second cœur, après Paris, de la Chiraquiesurprise en 1997 lorsque Lionel Jospin, propulsé par la dissolution chiraco-villepiniste à Matignon, le choisit comme successeur rue de Solférino – l’excluant ainsi de ses gouvernements mais lui confiant, tout de même, sa première (et seule) responsabilité nationale… surprise en 2006 lorsqu’il laisse s’échapper sa compagne et la mère de ses quatre enfants, Ségolène Royal, vers une candidature présidentielle au risque de n’être « que » le « premier Monsieur » de l’histoire de France… surprise en 2008 lorsque, ayant abandonné la tête du parti socialiste – et Ségolène Royal -, il prend son envol, face à son destin, au prix d’une « surprenante » métamorphose tant physique que psychologique. À en croire Michèle Cotta, le monde entier – et, en particulier, le « microcosme politique » – a été pris par surprise. Personne n’y croyait sauf, évidemment, sa propre mère. Et que l’on ne s’y trompe pas, ce dernier point n’a rien de « normal ».

L’irremplaçable proximité

Parmi les Carnets secrets de la Vème République, il convient de distinguer les deux premiers tomes ou, plus exactement, le premier tome (1965-1977) et la première moitié du second (1977-1986), jusqu’à mai 1981. Michèle Cotta y fait le récit d’une ascension politique, comme sans doute personne ne l’a jamais fait. Pendant seize ans, d’abord jeune journaliste à L’Express puis, plus expérimentée, à la radio et à la télévision, il lui a été donné de suivre, quasiment au jour le jour, François Mitterrand. Il en ressort un portrait d’une finesse inégalée, reléguant sympathie et proximité idéologique au second plan pour laisser libre cours à l’analyse de la stratégie politique et de la personnalité du grand fauve en action. Des carnets, en voiture, en avion, aux quatre coins des provinces de France comme à l’étranger, elle en avait noirci tant qu’elle offre au lecteur un récit de chaque instant. Fascinant – et d’autant plus fascinant que rare. Michèle Cotta, elle-même, avait avoué qu’après 1981, appelée à d’autres fonctions, à la tête de l’ancêtre du CSA par exemple, elle avait perdu cette proximité avec le personnel politique et que cela a changé son regard…

Malheureusement – mais on n’a pas tous les jours trente ans -, Le Rose et le Gris n’a pu bénéficier de cette même proximité, de ce même « accès » – comme disent les documentaristes – et, forcément, cela se ressent. Mais, il y a autre chose – et c’est sans doute la raison pour laquelle Michèle Cotta parle autant de « surprise »… Lorsqu’il y a quarante ans, elle suivait François Mitterrand, elle ne pouvait être assurée que celui-ci accéderait à l’Élysée mais, ayant mis en ballottage le Général de Gaulle en 1965 puis ayant « survécu » politiquement à son calamiteux « Mai 68 », il ne faisait aucun doute qu’il y travaillait, même après son deuxième échec en 1974… Aucun, parmi tous ceux qui ont suivi François Hollande – et il y en a -, n’ont pu éprouver cette même impression d’un destin en marche…

Osons un… « Aurait pu mieux faire »

Ce qui suit est un crime de lèse-majesté. Voyons-y du dépit, de ce dépit que seule une admiration profonde saurait justifier…

C’est sur ce point qu’on aurait souhaité davantage de Michèle Cotta. Si François Hollande est parvenu à l’Élysée sans qu’on l’y attende, est-ce par hasard, par défaut – et le « défaut » va bien au-delà de la seule mise hors-jeu de Dominique Strauss-Kahn – ou, au contraire, est-ce par un coup de maître, parce que les temps ont changé et avec eux les stratégies ? C’est ce que l’on attendait de Michèle Cotta et d’elle, en particulier, parce que seule une approche scientifique et érudite de la vie politique, entretenue par une telle expérience, peut permettre une telle mise en perspective – à la manière d’une historienne du temps présent.

Pour le reste du livre, le récit du Prélude au quinquennat de François Hollande – du 6 mai au début de l’été -, comment dire ? Bien sûr, nous aimerions être aussi bien informés que Michèle Cotta, nous rêverions d’avoir pu effectuer cette cinquantaine d’entretiens – y compris ceux de François Hollande lui-même, de Jean-Marc Ayrault, de Ségolène Royal, de tant de ministres et autres responsables -, évidemment… Mais, encore une fois, la distance est trop grande et la prise de distance insuffisante et, donc, décevante.

Bref, on est un peu resté sur notre faim… On aurait aimé qu’elle soit partout, Michèle Cotta, qu’elle dévoile de véritables secrets, comme, autrefois, dans ses Carnets. Cette exigence envers l’auteur traduit une profonde admiration mais aussi la conviction que rares sont ceux qui excellent, comme elle, à cet exercice si délicat de la chronique.

Et si c’était la faute de François Hollande ?

À moins qu’il y ait encore autre chose, et c’est ce que laisse entendre Laurent Binet, le romancier qui a suivi François Hollande, avec la bénédiction de Valérie Trierweiler, tout au long de sa campagne et en a tiré un encore plus décevant Rien ne se passe comme prévuFrançois Hollande serait insaisissable et la « surprise » ne serait donc pas une surprise mais bien du calcul…   

J’allais oublier… Le Rose et le Gris – malgré toutes les réserves sus-mentionnées – mérite tout de même qu’on s’y attarde, qu’on y consacre un après-midi ou deux . Michèle Cotta demeure une si formidable conteuse. 

Quitter la version mobile