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«Les Cubains ne veulent plus être déterminés par la politique»

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Il y a quelques jours, le gouvernement de Raul Castro annonçait une réforme de la loi migratoire, quelques jours auparavant, Fidel Castro, était une nouvelle fois donné mort ou au moins sur le point de mourir par une rumeur qui court depuis maintenant cinquante ans. Aujourd’hui, les Cubains viennent de voter à l’occasion du second tour des élections municipales, un scrutin qu’on dit symbolique et visant simplement à la réélection « démocratique » de Raul Castro.

La vie politique cubaine est animée, et Marie-Laure Geoffray, maître de conférences à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, analyse pour JOL Press ces derniers évènements.

Une invitation au voyage pour les Cubains ?

Le gouvernement a récemment annoncé une réforme de sa loi migratoire. Cette libéralisation permettra aux Cubains, à compter du 14 janvier 2013, d’être exemptés de la « carta blanca », ce permis de sortie qui devait leur être délivré sur présentation d’une invitation de l’étranger. Si la nouvelle a été accueillie avec enthousiasme, elle a également été fermement critiquée par certains Cubains qui affirment qu’il sera toujours aussi difficile pour les nationaux de quitter l’île. Qu’en est-il vraiment ?

Le gouvernement a effectivement annoncé que les Cubains n’auraient désormais plus besoin de lettre d’invitation pour pouvoir sortir du territoire. La « carta blanca » ne sera également plus nécessaire et, en théorie, les Cubains seront désormais plus libres de voyager.

Dans les faits, personne ne sait aujourd’hui comment agira le gouvernement. Le nouveau passeport qui sera délivré aux Cubains ne sera-t-il pas plus difficile à obtenir?

Il faudrait faire un bilan d’ici un an, notamment auprès des Cubains qui ont fait des études supérieures, ceux qui, généralement, souffrent de nombreuses restrictions pour quitter le pays car le gouvernement cubain lutte contre le « brain drain », la fuite des cerveaux vers les pays du Nord.

D’autre part, cette nouvelle liberté pour les Cubains ne garantit pas que ces derniers puissent obtenir un visa de l’étranger.

Finalement, un autre problème reste inchangé, le salaire moyen de la population est tellement faible qu’il sera toujours difficile, voire impossible, pour eux, de quitter l’île.

Cette réforme de la loi migratoire est donc surtout symbolique pour les Cubains demeurant à Cuba, en revanche, elle a un effet pratique pour ceux qui demeurent à l’étranger et souhaitent pouvoir voyager plus librement entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine.

Depuis plusieurs mois, Cuba envoie de nombreux signes pour témoigner de son ouverture au monde, qu’il s’agisse de réformes commerciales ou de libération de prisonniers politiques. Peut-on croire que Cuba s’ouvre véritablement au monde ou n’est-ce qu’un rideau de fumée ?

On ne peut pas parler de mesures de façades. Quand le gouvernement cubain libère la possibilité de créer un petit commerce, il y a une pratique entrepreneuriale qui change, dans les faits, le quotidien des Cubains.

En revanche, il faut s’interroger sur la portée de ces réformes. Le gouvernement cubain fait notamment peser de lourds impôts sur ces entrepreneurs qui, pour une partie d’entre eux, n’ont pas réussi à faire marcher leur petit commerce.

Quant à la libération de certains prisonniers, il s’agit-là d’un geste majeur de la part du gouvernement. Il y a une tendance à relativiser les réformes mises en oeuvre par le gouvernement cubain, parce qu’elles sont analysées à l’aune des processus de démocratisation en Europe de l’Est ou ailleurs. Mais à l’échelle du régime, le fait que Raul Castro ait reconnu qu’il y existait des prisonniers politiques sur l’île et ai pris la décision d’en libérer la plupart n’est pas mineur, si on considère la trajectoire du régime socialiste cubain.

Pour expliquer ces mesures, on peut imaginer que le gouvernement subit de fortes pressions de l’extérieur et doit se résoudre, parfois, à faire des concessions.

Ce n’est pour autant pas un signe de libéralisation politique. A leur sortie de prison, de nombreux anciens prisonniers ont été invités à partir car pour le régime, ces personnes sont un souci de moins sur l’île.

Le choix d’emprisonner les opposants s’est par ailleurs transformé en stratégie de harcèlement hors les murs, plus difficilement repérable et condamnable depuis l’étranger.

Le jour où Fidel Castro mourra…

Ces derniers temps, de nombreuses rumeurs ont circulé sur l’état de santé de Fidel Castro. Quand certains le prédisaient mort, quelques observateurs du régime cubain affirmaient que les autorités, en cas de réel décès du leader de la révolution, tarderaient à l’annoncer par peur des réactions de la population. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas d’accord.  Concernant les rumeurs, il faut  savoir que celles-ci circulent depuis plus de 50 ans. Leur rythme de diffusion s’est accéléré en 2006, lorsque Fidel Castro a annoncé son retrait provisoire de la scène politique.

Le vrai scénario catastrophe aurait été que Fidel Castro  meure jeune, au pouvoir, avec encore toute son aura.

Mais en 2006, il a commencé à déléguer son pouvoir à son frère Raul Castro. Deux ans plus tard, son pouvoir était définitivement transféré. Il a également quitté officiellement son poste de Premier Secrétaire du Parti. Il est définitivement retraité de la vie politique.

Aujourd’hui, Fidel Castro est vieux, certains disent qu’il n’est pas toujours en possession de ses facultés intellectuelles, sa mort est sans doute proche. Ce jour-là sera bien sûr un jour particulier sur l’île, une ou plusieurs journées de deuil national seront probablement annoncées, mais je n’imagine pas de turbulences particulières.

Processus démocratique cubain

Le second tour des élections municipales s’est déroulé sur l’île dimanche 28 octobre. Ce processus complexe vise finalement à la réélection de Raul Castro en février 2013. Quel jeu démocratique se joue-t-il actuellement à Cuba ?

Le processus électoral cubain est bien différent de ceux que nous connaissons dans nos démocraties. Il se déroule sur trois niveaux et si, sur le papier, elles sont libres, dans les faits, elles sont largement contrôlées par le Parti communiste.

Au niveau local, les habitants se réunissent par pâté de maison afin de définir les candidats à l’élection de l’Assemblée municipale. Lors de ces élections, la pression sociale est très forte car les représentants du parti son présents. Le vote s’effectue à main levée et les opposants qui souhaiteraient se présenter ne trouveraient que peu de soutien auprès de l’assemblée. S’ils l’étaient, ils devraient encore être agréés par la commission en charge des candidatures, ce qui ne serait improbable.

Au niveau provincial, c’est-à-dire le niveau intermédiaire, 50% des membres sont issus des assemblées municipales tandis que l’autre moitié est nommée par des commissions électorales constituées de représentants du syndicat officiel, des organisations de masse (fédération des femmes cubaines par exemple), et également des membres issus du monde scientifique ou de la culture

Finalement, ce fonctionnement est le même pour l’Assemblée nationale où 50% des membres sont issus de l’Assemblée provinciale et les 50% restants sont nommés.

Une écrasante majorité des députés à l’Assemblée nationale sont membres du parti, ce qui montre bien son hégémonie sur le processus électoral, sans pourtant qu’il ne joue un rôle apparent pendant les élections.

Face au souvenir du régime de Fulgencio Batista, qui a précédé la révolution castriste, certains Cubains semblent préférer à tout prix la survie du régime des frères Castro plutôt que d’imaginer un retour à cette dictature. Pensez-vous que ce sentiment soit général ?

Il est très difficile d’avoir une idée générale de ce que pensent réellement les Cubains. Il faut surtout faire attention aux différentes lignes de fractures à l’intérieur de la population. Entre les Cubains de la jeune génération, ceux de l’ancienne, ceux qui ont de la famille à Miami, ceux qui n’en ont pas, les urbains et les ruraux, les fonctionnaires et les petits entrepreneurs, les opinions peuvent être radicalement différentes.

Les générations plus âgées ont, pour un certain nombre, contribué à l’installation et à la consolidation de la révolution. Dès lors il faut se rendre compte que, pour ces personnes, qualifier le régime castriste d’échec c’est parler de leur propre échec.

Pour de nombreux Cubains plus âgés, Batista  est le symbole d’une vie misérable, notamment dans les campagnes.

Contrairement à eux, les jeunes de vingt ans auraient plutôt envie de vivre comme tout le monde. Ils ne veulent plus que leur vie soit déterminée par la politique. C’était aussi le sentiments des jeunes générations dans les dernières années de l’Union soviétique.

Néanmoins, certains peuvent avoir peur d’une transition. En cas de changement abrupt de régime, il y a toujours des perdants et des gagnants parmi la population.

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