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Les dessous du débat Fillon-Copé: l’avis des experts

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Leurs équipes respectives le leur avaient déconseillé. Jean-François Copé et François Fillon, les deux candidats à la présidence de l’UMP, s’affronteront sur France 2, jeudi 25 octobre, à un peu plus de trois semaines du vote des militants, le 18 novembre.

L’émission se déroulera en trois étapes. Tout d’abord, un entretien de chaque candidat face aux journalistes David Pujadas, Nathalie Saint-CricqFrançois Lenglet et Jeff Wittenberg. Leurs noms ont été tirés au sort vendredi dernier et c’est François Fillon que le hasard a choisi pour passer en premier. Ensuite, ils auront une demi-heure de temps de parole chacun, et enfin, le débat. Il s’agira « d’un échange mais pas d’une confrontation », dit-on dans l’entourage de l’ancien Premier ministre.

Comme lors du débat des candidats à la primaire socialiste, François Fillon et Jean-François Copé devraient se tenir debout derrière un pupitre. Et toujours selon un tirage au sort, ce serait le secrétaire général de l’UMP qui aurait le dernier mot.

Pour que rien ne nous échappe, Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique, et Christian Delporte, directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, ont accepté de répondre aux questions de JOL Press sur les enjeux d’un tel débat.

À quoi faut-il s’attendre pour ce débat ?

Philippe Braud : Ce devrait être un show de qualité. François Fillon a un style d’homme d’État et son tempérament ne le porte ni aux arguments populistes ni aux gros effets rhétoriques dénués de substance. Quant à Jean-François Copé, qui s’adresse ici à la France entière, il a besoin, face à son adversaire, de prouver que lui aussi peut être sérieux et solide sur les grands dossiers de l’heure.

Christian Delporte : C’est un exercice à risques puisqu’il faut à la fois se distinguer de son concurrent sans paraître agresser son camarade de parti. Chacun jouera la gamme que ses partisans lui reconnaissent : rassembleur et homme d’expérience pour François Fillon ; énergique et volontaire pour Jean-François Copé. Ce sera plutôt un choc de personnalités qu’un affrontement politique car, à peu de choses près, les deux proposent la même chose. L’ombre de Nicolas Sarkozy planera sans doute. Mais ceux qui s’attendent à du spectacle seront déçus.

Qui maîtrise le mieux cet exercice ? Quels sont les principaux atouts de chacun ? Et leurs principaux défauts ?

Philippe Braud : L’exercice est un défi pour l’un comme pour l’autre. Disons, pour faire vite, que Jean-François Copé doit se garder d’en faire trop, et François Fillon de n’en pas faire assez. Le premier est un polémiste redoutable, offensif, réactif ; le second est un excellent pédagogue, il maîtrise parfaitement ses dossiers. Surtout, François Fillon a pour lui d’avoir exercé effectivement le pouvoir et de s’y être montré un homme qui tient fermement la barre. Jean-François Copé rappellera davantage le style de Nicolas Sarkozy, dont l’ombre pèse sur cette campagne.

Une partie des téléspectateurs lui en sauront gré, une autre au contraire appréciera le contraste offert par l’ancien Premier ministre avec l’ancien président. Ajoutons un facteur contextuel : en dépit de certaines déclarations de campagne, la politique suivie par le nouveau gouvernement Ayrault n’apparaît pas en rupture radicale avec celle de son prédécesseur, notamment sur le traité budgétaire européen et la nécessité d’une gestion rigoureuse des dépenses publiques ; ce qui peut être interprété par une partie des téléspectateurs comme la justification a posteriori de l’action de François Fillon.

Christian Delporte : Face à un adversaire, Jean-François Copé maîtrise mieux les codes de la communication (il n’avait pas été mauvais face à Hollande) et sait se faire offensif. Mais là, c’est inédit. François Fillon, porté par les sondages, n’aura pas intérêt à se dévoiler. Il « attendra » Jean-François Copé qui devra toujours s’interroger : « Suis-je dans le bon ton ? Ne vais-je pas trop loin ? ».

L’important, ce sont les atouts qu’on leur attribue. Et chacun a son revers. La rigueur de François Fillon peut confiner à l’ennui, et le dynamisme de Jean-François Copé peut paraître un peu brouillon. L’un voudra incarner l’expérience, l’autre le renouvellement.

Les jeux sont-ils faits ? Les militants auront-ils un vote vraiment différent de celui des sympathisants ?

Philippe Braud : Les jeux ne sont pas faits. Beaucoup dépend de deux facteurs. Le premier est l’ampleur du vote des adhérents. Si la participation est restreinte, cela signifiera très probablement un net avantage à Jean-François Copé qui, à la barre de l’UMP, est mieux placé pour bénéficier du soutien des militants les plus motivés. Si la participation est plus large, elle concernera des franges de militants plus proches de l’état d’esprit des simples sympathisants. Or on sait que François Fillon dispose auprès d’eux d’un net avantage.

Second facteur : les critères de choix des votants. Une partie de la base UMP est proche des thèses du Front national. Si les militants choisissent avant tout d’exprimer leur sensibilité, Jean-François Copé apparaitra souvent comme un meilleur chef de guerre, à cause de ses petites phrases sur l’immigration ou « la droite décomplexée » qui rappelle la formule de Jean-Marie Le Pen, « la droite qui ose dire son nom ». Si, au contraire, les votants réfléchissent froidement aux meilleures chances de gagner l’élection présidentielle en 2017, alors ils seront davantage tentés de se prononcer en faveur de François Fillon, dont l’expérience gouvernementale et la cote nationale de popularité éclipsent celles de Jean-François Copé.

Christian Delporte : On n’a pas de sondages parmi les militants et Jean-François Copé connaît bien le terrain qu’il a labouré depuis plusieurs années. Les enquêtes auprès des sympathisants surestiment peut-être le résultat final. Mais elles influeront le vote des militants qui ne voudront pas se couper des électeurs de l’UMP. Ils iront, comme toujours, vers celui qui semblera le mieux leur garantir la victoire, en 2014 avant 2017. Voyez le mouvement des élus de terrain : la majorité rejoint François Fillon. C’est un signe.

Le vainqueur de l’élection laissera-t-il une place à son rival dans la direction du parti ?

Philippe Braud : Le vainqueur est toujours pacifique, écrivait Carl von Clausewitz. Il offrira une porte de sortie à son rival malheureux, mais sous la forme d’une responsabilité en trompe l’œil. Pas question de lui laisser une marge réelle d’influence au sein de l’appareil. Si le rival est battu d’extrême justesse, ce serait trop dangereux, s’il l’est très largement, ce serait inutile. En revanche, il est habile de lui laisser la responsabilité de ne pas saisir la main (faussement) tendue.

Christian Delporte : Le soir de l’élection, le vainqueur affichera sa volonté de rassembler le parti ; ce n’est donc pas exclu. Mais le vaincu, qui aura soudé des troupes, attendra le faux-pas du vainqueur avec, en perspective, l’échéance de 2014.

Les guerres de clans peuvent-elles perdurer après la victoire d’un candidat ?

Philippe Braud : Elles baisseront beaucoup d’intensité, au moins dans un premier temps (sauf allégations prouvées de fraude). La défaite désorganise le camp vaincu et provoque des ralliements au vainqueur. En outre, dans un parti, malheur à celui qui le premier rompt ostensiblement l’unité lorsque les militants viennent de trancher. Mais le perdant aura à cœur de prendre sa revanche si les faux-pas ou les échecs de son adversaire victorieux lui ouvrent un boulevard. D’autant qu’il existe une sorte de scrutin d’appel avec la désignation plus tard du candidat à la présidentielle.

Christian Delporte : Plus le résultat sera serré, plus l’UMP sera tiraillée dans son jeu stratégique entre l’UDI d’un côté et le FN de l’autre. Par ailleurs, plus le vote sera partagé, plus l’hypothèse Sarkozy pèsera sur le vainqueur comme une menace. La guerre des chefs ne fait que commencer.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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