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L’ISF sur les œuvres d’art: ces députés qui insistent

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« Soumettre les œuvres d’art à l’impôt de solidarité sur la fortune aurait de lourdes conséquences pour le marché et pour les collections nationales », a déclaré Aurélie Filippetti dans un entretien aux Échos le 11 octobre. L’ISF sur les œuvres d’art, la ministre de la Culture n’en veut pas, le Premier ministre et le président de la république, non plus, assure-t-elle.

Les termes du débat public

Les arguments « contre » sont connus : principalement, le risque de voir fuir hors de France les plus beaux trésors culturels, celui aussi de menacer l’équilibre d’un marché fleurissant – le marché de l’art en France – et de remettre en cause la place prestigieuse de Paris comme haut lieu du secteur. C’est ce qu’ont rappelé les galeristes, marchands d’art et autres commissaires-priseurs ces dernières semaines.  

Mais, l’exode des œuvres d’art soumises à l’ISF risquerait aussi d’affecter nos principales institutions culturelles, muséales en particulier, qui bénéficient pour une large part de donations privées. Sept maires de grandes villes socialistes, au premier rang desquels Bertrand Delanoë, s’en sont inquiétés dans une tribune publique lundi 15 octobre.

Pourtant, déterminés, des députés – de gauche comme de droite – ont déposé des amendements et les défendront en séance, probablement d’ici à la fin de la semaine. Qui sont-ils ? Pourquoi s’obstinent-ils ? Quelle est leur argumentation ?

L’article 9 du projet de loi de finances pour 2013 porte réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune. Un certain nombre d’amendements ont été déposés par un ou plusieurs députés – PS, UMP ou UDI – afin de modifier l’article 885 I du Code général des impôts et de soumettre les œuvres d’art à l’ISF.

Christian Eckert, le rapporteur frondeur

Rapporteur général du budget depuis juin 2012, Christian Eckert, pour son premier budget, s’est fait remarquer par un certain nombre de positions allant à l’encontre de celles du gouvernement. Sa volonté de soumettre les œuvres d’art à l’ISF en est une. Il est parvenu à faire adopter l’amendement I-78 (Rect) par la commission des finances. Le gouvernement appellera à voter contre.

Christian Eckert vise les œuvres d’art d’une valeur supérieure à 50 000 euros. Il propose de « s’inspirer du système de déduction de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui achètent des œuvres d’art : la déductibilité est subordonnée, pour les œuvres de plus de 50 000 euros, à leur exposition dans un lieu accessible au public ou aux salariés pendant cinq ans. Le même seuil est retenu et les modalités d’exposition au public seront précisées par décret : on peut penser à une articulation avec les journées du patrimoine ou à des prêts temporaires à des musées ».

Une œuvre d’art d’une valeur supérieure à 50 000 euros exposée au public pendant cinq ans ne serait pas pris en compte dans le calcul de l’ISF. Il conditionne donc l’aide de l’État à la mise en œuvre d’un objectif d’intérêt général pour tous et non pour les seuls propriétaires des biens en cause.

Ces députés UMP qui font de la résistance

Le groupe UMP appelle à rejeter l’amendement de Christian Eckert ainsi que deux autres amendements, aux objectifs comparables, issus de ses rangs – le I-665 (Rect) et le I-660.

Leurs auteurs : M. Le Fur, M. Dhuicq, M. Luca, M. Saddier, M. Lazaro, Mme Fort, M. Le Mèner, M. Philippe Martin, M. Decool, M. Quentin, M. Mathis, M. Fasquelle, M. Chartier, M. Daubresse, M. Le Ray, M. Perrut, Mme Duby-Muller, M. Breton, Mme Lacroute, M. Couve et Mme Pons.

Ces députés UMP proposent, tout simplement, par leur premier amendement d’assujettir les œuvres d’art à l’ISF. Ils estiment paradoxal que les plus favorisés puissent bénéficier d’un marché de l’art en pleine expansion sans contribuer à l’effort de tous imposé par la crise.

À fins de justification, ils comparent la situation de deux contribuables, l’un investissant un million d’euros en achetant des parts dans une entreprise locale de 300 salariés et créatrice d’emploi, et l’autre plaçant la même somme dans l’achat d’une œuvre d’art.

Qu’advient-il, se demandent les députés, si, cinq ans après, les deux contribuables revendent pour 2 millions d’euros, l’un ses parts, l’autre son chef d’œuvre ?

Le premier « paiera 90 000 euros d’ISF (5 X 1,8 X 1 million), 190 000 euros d’impôt sur le revenu lié à la plus-value (régime normal de 19 %) en l’état du droit actuel, et 123 000 euros de prélèvement social sur les plus-values (12,3 %) ; soit un total de 403 000 euros » : un choix « économiquement judicieux mais fiscalement lourd ». Le second n’aura à « s’acquitter que de 90 000 euros de taxe forfaitaire sur les plus-values (4,5 % sur le prix de vente), et de 10 000 de CRDS, soit un total de 100 000 euros d’impôt ». Pour ces députés, une telle différence d’imposition – 303 000 euros – n’est pas acceptable.

Avec leur deuxième amendement, les députés UMP proposent que soient exonérées d’ISF les œuvres d’art exposées au moins deux mois par an, une condition moins contraignante que celle soutenue par Christian Eckert.

L’UDI, une question de droit

Leurs auteurs : M. Jean-Christophe Lagarde, M. Benoit, M. Borloo, M. Bourdouleix, M. Demilly, M. Favennec, M. Fritch, M. Hillmeyer, Mme Sonia Lagarde, M. Maurice Leroy, M. Pancher et M. Plagnol

L’amendement I-720 (Rect) a été déposé par des membres du groupe centriste de l’UDI, parmi lesquels Jean-Louis Borloo et Jean-Christophe Lagarde. Ils estiment que l’exonération des œuvres d’art n’a jamais été véritablement justifiée. Un des arguments avancés par les juristes pour justifier l’exonération repose sur le principe selon lequel les biens non productifs de revenus – ce qui est le cas des œuvres d’art – ne seraient pas soumis à l’ISF. Selon les députés UDI, le Conseil constitutionnel aurait rendu, à l’occasion d’une Question prioritaire de constitutionnalité, un arrêt contraire à cette idée reçue.

Par ailleurs, il s’agirait pour eux d’encadrer des pratiques et un marché spéculatifs et en aucun cas de taxer la culture ou la création.

Un débat de principe, un débat de droit et une question qui devrait être tranchée jeudi 18 ou vendredi 19 octobre par l’Assemblée nationale. Provisoirement, n’en doutons pas.

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