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Mormonisme: les paradoxes de la religion de Mitt Romney

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Les mormons développent dans 185 pays leur Église de Jésus-Christ des saints du dernier jour, avec quelque 300 000 conversions annuelles. Leur prosélytisme très actif, la campagne de Mitt Romney dans la course à la Maison Blanche en 2012 et la construction de leur premier temple en France métropolitaine, réservé aux sacrements les plus élevés, traduisent ce dynamisme.

Des tables d’or que Dieu aurait confiées près de New York en 1820 à un jeune paysan, Joseph Smith, les mormons ont tiré une prodigieuse puissance financière et politique. La conquête théocratique de l’Ouest, la polygamie, une colossale entreprise généalogique pour baptiser les défunts, de vives controverses et l’impact profond d’Internet sur la stratégie de cette singulière Église comptent parmi les épisodes retracés ici, d’une incarnation religieuse et totalitaire du rêve américain.

Dans ce livre, sans parti pris ni complaisance, Alain Gillette nous aide à mieux connaître les mormons, notamment ceux des pays francophones, leur religion et leur impact sur la société américaine.

Extraits de Les mormons : De la théocratie à Internet d’Alain Gillette

L’Église a mondialisé son ambition, même si moins de 0,2 % de la population mondiale, de 0,1 % de la population française ou de 4 % de la population américaine ont été baptisés – pourcentages à réduire de moitié pour évaluer le nombre de pratiquants sous son obédience.

De son opulence américaine, de la qualité de la vie là où elle domine, de son pragmatisme temporel et de sa spectaculaire croissance, on pourrait déduire qu’elle a atteint une maturité épanouie. (…)

L’entreprise a ses limites. L’idée que le Christ reviendra sur terre dans le Missouri pour une glorieuse théocratie demeure exotique et, avec d’autres idiosyncrasies remontant à ses origines, limite les alliances pragmatiques nouées avec d’autres confessions à des combats d’arrière-garde idéologiques sur la scène politique américaine et à des actions humanitaires dans le tiers-monde. Les tensions ne cessent de se renouveler, en étant contrôlées, voire déclenchées, afin de maintenir l’unité de l’Église. La valorisation de sa différence interfère avec sa volonté de reconnaissance.

De tels paradoxes abondent. Au cœur de la civilisation américaine, elle la critique tout en s’y reconnaissant comme dans un miroir. Elle en incarne :

–          la volonté de tolérance religieuse (sauf pour les siens, et à condition d’être reconnue par les autres comme la Vraie Église);

–          le culte de l’histoire (scientifique, mais aussi enjolivée et remaniée en permanence selon ses priorités);

–          la séparation de l’Église et de l’État (sauf en sous-main aux États-Unis quand ses valeurs y sont menacées);

–          l’égalité (tardivement pour les gens de couleur, et à développer entre les hommes et les femmes), le suffrage universel et la démocratie (mais avec une forte préférence pour l’aile conservatrice du parti républicain aux États-Unis, qui prend parfois des libertés avec les règles démocratiques);

–          l’idéalisme social (et le conservatisme);

–          le mysticisme (mais allié à l’accumulation des richesses, à son tour compensée par une œuvre humanitaire d’inégale ampleur);

–          la transparence (sauf pour l’exercice de son pouvoir interne et l’accès des fidèles à leurs données individuelles);

–          le consentement individuel (mais en usant du conditionnement des esprits);

–          les principes moraux et la légalité (sauf entorses dans son propre intérêt), emphatiquement arborés;

–          la nécessité de rendre compte (sauf de sa propre gestion).

La liste est manichéenne, mais elle pourrait être allongée. L’accumulation de ces dialectiques et contradictions entretient des préjugés et des stéréotypes inégalement fondés. Il en résulte des dommages collatéraux en son sein, et une suspicion persistante à l’égard de la hiérarchie. Son choix du camp de la « majorité morale » américaine, aux valeurs ultraconservatrices plus ou moins communes à maints courants religieux et idéologiques, a aidé à consolider l’édifice, au risque de le figer.

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