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Philippe Hugon: «Françafrique: jeu d’équilibre pour François Hollande»

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François Hollande entame la première tournée africaine de son mandat, vendredi 12 octobre. Une tournée pleine de symboles durant laquelle il se rendra au Sénégal, afin de rencontrer le président Macky Sall, élu démocratiquement au printemps dernier, avant de se rendre au Sommet de la Francophonie, à Kinshasa, en République démocratique du Congo.

Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy  effectuait également sa première tournée africaine et donnait une conférence dans la capitale sénégalaise. Le « discours de Dakar » est, depuis, rentré dans les annales comme participant à une politique « francafricaine ». Durant sa campagne électorale, le candidat François Hollande a pour sa part affirmé qu’il mettrait un terme à cette politique. Pourtant, la France a un rôle à préserver en Afrique et c’est un jeu de diplomatie et d’équilibre bien subtil auquel le président français devra se prêter durant ses trois jours sur le continent africain.

Philippe Hugon est directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), en charge de l’Afrique. Selon lui, si le concept de « Françafrique » a évolué, la responsabilité de la France auprès de ses alliés africains doit être préservée.

François Hollande a affirmé durant sa campagne présidentielle qu’il mettrait fin au concept de « Françafrique ». Ce concept a été inventé après la décolonisation. A-t-il le même sens aujourd’hui qu’hier ?

Le terme de « Françafrique » a bien évolué. Dans le mot « Françafrique », on entend souvent diplomatie, réseaux de personnalités, influences. On sous-entend également une forte non-transparence des relations. Mais depuis quelques années, le concept tend à évoluer et les gouvernants essaient d’assainir cette relation privilégiée qu’entretiennent les anciennes colonies françaises avec leur ancienne métropole.

Cette remise en question se traduit par une refonte de la cellule élyséenne en charge de l’Afrique, la transformation du ministère chargé du développement avec le continent africain et un choix différent des responsables du secteur africain.

Après ces transformations, quelles sont alors les relations que construit la France avec le continent africain ?

La France a des intérêts en Afrique et elle ne peut pas rester indifférente à leur préservation. Les intérêts français sont confrontés à la realpolitik. À la défense des droits de l’Homme et aux valeurs de démocratie, la France doit mener une politique de mesure dans la pratique. En République démocratique du Congo, le président François Hollande doit mesurer ses paroles car la France doit conserver son soutien en faveur du président Joseph Kabila, malgré toutes les exactions connues du régime.

Récemment, des accords de défense ont été signés, la France est au cœur de l’Organisation internationale de la Francophonie, elle a conclu plusieurs alliances avec certains pays.

Même si l’Afrique ne représente que 4% de notre commerce extérieure, la France ne peut pas mettre un terme à ses relations privilégiées avec l’Afrique.

C’est pour cette raison que la France a d’ores et déjà annoncé qu’elle soutiendrait techniquement une opération militaire au nord du Mali ?

La France a un devoir vis-à-vis de certains pays d’Afrique. Le Mali est dans la zone Franc, il a signé plusieurs accords de coopération avec la France. Il y a une grande communauté malienne en France, notamment à Montreuil, en région parisienne, où les Maliens sont environ 20 000. Il y a également de nombreux Français au Mali. Tous ces éléments font que les deux pays cultivent une grande relation et la France ne peut être indifférente à l’invasion islamiste au nord du pays.

Néanmoins, la France ne peut pas être en première ligne et c’est pourquoi une intervention sur le terrain est impossible.

Si la relation de la France avec l’Afrique doit être privilégiée, la déclaration de François Hollande, selon laquelle « la situation (en RDC) est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition », n’est-elle pas déplacée à quelques jours du Sommet de la Francophonie à Kinshasa ?

François Hollande est en plein jeu d’équilibre diplomatique et le programme de son voyage en Afrique en témoigne. Bien qu’ils soient nombreux à lui avoir demandé de boycotter le Sommet, le Président se devait de se rendre à Kinshasa.

Il y a donc un jeu diplomatique qui se jouera en Afrique durant ces trois jours de voyage. François Hollande se rendra tout d’abord au Sénégal, qui est une sorte d’emblème de la démocratie, avant d’aller en République démocratique du Congo. Il rencontrera Joseph Kabila en privé, mais dans le même temps, fera l’apologie des droits de l’Homme et de la démocratie lors de son discours.

François Hollande a un service à minima à faire et c’est ce qu’il fera lors de sa tournée en Afrique.

Lors de ce Sommet de la francophonie, le conflit dans la région du Kivu, en RDC, et la rébellion islamiste au Nord-Mali seront abordés. Quel peut-être le rôle de la Francophonie dans le règlement de ces conflits ?

Si la Francophonie n’a aucun pouvoir militaire, elle a en revanche un véritable rôle à jouer dans la régulation post-conflit. Elle a également une mission diplomatique, et en ce sens, Abdou Diouf, président de la francophonie et ancien président du Bénin, exerce son pouvoir de négociations entre les différentes puissances.

Dans le cas du Mali, l’intervention militaire sera décidée et organisée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), mais l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a une mission en tant que négociateur.

L’OIF a également un rôle à jouer dans le conflit qui oppose les forces congolaises aux rebelles tutsis dans la région du Kivu, notamment en servant de médiateur entre Joseph Kabila pour la RDC et Paul Kagamé pour le Rwanda.

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