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Said Haddad: «Bilan mitigé pour l’anniversaire de la Libye»

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La proclamation de la « libération totale » de la Libye a un an. Le 23 octobre 2011, les autorités de transition libyennes annonçaient la naissance d’une nouvelle Libye, une Libye sans Mouammar Kadhafi, capturé et tué trois jours auparavant.

Un an plus tard, quel bilan dresser de la situation de ce pays, que de nombreux observateurs ont qualifié de « bon élève » du Printemps Arabe ? Said Haddad, spécialiste de la Libye, maître de conférences aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et responsable de la rubrique Libye revue L’Année du Maghreb répond aux questions de JOL Press.

Un an après la « libération » de la Libye, quelles conclusions tirez-vous de l’état général du pays ?
 

Bilan mitigé, après un an de construction post-Kadhafi. Beaucoup de choses ont été accomplies, un régime contesté est tombé, des élections ont été organisées, durant lesquelles les Libyens se sont massivement prononcés, des institutions se sont mises en place. Ont été instaurées la liberté de la presse et la liberté d’expression. Tous ces éléments apportent du crédit aux nouvelles autorités.

Mais, un an après, certaines questions restent encore en suspens. La plus urgente, notamment, est celle de la sécurité et de la mise en place d’institutions telles que l’armée nationale qui serait vraiment contrôlée par l’État. La place et le rôle des milices dans le dispositif sécuritaire sont également posés. Une autre question importante est celle de la relance économique. L’enjeu politique de l’après-Kadhafi est également fondamental. Les autorités doivent désormais mettre en place une justice transitionnelle, la justice et la réconciliation entre les Libyens étant un défi majeur de ce pays. Tous ces éléments sont bien entendu liés et la route ser longue pour y parvenir.

Une « justice transitionnelle » pour juger les anciens proches du régime ?
 

Oui, c’est un vrai enjeu. Le régime de Mouammar Kadhafi a existé pendant 42 ans et aujourd’hui, une question se pose aux nouvelles autorités : jusqu’où peut-on reprocher aux Libyens, ou certains d’entre eux, d’avoir collaboré avec le gouvernement ? Il est évident qu’après quatre décennies de pouvoir de Kadhafi, tout le monde pourrait être suspecté d’avoir contribué plus ou moins volontairement à la pérennité du régime. Il est crucial pour le nouveau régime actuel que le jugement des personnalités du système précédent ne rime pas avec la vengeance et justice expéditive.

Des combats ont éclaté à Bani Walid, au nord du pays, bastion présumé des anciens fidèles du régime de Kadhafi. Qui sont les acteurs de ces violences ?
 

Les premiers acteurs sont, d’après Tripoli, effectivement les nostalgiques de l’ère Kadhafi, qui ont fait de Bani Walid leur fief. Il y a ensuite les autorités gouvernementales qui interviennent par l’intermédiaire de l’armée nationale et de milices légales, fidèles au régime et qui se sont vu déléguer la responsabilité de remettre de l’ordre dans cette zone.

Mais il n’y a pas qu’une logique politique derrière les combats de Bani Walid. Il faut également voir un enjeu régional. Ce n’est pas seulement l’après-Kadhafi qui est à l’origine de ces tensions mais également un reliquat d’animosité beaucoup plus ancien qui oppose la ville de Misrata, située plus au nord, à Bani Walid. Dernièrement, la séquestration et les mauvais sévices infligés à un révolutionnaire originaire de Misrata à Bani Walid à été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres.

Derrière ces combats, il y a donc la volonté d’arrêter les dernier kadhafistes présumés puis les rivalités historiques. L’appartenance de ces deux villes à des camps opposés durant le premier conflit explique également ces violences.

Ces rivalités n’ont-elles pas augmenté depuis un an ?

La logique tribale est un des éléments structurants de la Libye. Mais il ne faut pas regarder l’actualité libyenne uniquement par cette grille de lecture. Il y a aussi des rivalités citadines et régionales, d’autres plus politiques (entre partisans d’un Etat unitaire ou d’un Etat décentralisé par exemple). Si la perspective tribale nous aide à comprendre certains éléments, elle n’explique pas tout. D’un point de vue politique, le gouvernement doit aujourd’hui réfléchir à la place qu’il veut donner à ceux qui ont fait chuter le régime, ainsi qu’aux anciens kadhafistes. Tous ces éléments sont à prendre en compte et ce sont des questions d’ordre politique qui s’ajoutent à certains problèmes problèmes tribaux de la Libye.

Lors des élections législatives libyennes, de nombreux observateurs ont qualifié la Libye de « bon élève » du Printemps arabe tant la transition démocratique paraissait se dérouler naturellement. La Libye est-elle vraiment un exemple de réussite post-révolutionnaire ?
 

Elle est sans aucun doute un cas surprenant car, malgré les divisions qui se sont exprimées durant le conflit, malgré le bilan du régime précédent, malgré l’absence d’une « routine » démocratique (meetings, débats, votes etc.) la Libye a honoré ses principaux rendez-vous. La désignation d’un nouveau Premier ministre et l’élaboration d’une constitution sont les prochaines étapes.

Durant ses 42 ans de pouvoir, Mouammar Kadhafi avait réussi à limiter les tensions entre les 170 tribus qui peuplent la Libye. Depuis sa chute, les combats font rage, notamment au sud du pays, la Libye devra-t-elle envisager sa partition ?
 

Mouammar Kadhafi s’est fortement appuyé sur les tribus et a largement joué avec le facteur tribal de son pays. Certaines tribus ont été favorisées durant son règne au détriment d’autres. Aujourd’hui, des tribus s’affrontent mais il ne faut pas pour autant s’enfermer dans une grille de lecture tribale. S’il y a des conflits tribaux, il y a également des logiques territoriales et économiques qui sous-tendent certains de ces conflits. Notamment pour ce qui concerne le commerce transfrontalier ou les bénéfices attendus de la manne pétrolière au sud du pays. A cela s’ajoute ce qui relève, sans nul doute, de règlements de compte post-révolutionnaire.

Une des urgences porte ainsi sur la redistribution des richesses et le rétablissement d’un Etat de droit. C’est également pour cette dernière raison que le gouvernement ne doit pas faire l’impasse de la mise en place d’un système juridique transitionnel qui réponde au besoin de justice de la population.

Quant à la partition, elle me semble peu probable. Elle a été agitée au début du conflit et cette menace revient de temps à autre. Aujourd’hui, en ce domaine, le vrai défi réside dans la reconnaissance des revendications locales et régionales des Libyens.

La partition n’aura pas lieu, me semble-t-il.  Les Libyens, notamment à l’Est, sont demandeurs d’un rééquilibrage régional et d’une certaine forme de décentralisation du pouvoir qui mettent les différentes régions sur un pied d’égalité, notamment la  Cyrénaïque vis-à-vis de la Tripolitaine.  Ce sera un des enjeux débattus lors de l’élaboration de la constitution.

Faudrait-il alors de nouvelles élections législatives puisque, actuellement, le Parlement donne beaucoup plus de députés pour la Tripolitaine (région de Tripoli, 100 membres) qu’à la Cyrénaïque (région de Benghazi, 60 membres) ?
 

La question de la reconnaissance régionale a effectivement été posée. Juste avant les élections, le Congrès général a été amputé de ces pouvoirs constituants afin de mettre en place l’élection d’une nouvelle assemblée constituante dont la répartition serait plus équitable. Cette mesure a été prise afin de répondre aux revendications des représentants de l’est du pays qui s’estimaient lésés dans la répartition des sièges. Pour l’instant, rien n’en est encore sorti et on peut se demander si l’assemblée élue le 7 juillet ne va pas en fin de compte garder ces prérogatives.  La  question est posée.

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