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Soufian Alsabbagh: «Rien n’est joué encore entre Obama et Romney»

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JOL Press : Si on en croit les sondages, Barack Obama est sorti vainqueur du troisième et dernier débat face à Mitt Romney. Vous partagez cette analyse ?

Soufian Alsabbagh : Il s’en est, j’en conviens, probablement mieux tiré, effectivement. Il a peut-être gagné, mais il n’a certainement pas triomphé, comme prétendent certains journalistes. Des journalistes français qui, péremptoires, ont décrété Barack Obama vainqueur. Cela avait déjà été le cas après le deuxième débat.

Je me demande si la presse française a vu le même débat que moi, et que les journalistes américains – qui se montrent, pour leur part, beaucoup plus mesurés.

Il faut être nuancé.

JOL Press : Finalement, vous pensez qu’on pourra dire que ces débats auront eu un impact déterminant sur le résultat de l’élection ?

Soufian Alsabbagh : Il convient tout d’abord de préciser que rien ne saurait être joué. Maintenant, une chose est certaine, ces débats ont été importants. Sans eux et sans les performances de Mitt Romney, il aurait aujourd’hui 10 points de retard et Barack Obama serait déjà réélu.

Aujourd’hui, nous assistons à une des élections les plus ouvertes, les plus serrées de l’histoire. Il est possible que nous assistions à un remake de la présidentielle de 2000 entre George W. Bush et Al Gore. Barack Obama reste favori, il est légèrement en tête dans les sondages. Mais Mitt Romney peut parfaitement, en deux semaines, rattraper son retard.

JOL Press : Justement, quelle stratégie peut adopter Mitt Romney pour ses deux dernières semaines de campagne ?

Soufian Alsabbagh : N’oublions pas que cette élection est une accumulation d’élections, État par État. Donc, la stratégie se détermine État par État. Tout va se jouer sur le terrain dans la mesure où, après les conventions nationales et la série de quatre débats, il n’y a plus d’événements marquants dans cette campagne.

Mitt Romney a deux solutions…

Première solution : il poursuit sur sa dynamique actuelle qui le voit remonter dans cinq États – Caroline du Nord, Floride, Colorado, Virginie et Ohio. Qu’il remporte ces cinq États et Mitt Romney s’installera à la Maison Blanche fin janvier prochain. Il optera pour cette stratégie s’il juge possible de remporter l’Ohio.

Deuxième solution : s’il estime que les démocrates sont trop forts dans l’Ohio, il devra compenser cette perte. Il lui faudra gagner l’Iowa et un autre État, comme le Wisconsin ou la Pennsylvanie. Ou bien le Wisconsin et le Michigan. Ce serait plus difficile car il compte davantage de retard dans ces États.

On pourra décrypter sa stratégie en fonction de son calendrier, de ses déplacements.

JOL Press : De son côté, quelle doit être la stratégie de Barack Obama ?

Soufian Alsabbagh : Là aussi, plusieurs stratégies possibles.

Pour être élu président, il faut obtenir 270 grands électeurs. A priori, selon mes calculs, Barack Obama peut compter, à ce jour, sur 247 sûrs ou quasi sûrs. Il lui en manque 23. 23 grands électeurs, cela fait Ohio (18) plus Nevada (6) ou Colorado (9). On peut donc imaginer qu’il va tout miser sur l’Ohio  – mais il pourrait chercher à remonter dans des États où il est en perte de vitesse.

Il est sur le point d’entamer une tournée et son itinéraire doit le conduire en Floride, dans l’Ohio, au Colorado et en Virginie. C’est là que tout se joue.

JOL Press : En Floride, Mitt Romney est donné avec 1,8 point d’avance sur Barack Obama – selon le site RealClearPolitics. C’est un des États où la tendance s’est inversée. Ce sont les Latinos qui se mettent à voter républicain ?

Soufian Alsabbagh : Pas vraiment. C’est vrai que les Cubains-Américains ont tendance à voter républicain, par anti-castrisme. Mais, ils sont peu nombreux et ne pourraient pas faire basculer l’élection. Ce qui se passe, notamment, est lié au fait que les autres communautés hispaniques, supporters traditionnels des démocrates, déçues par Barack Obama, s’abstiendraient, donnant la victoire et 29 grands électeurs à Mitt Romney.

JOL Press : C’est une compétition État par État, on l’a bien compris. Est-ce que les problématiques, les thèmes et argumentaires de campagne changent d’un État à l’autre ?

Soufian Alsabbagh : Oui bien sûr, en raison des réalités sociologiques et socio-politiques de chaque État. Mais, il y a des groupes d’États aux problématiques proches. Prenez le Wisconsin, l’Iowa et l’Ohio, ces trois États se ressemblent largement. L’électorat est majoritairement blanc et ouvrier – des industrial workers ou travailleurs industriels.

Si Mitt Romney remporte l’Ohio, il y a de fortes chances qu’il retourne aussi la situation dans le Wisconsin. De même, s’il décroche le Colorado, il sera sans doute bien placé dans le Nevada voisin.

L’effet d’entrainement peut aller vite.

JOL Press : Donc, pour résumer, c’est l’Ohio qui décide qui, de Barack Obama ou Mitt Romney, sera l’homme le plus puissant du monde au cours des quatre prochaines années…

Soufian Alsabbagh : En quelque sorte… Mais, c’est même encore plus compliqué. L’Ohio n’est pas un État uniforme. Au Nord, l’industrie prédominante est l’automobile et au Sud, c’est le charbon. Mitt Romney va se concentrer sur le Sud car il semblerait que son discours sur le charbon y soit bien reçu et puisse faire la différence. C’est donc le Sud de l’Ohio qui va décider.

JOL Press : Et l’Ohio vote souvent républicain ?

Soufian Alsabbagh : La dernière fois, c’était en 2004, puis avant en 2000 et en 1988, etc. C’est simple… Depuis 1964, l’Ohio a toujours voté pour le candidat élu. Le dernier président à s’être passé des suffrages de l’Ohio n’est autre que John Fitzgerald Kennedy en 1960.

L’Ohio est d’autant plus crucial pour Mitt Romney que, dans l’histoire, jamais un républicain n’a été élu sans l’Ohio.

JOL Press : On assiste à une élection serrée à ce jour, mais peut-il y avoir, finalement, un vainqueur net ?

Soufian Alsabbagh : En 2000, dans le psychodrame Bush-Gore, cinq États se sont joués à moins de 1%. Il se pourrait bien que nous nous dirigions vers un remake de ce scénario…

Si l’on en croit le site RealClearPolitics qui aggrège des sondages – mardi soir heure de Paris -, Barack Obama a deux points d’avance dans l’Iowa et 1,9 point d’avance dans l’Ohio. Les deux candidats sont à égalité parfaite en Virginie. Mitt Romney a 1,8 point d’avance en Floride.

JOL Press : La lutte va être acharnée…

Soufian Alsabbagh : Dans les faits, les républicains sont mieux armés puisqu’ils ont aussi plus d’argent. Mais les démocrates ont un coup d’avance en raison d’une carte électorale favorable.

Cela va être une campagne à l’ancienne, une accumulation de discours, de spots et d’interventions télévisés. Toutes les ressources vont être mobilisées – les sénateurs ou les représentants iront faire des discours dans des villes reculées pour y gagner quelques voix.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

Spécialiste de politique intérieure américaine et du Parti républicain, Soufian Alsabbagh est l’auteur de L’Amérique de Mitt Romney (Editions Demopolis, 2012), unique biographie en français de l’adversaire de Barack Obama. Son nouvel ouvrage, La Nouvelle Droite Américaine, est paru le 30 août chez Demopolis.

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