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Système bancaire: sommes-nous allés trop loin en matière réglementaire?

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Analyse financière est la revue trimestrielle de la Société française des analystes financiers. Dans son n°45, un entretien entre Pascal Poupelle et Michèle Hénaff. Le thème : la réglementation bancaire. Pascal Poupelle, président de The Royal Bank of Scotland France s’interroge : sommes-nous allés trop loin ?

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L’entretien a été réalisé par Michèle Hénaff, rédatrice-en-chef d’Analyse financière

Comment imaginez-vous l’avenir des banques européennes ?

L’objectif du renforcement de la stabilité financière et de la solidité des banques peut, poussé à l’excès, avoir des effets négatifs sur le financement de l’économie. Le sujet est préoccupant. Si tant est que Bâle 3 soit appliqué de façon uniforme globalement – ce qui n’est pas acquis pour les USA et encore moins pour l’Asie – il existe des différences importantes dans les structures des bilans bancaires de part et d’autre de l’Atlantique : nos banques d’Europe continentale portent de volumineux actifs dans leurs bilans (elles consentent des prêts et elles les gardent), alors que les banques américaines, qui bénéficient d’un marché de la titrisation profond et sophistiqué, fonctionnent depuis longtemps selon le modèle Originate to Distribute et se débarrassent d’une partie importante de leurs actifs. Le total du bilan des banques européennes représente ainsi deux fois le PIB de la CEE, alors que ce ratio n’est que de 60 % aux USA.

Cette différence se reflète aussi dans le Loan to Deposit ratio qui se situe à 120 % en moyenne en Europe contre 60 % aux États-Unis. Autrement dit, l’application des nouvelles exigences de solvabilité et de liquidités risque de constituer une double peine pour l’Europe, car le système bancaire y sera plus pénalisé alors que l’économie y dépend davantage des banques. Avec de telles contraintes réglementaires, nous finirons par avoir des banques tellement solides qu’elles ne pourront plus remplir leur mission de financement de l’économie, surtout en Europe. Nous sommes en train d’aller trop loin.

Que pensez-vous de l’idée de séparer la banque de dépôts de la banque d’investissement ?

Les banques universelles à la française ont fait la démonstration de leur solidité à l’épreuve du feu de la crise centennale de 2007-2008. Pourquoi remettre en cause ce qui marche ? Le rapport Vickers au Royaume-Uni, qui a été accueilli favorablement par le gouvernement de sa Majesté, sera peut-être mis en œuvre, mais très progressivement (on parle de 2019…) et à l’issue d’une longue consultation. Il répond à une problématique propre au pays : le contribuable britannique a été taxé en 2008-2009 de près de 100 milliards de livres pour sauver les banques et n’est pas près de rentrer dans ses fonds. Les dirigeants à Londres veulent pouvoir dire Never ever again. A contrario, le poids de la finance de marché est essentiel à la prospérité de la City. C’est pour résoudre cette équation impossible que nos amis d’outre-Manche ont inventé « Vickers » : les dépôts des particuliers seront dans un périmètre surprotégé et la City pourra par ailleurs continuer à être la grande place de marché européenne si chère à Londres ! Quant à la règle Volcker aux USA, il faut garder présent à l’esprit qu’elle vise aussi des institutions de banque d’investissement pures et dures, comme Goldman Sachs ou Morgan Stanley, où le trading pour compte propre avait une toute autre dimension que dans nos banques universelles et qui se sont précipitamment réfugiées dans le statut de banques à l’automne 2008 pour bénéficier des largesses de la Fed.

Il reste à espérer que la Commission européenne accueillera avec prudence les recommandations de la commission Liikanen et ne rajoutera pas un nouveau traitement de choc à nos banques d‘Europe continentale. Sur ce sujet comme sur d’autres, il faut se défier des modèles importés ou des solutions universelles.

Comment aider le système bancaire français à se transformer ?

Les banques doivent se transformer pour pouvoir continuer de faire leur métier avec ces nouvelles contraintes et avec des ratios de fonds propres multipliés par près de cinq. Il n’y a pas de solution miracle et plusieurs pistes méritent d’être poursuivies. La première serait de favoriser la titrisation des crédits à l’habitat des banques françaises (crédits au demeurant d’excellente qualité, bien loin des subprimes et autres dérives américaines, mais qui occupent plus de 50 % de leurs bilans en France).

On pourrait imaginer que le papier titrisé soit assorti d’une sorte de label public pour accroître la profondeur du marché et affiner son prix, les établissements étant contraints de conserver 20 % de chaque prêt pour maintenir la discipline actuelle favorable à la qualité du papier. Autre sujet qui s’impose : celui de la stimulation du financement des grandes entreprises. Il est étonnant par exemple de constater qu’en France, un particulier a les plus grandes peines du monde à acheter une souche obligataire Corporate ! Il faut aussi continuer de favoriser l’utilisation des ressources longues des institutionnels (assureurs, gestionnaires de retraite) pour le financement des infrastructures publiques. Mentionnons également le financement du commerce extérieur. Le mécanisme de la Coface fonctionne bien, mais les banques ne lèvent plus la liquidité nécessaire aux crédits acheteurs qui sont par nature longs et souvent libellés en dollars. Personne n’en parle alors que la question pourrait être partiellement résolue en mettant en place des mécanismes analogues à ceux développés dans différents pays voisins (Autriche, Allemagne, UK…) qui remplacent l’assurance-crédit par une garantie pour faciliter le refinancement des crédits-export par le marché obligataire ou aux États-Unis avec PEFCO 1, émanation des grandes banques qui emprunte sur les marchés obligataires avec une signature quasi publique.

Pour le financement des PME et ETI enfin, je ne pense pas que le portage des risques par d’autres acteurs que les banques soit la solution, car elles seules sont en mesure de les analyser et de les maîtriser sur la durée. On pourrait en revanche faciliter le refinancement de leurs portefeuilles de crédits par une nouvelle législation permettant un mécanisme équivalent aux obligations foncières. Les banques trouveraient ainsi des ressources longues peu chères, puisque garanties par les actifs sous-jacents bien diversifiés.

Un autre thème est celui du financement des collectivités locales. Avec la disparition de Dexia et la désaffection des banques commerciales pour les prêts de longue durée, très pénalisants avec les normes Bâle 3, pourquoi ne pas reconstruire une nouvelle agence française de financement des collectivités publiques, à l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et dans d’autres pays nordiques ? La situation de rupture actuelle impose d’envisager des solutions structurelles plutôt que des petits pas.

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