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Un chef d’État peut-il prendre parti dans une élection étrangère?

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Lorsqu’Angela Merkel a affiché son soutien à Nicolas Sarkozy en mars 2012, la démarche a étonné, mais non pas surpris : on savait le couple politique « Merkozy » particulièrement lié dans la crise européenne, et les usages de bonne entente, classiques entre partis amis.

La préférence affichée d’Angela Merkel pour Nicolas Sarkozy aurait pu peser sur les relations franco-allemandes

Toutefois, certains observateurs n’avaient pas manqué de trouver que la chancelière allemande en avait fait un peu trop, prenant un risque non négligeable de mauvaises relations avec le nouveau Président, en cas d’échec de son « préféré ». De fait, les premiers pas de François Hollande, fraîchement élu, ne manquèrent de signifier une prise de distance avec son homologue d’outre-Rhin. Le climat était alors plutôt tendu, car réponse du berger à la bergère, François Hollande était allé au congrès du SPD, le parti rival d’Angela Merkel. Et, surtout, en juin 2012, après son élection, il avait reçu à l’Élysée, avant la chancelière elle-même, Sigmar Gabriel, président du SPD, FrankWalter Steinmeier, patron du groupe parlementaire SPD au Bundestag, et l’ancien ministre social-démocrate des Finances, Peer Steinbrück. Un défaut de préséance, proche du camouflet. Ensuite, les intérêts croisés des deux chefs d’État ont pris le dessus sur les querelles de personnes. Il n’empêche. Etait-ce alors bien judicieux de la part de la chancelière de se mêler de manière aussi précise du choix des Français ? La question mérite en tout cas d’être posée. Une telle situation, qui tend à se banaliser, représenterait-elle une fâcheuse dérive des usages en cours dans la diplomatie mondiale ? Car il y a une grande différence entre afficher une bonne entente (attitude courante) et affirmer de manière officielle un choix électoral dans le cadre d’un scrutin étranger.

Les opinions s’affichent ouvertement dans le cadre des élections américaines

L’élection présidentielle américaine, dont l’issue ne sera pas sans conséquences sur la politique mondiale, attise de nombreuses conjectures et inquiétudes. Certains hommes politiques n’ont pas hésité à prendre parti de façon explicite. C’est le cas du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu qui a ouvert le bal, en annonçant de manière tonitruante son soutien inconditionnel à Mitt Romney, à la suite de la visite du candidat républicain en juillet dernier, jetant un net froid dans les actuelles relations avec les États-Unis encore dirigés par Barack Obama. Il n’en fallait pas plus pour relancer la polémique des relations teintées de suspicion de la communauté juive à l’égard de l’actuel président des États-Unis. Toutefois, le président d’Israël, Shimon Peres, a choisi de contredire son Premier ministre en continuant d’accorder sa confiance à Barack Obama, tempérant ce qui aurait pu tourner à la crise politique. Le Président russe Vladimir Poutine, qui ne fait jamais dans l’implicite, n’a pas hésité à enfoncer le clou lui aussi en exprimant sa préférence pour Mitt Romney. Une manière de lancer à son homologue américain un avertissement au sujet de la Syrie ? Il est vrai que Vladimir Poutine n’a pas apprécié le soutien accordé par Barack Obama aux anti-Assad… Le message électoral sert-il alors, dans ce cas, de message diplomatique indirect ?

L’Europe reste plutôt favorable à Barack Obama… tout en évitant les déclarations officielles

Depuis la visite ratée de Mitt Romney au Royaume Uni en pleine période des Jeux Olympiques, où le candidat républicain avait multiplié les maladresses, David Cameron n’a pas caché sa sympathie pour Barack Obama, avec lequel il entretient des relations très cordiales. Mais il a évité toute déclaration officielle, afin de ne pas entacher l’avenir des relations bilatérales en cas de non-renouvellement du mandat de celui-ci. En France, comme dans de nombreux pays européens, l’opinion politique conserve son soutien à Barack Obama, celui qui incarne à ses yeux le président de l’ouverture « sociale », qui a fait voter notamment la loi Medicare. Ainsi, François Hollande a-t-il évoqué habilement des « intérêts communs » avec le président américain, sans pour autant prendre parti ouvertement contre son challenger…

Le spectaculaire retournement de Hugo Chavez en faveur de Barack Obama

La surprise est venue de Hugo Chavez, le président du Venezuela, qui a annoncé dimanche 30 septembre sur la chaîne de télévision Televen que « Obama était un type bien » et que, « s’il était Américain, il voterait pour lui. » Un geste en faveur de celui qui a estimé récemment que le Vénézuela ne représentait aucune menace pour les intérêts des États-Unis ? Toujours est-il que le revirement du président vénézuélien est spectaculaire, car au début de son mandat, il n’avait pas mâché ses mots pour critiquer l’actuel président américain.

Une ingérence dans la politique intérieure, risque pour l’avenir des relations bilatérales ?

Ces anecdotes pourraient ne constituer que des épiphénomènes marginaux. Or il n’en est rien. Car le phénomène se répand à la vitesse des réseaux sociaux. Ingérence inappropriée ou affinités politiques compréhensibles, est-il souhaitable que les chefs d’État se lancent ainsi dans des déclarations officielles pour annoncer leur préférence lors d’un scrutin national organisé hors de leurs frontières ? Cette nouvelle tendance de la communication politique pose une vraie question : n’y a –t-il pas un danger à ce qu’un pays étranger se mêle de la démocratie des autres pays ? Ou bien, à l’inverse, doit-on considérer aujourd’hui que les États jouent ensemble une partition mondiale, et que les chefs d’ État ont leur mot à dire dans le cadre de choix nationaux qui auront inévitablement des conséquences internationales ?

Un jeu doublement politique

Ce qui est sûr, c’est que le jeu est doublement politique : pour celui qui est soutenu, et pour celui qui soutient. Car le premier se retrouve clivé dans une relation ami-ennemi, et le deuxième se sert de sa déclaration pour se positionner vis à vis de sa propre population. De messages codés en outils d’influence, ne risque-t-on pas de voir ici la démocratie nationale atteinte dans sa souveraineté et détournée de ses objectifs principaux ?  C’est un risque non négligeable. D’autant que les véritables ententes se construisent sur des faits et non sur des déclarations d’intention. Or, lorsqu’un candidat est en campagne, il est en position outrancière, et certaines déclarations extérieures peuvent ensuite le condamner à une sorte d’allégeance pour un soutien qu’il n’aurait en plus jamais sollicité. 

La guerre de la communication et des alliances

Quel est l’impact réel de ces soutiens? Il semble que nul ne soit dupe et que les populations votantes ne se sentent pas très concernées. Cela peut même jouer en sens inverse : le soutien d’Angela Merkel à Nicolas Sarkozy, par exemple, n’a pas empêché François Hollande d’être élu, et le soutien de Benyamin Netanyahu à Mitt Romney ne semble pas fondamentalement avoir changé les intentions de vote des juifs américains. Le soutien de Hugo Chavez est en revanche à double tranchant, car il pourrait définitivement confirmer Barack Obama dans son tropisme de candidat de la communauté « latino-américaine ».

Vers un nouvel « ordre diplomatique mondial » ?

L’Assemblée générale de l’ONU, qui s’est tenue la semaine dernière à New York, a montré combien le nouvel ordre diplomatique mondial utilise de plus en plus les armes de la communication directe, plutôt que celles des relations internationales traditionnelles soumises à un jeu fermé. À l’heure où les risques liés à la multiplicité et l’immédiateté des flux d’information sont réels, nous entrons dans une ère de guerre des mots, avec double impact, diplomatique d’un côté, médiatique de l’autre. Les risques de dérapages existent toujours. Une déclaration d’inimitié clairement exprimée à l’encontre d’un candidat finalement élu pourrait entacher les relations bilatérales entre deux pays. Au nom du respect de la souveraineté des peuples et de la nécessaire prudence qui sied entre les nations, une attitude de réserve de la part des chefs d’État pour leurs homologues en période électorale ne serait-elle pas plus appropriée ? Elle éviterait un déplacement du débat national vers des enjeux bien plus ambigus et le glissement de la diplomatie vers une joute verbale dangereuse et arbitraire

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