Site icon La Revue Internationale

A. de Saint-Simon: «La gentillesse doit être au coeur de la vie sociale»

arnaud_de_saint_simon.jpgarnaud_de_saint_simon.jpg

[image:1,l]

Aujourd’hui, oublions les chiffres en hausse de la délinquance et du chômage, et rêvons d’une société plus solidaire ! C’est la voie choisie le magazine Psychologies, qui organise sa 4ème édition de la Journée de la gentillesse, avec un ensemble d’initiatives et de messages forts, comme la revalorisation de la gentillesse dans l’espace du travail ou au sein de l’école, ou encore l’instauration d’un prix de la gentillesse en politique, décerné à François Hollande.

Arnaud de Saint-Simon, directeur général de Psychologies revient pour JOL Press sur le sens d’une telle opération. Avec son sourire complice et sa manière de toujours placer son interlocuteur au centre de l’échange, il nous explique pourquoi, plus que jamais par temps de crise, la gentillesse, la solidarité et la convivialité sont des valeurs à redécouvrir à tous les échelons de la vie sociale ( individuelle, familiale, professionnelle, scolaire, politique…). Et pourquoi il est urgent de tourner le dos à toutes les tentatives de lutte sans merci avec les autres. La révolution « gentille » serait-elle en marche ?

JOL Press : La gentillesse est une qualité qui a été très dévalorisée, au point d’être davantage associée à la mollesse ou à la faiblesse. Pouvez-vous nous dire ce que la gentillesse signifie pour « Psychologies » ? 

Arnaud de Saint-Simon : En 2009, lorsque nous avons lancé la première Journée de la Gentillesse, nous voulions avant tout posser une question : comment se fait-il qu’une valeur aussi belle et nécessaire au bonheur soit aussi décrée et associée à des attributs négatifs ( mollesse, faiblesse, ridicule…). Emmanuel Jaffelin dans son Petit Éloge de la gentillesse (François Bourin) nous a montré en 2011, combien « en prenant conscience que la gentillesse n’est pas faiblesse, mais noblesse », nous reconnaissons « en elle une vertu prometteuse et annonciatrice d’un nouveau gentilhomme.»

Les philosophes anglosaxons de Thomas Hobbes à Adam Smith ont prôné l’individualisme, et cette vision de l’homme comme « loup pour son semblable », pendant qu’au pays de Descartes, cynisme et méfiance étaient associés à l’intelligence. Aujourd’hui nous sommes arrivés à une impasse avec cette vision si antagoniste de l’humain. C’est pourquoi, il nous semble que la gentillesse est une valeur moderne, qui n’est pas synomyme de contemplation passive, mais bien d’attitude proactive. La gentillesse génère la capacité à aller vers les autres et à savoir créer le climat propice à une meilleure entente mutuelle. Elle est donc positive et créatrice de liens.

JOL Press : C’est la première fois que « Psychologies » s’engage autant sur le plan sociétal. Premier volet de votre action : revaloriser la gentillesse au travail. Pour vous, ceci est non seulement une urgence humaine, mais aussi une nécessité économique. Dans les faits, est-ce applicable ?

Arnaud de Saint-Simon : Non seulement c’est applicable, mais c’est souhaitable ! Et, nous nous engageons en publiant les 14 bonnes pratiques qui sont des réponses concrètes au travail dans l’entreprise. En effet, toutes les études récentes montrent que promouvoir la bienveillance, l’empathie et la gentillesse au travail est non seulement positif sur le plan humaniste, mais aussi sur le plan économique. Car si un salarié est plus motivé, il sera plus efficace et de plus, une entreprise plus solidaire attirera les meilleurs éléments du marché, car ils préféreront la rejoindre plutôt que d’aller chez un concurrent moins épanouissant. On peut dire que nous sommes arrivés à la fin du modèle du tout-compétition, qui se montre parfois utile au court-terme, mais très destructeur au moyen et long terme. Les entreprises ont un rôle à jouer pour mettre en place de nouveaux systèmes d’expression et d’évaluation.

JOL Press : Deuxième volet de votre engagement, celui auprès des écoliers et lycéens, avec même la mise en place d’un kit anti-violence. Pouvez-vous nous en donner les grandes lignes ?

Arnaud de Saint-Simon : L’éducation à la gentillesse est certainement à mettre en place le plus tôt possible. Or l’école est le premier point de rendez-vous social après le cocon familial. C’est dire si son territoire est important dans la construction des schémas comportementaux.  

Pour les petits, nous avons préparé un kit anti-violence à destination de leurs enseignants avec un ensemble de recommandations et d’outils comme des bandes dessinées spécifiques de la série Max et Lily, très populaire auprès des enfants.

À l’intention des lycéens, nous avons publié avec l’aide d’Éric Debarbieux, le spécialiste de la violence à l’école, dix conseils très concrets pour lutter contre le harcèlement qui touche aujourd’hui près de 15% des ados. Parmi les mesures que nous préconisons, il y a l’incitation à des travaux de groupe et des sports collectifs, la mise en place de moments d’écoute et de partage et le développement de médiations par les jeunes eux-mêmes.

JOL Press : « Psychologies » a décerné cette année le prix de l’élu le plus gentil. Et l’heureux gagnant est François Hollande. Le président normal devient ainsi le président gentil. La gentillesse est-elle-même une valeur compatible avec les exigences du pouvoir ? 

Arnaud de Saint-Simon : À notre étonnement, la gentillesse s’est invitée dans le débat politique. Il y a eu notamment le livre François Hollande, la force du gentil de Marie-Eve Mallouines (JC Lattès), paru en février 2012, qui nous a interrogés. C’est pourquoi nous avons voulu lancer notre sondage. Il est surprenant que François Hollande, qui est devenu entre temps président de la République, ait été choisi comme le plus gentil. Il est ressorti de notre sondage que les valeurs de la gentillesse sont davantage associées à celles de la gauche, et qu’on pouvait habiter la fonction sans pour autant perdre cet attribut. Mais c’est à double tranchant. Certains reprochent à François Hollande son incapacité à trancher, sa manière donc d’être peut-être « trop gentil. »

Pour autant, il me semble que de façon générale, la gentillesse n’est pas incompatible avec le pouvoir. Car cette gentillesse « moderne », est associée à la capacité d’être ferme, de dire la vérité, de prendre ses responsabilités. Cette gentillesse va aider à accompagner les conséquences de ses actes, non pas à les éviter. Et puis, peut-être qu’aujourd’hui le pouvoir doit être celui d’une équipe. En ce sens-là, n’y aurait-il pas aussi une vertu dans la volonté de servir le bien commun en dépassant les intérêts particuliers ?

JOL Press : Sur le plan individuel, la gentillesse est une sorte de sagesse, une représentation de soi dans le groupe. Pensez-vous qu’il est temps de concevoir son équilibre avec les autres et non contre eux ?

Arnaud de Saint-Simon : Créer de nouvelles solidarités, du lien, est devenu essentiel, que ce soit dans l’entreprise, à l’école, ou à titre individuel. Chacun vivra mieux et en meilleure santé ( des études ont montré l’effet bénéfique de la gentillesse sur la santé). Nous avons besoin de construire un nouveau monde, autour de cette nouvelle sagesse. La gentillesse d’aujourd’hui renoue avec la tradition de la charité, mais sans le message de la religion. La gentillesse est en quelque sorte la version laïque de la compassion.

JOL Press : Votre pensée gentille du jour ?

Arnaud de Saint-Simon : Plutôt que de donner des leçons sur le sujet, j’apporterais plutôt une note d’humour en citant une phrase de Woody Allen
« Dans votre ascension professionnelle, soyez toujours très gentil pour ceux que vous dépassez en montant. Vous les retrouverez au même endroit en redescendant. ». Par conviction, ou par calcul, soyez-gentils, vous ne le regretterez pas !

Quitter la version mobile