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Avant le départ des troupes, la société civile afghane s’inquiète

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Aziz Rafiee sait bien combien les périodes de changement peuvent être tumultueuses en Afghanistan. En tant que jeune activiste qui a manifesté contre l’occupation soviétique, il a été emprisonné durant les années 1980.

Vers une nouvelle période de transition à l’afghane

Il a ensuite appris à vivre dans le chaos qui a suivi lorsque le gouvernement communiste s’est effondré, avant de connaître, plus tard, la dure réalité de la détermination du régime taliban pour imposer l’ordre et la loi.

Aujourd’hui, comme les troupes de l’Otan s’apprêtent à quitter le pays, après plus de dix ans de présence, une aube nouvelle approche de nouveau. Certains craignent que l’une des quelques réalisations tangibles de l’occupation américaine – la construction d’une société civile – se perde.

Aziz Rafiee est directeur exécutif du Forum de la société civile afghane, organisation qui a commencé à travailler en 2002, et compte 120 antennes dans tout le pays.

En regardant de près ces trente années de violence et de troubles, il a du mal à identifier la période la plus sombre car « nous en avons traversé de nombreuses », explique-t-il. Mais en contraste avec tous les souvenirs qu’il garde de ces années, il donne un bilan mitigé de la situation actuelle.

Quelques victoires à préserver

Les victoires acquises en termes de liberté d’expression et de droits de l’Homme ont été « deux grands succès », estime-t-il. Mais il craint que ces deux acquis soient menacés par un glissement vers le fondamentalisme religieux, visible aujourd’hui dans les quelques efforts faits pour négocier avec les taliban.

Depuis son bureau où il s’exprime, près du ministère de l’Intérieur, à Kaboul, il affirme : « Les Européens, les Américains, le gouvernement afghan et les acteurs régionaux s’attardent plus sur l’agenda politique que sur l’agenda social pour le changement et le développement. »

Néanmoins, Aziz Rafiee est confiant et pense que son pays s’engage dans la bonne direction, notamment en raison du désir de la nouvelle génération pour la fin des combats. Il n’envisage pas que le départ des troupes étrangères puisse provoquer le retour des talibans au pouvoir et fasse tomber le pays dans la guerre civile.

« Je pense que nous aurons plus ou moins la même situation, un gouvernement corrompu, des élections corrompues, un État corrompu et une économie corrompue – quelque chose comme ça », déclare-t-il.

« Nous continuerons d’être à vos côtés »

La secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a pourtant cherché à rassurer la population afghane en assurant que les droits fondamentaux ne seraient pas oubliés après le départ des troupes américaines et de leurs alliés.

À l’occasion d’un Sommet international à Kaboul, en 2010, elle avait averti que si les mouvements de femmes et de la société civile « sont poussés au silence ou sont marginalisés […] les recherches de paix et de justice seraient vaines. »

En juillet dernier, Hillary Clinton a également rencontré des activistes afghans au Japon, leur affirmant : « Nous voulons continuer à être à vos côtés. »

Durant cette même conférence à Tokyo, la communauté internationale a réaffirmé qu’elle donnerait au gouvernement afghan un rôle plus important pour choisir le meilleur moyen d’utiliser ses fonds, notamment en s’engageant à allouer au moins 50% de l’aide au développement au travers le budget national. Washington l’a également notifié dans son pacte avec Kaboul.

Le monde continuera-t-il à s’intéresser à l’Afghanistan ?

Certains représentants de la société civile craignent, qu’à l’avenir, une grande part de cette aide ne soit pas redirigée au niveau local. Ils craignent également que la classe politique ait d’autres priorités pour utiliser ces fonds, ou que cet argent soit tout simplement mal utilisé en raison de la corruption ambiante.

Mirwais Rahimzai est directeur d’un bureau du Centre de coordination de la société civile (CSCC), un réseau national. Il explique que les fonds alloués par l’Otan ont déjà commencé à diminuer, à mesure que les troupes de l’Otan se retirent du territoire. L’investissement est réduit et le monde commence à avoir d’autres priorités.

« Ce que nous attendions en 2014, nous le voyons – nous l’expérimentons – maintenant », déclare-t-il.

À l’époque des talibans, la société civile a été considérablement réduite. Désormais, des dizaines de milliers d’Afghans sont employés dans le secteur, et le ministère de l’Économie seul compte 1755 organisations locales et non gouvernementales – notamment des groupes de la société civile.

Si la société civile tombait entre de mauvaises mains…

Pourtant, Mirwais Rahimzai craint que le pays ne souffre d’une « fuite des cerveaux », conséquence de cette dernière décennie qui a vu de nombreux jeunes Afghans quitter le pays parce que le gouvernement « n’était pas disposé ou prêt ».

Un autre problème vient de l’insécurité croissante. En dehors des conséquences sur la population, cette insécurité rend les activistes plus vulnérables aux attaques des rebelles et des criminels.

Mirwais Rahimzai vient de la province de Maidan Wardak, près de Kaboul. Il explique à Global Post que la forte présence des talibans dans la zone l’incite « à ne même pas rêver » y retourner.

Avec le temps qui passe, avant que les troupes étrangères ne partent définitivement à la fin 2014, les activistes attendent toujours de voir si les États-Unis et ses alliés partagent leurs espoirs pour l’avenir.

« Si la société civile ne trouve pas sa place durant les deux prochaines années, alors l’Afghanistan sera de nouveau entre les mains de personnes qui ne s’en soucient pas », affirme Malalai Shinwari, membre actif du Centre de coordination de la société civile. « L’Afghanistan sera encore une fois en crise et nous perdrons tout. »

Global Post / Adaptation Sybille de larocque – JOL Press

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