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Bastien Millot: «Les sondages passent, Copé l’a appris de Chirac»

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BastienMillot, expert en communication politique, est président de l’Agence Bygmalion et maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a été un très proche collaborateur de Jean-François Copé. Nous avons souhaité l’interroger sur la situation à l’UMP et sur l’avenir de Jean-François Copé.

JOL Press : L’affrontement auquel nous assistons entre Jean-François Copé et François Fillon s’est exacerbé à l’occasion de cette campagne pour la présidence de l’UMP – et a pris les formes que nous connaissons après l’annonce des résultats. Pourtant, on imagine des années de haine entre les deux hommes. Vous partagez ce point de vue ?

Bastien Millot : Effectivement, les racines du mal sont à chercher dans les rapports très compliqués qu’entretiennent les deux hommes. Des rapports qui, à vrai dire, ne reposent sur aucune relation personnelle, aucune proximité.

Pendant plusieurs années, alors que François Fillon était à Matignon et que Jean-François Copé présidait le groupe UMP à l’Assemblée nationale puis occupait le secrétariat général de l’UMP, ils ont été contraints de cohabiter, maintenus dans cette situation par Nicolas Sarkozy, mais leurs relations n’ont cessé de se dégrader et le fossé de se creuser.

L’élection présidentielle passée, Nicolas Sarkozy en retrait et les deux hommes candidats à la présidence de l’UMP, nous avons atteint un point culminant.

JOL Press : Cet affrontement a-t-il aussi des fondements idéologiques ?

Bastien Millot : La campagne pour la présidence de l’UMP et, plus encore, le résultat du vote sur les motions l’ont parfaitement montré… Au-delà des deux candidats, c’est le parti, l’UMP qui est coupée en deux. Une moitié est partisane d’un positionnement clairement, résolument à droite, et l’autre moitié campe sur le positionnement historique de l’UMP, une synthèse de la droite et du centre-droit et une conception plus modérée de l’opposition. Résultat : un mouvement dont on ne voit plus clairement la cohérence idéologique.

JOL Press : Jean-François Copé et François Fillon, ce sont aussi deux caractères radicalement opposés…

Bastien Millot : Les deux hommes ont effectivement l’habitude de s’affronter. Le niveau de tension grimpe aisément entre les deux et les réconciliations ne sont que de façade.

Il y a un problème d’humeur entre Jean-François Copé et François Fillon et, comme on dit – un peu trivialement – « ils ne se calculent pas »…

Tout était en gestation, mais personne – et aucun des deux hommes en particulier – n’avait imaginé un tel scénario.

JOL Press : François Fillon était en effet certain de l’emporter, n’est-ce pas ?

Bastien Millot : Oui, François Fillon était persuadé de l’emporter, même s’il imaginait sans doute que l’écart serait plus resserré que ne le prédisaient les sondages interrogeant les sympathisants. Il a donc été déçu par les résultats du 18 novembre.

Quant à Jean-François Copé, il tenait par une campagne acharnée, de terrain, à arracher la victoire.

JOL Press : Jean-François Copé ne cache pas ses ambitions présidentielles. Le contrôle de l’UMP est une condition sine qua non de sa stratégie pour 2017 ?

Bastien Millot : Diriger le parti est, depuis longtemps, une priorité pour Jean-François Copé. C’est la raison pour laquelle il s’est déjà tant battu pour en devenir le secrétaire général en novembre 2010. Quand Nicolas Sarkozy a tenu, à plusieurs reprises, à le faire rentrer au gouvernement entre 2007 et 2012, Jean-François Copé a toujours refusé parce qu’il voulait l’UMP.

Sur ce point, Jean-François Copé et François Fillon sont d’ailleurs d’accord… Le contrôle du parti leur parait essentiel à toute stratégie présidentielle.

JOL Press : Pourtant, fort de son statut d’ancien Premier ministre, sortant à peine de Matignon, ne peut-on pas imaginer que François Fillon puisse, lui, s’en passer ?

Bastien Millot : Non, de mon point de vue, pas davantage. L’un comme l’autre ont et auront besoin d’une structure partisane. On se souvient d’Edouard Balladur en 1994-1995, qui, tout Premier ministre qu’il était, a perdu face à Jacques Chirac parce qu’il ne disposait pas d’une force militante suffisamment nombreuse, et suffisamment structurée. Jacques Chirac, bien qu’au plus bas dans les sondages, avait conservé la fidélité du RPR, alors formidable machine électorale.

JOL Press : Les temps ont changé. Et, avant la présidentielle de 2017, il devrait y avoir les premières primaires ouvertes à droite. Cela ne changerait-il pas la donne ? Après tout, à gauche en 2011, la première secrétaire Martine Aubry n’a pas remporté l’investiture…

Bastien Millot : Contrôler l’UMP dès maintenant, c’est disposer d’un avantage considérable et être en mesure d’arriver en force en 2016.

JOL Press : Les positions de Jean-François Copé ont été, semble-t-il, parfois caricaturées au cours des derniers mois. C’est quoi au juste le « copéisme » ?

Bastien Millot : Jean-François Copé s’est doté d’un corpus idéologique par agrégat, l’addition dans le temps des enseignements de ses expériences successives. La première brique, c’est son expérience de maire de Meaux, dans le nord de la Seine-et-Marne, ville qu’il a conquis à la gauche lors des municipales de 1995 et qu’il dirige toujours. Confronté aux difficultés d’une banlieue, pas si proche de Paris, avec des quartiers en difficulté, il y a acquis des positions fortes sur la sécurité ou en matière de politique de la ville. Membre des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, il a approfondi son jugement sur les questions de politique budgétaire. À l’Assemblée nationale, il a travaillé tous les problématiques dites « de société ».

Difficile de le rattacher à telle ou telle forme de « prêt-à-penser » idéologique, à telle ou telle doctrine préexistante de la droite française. C’est une accumulation, une démarche pragmatique fondée sur ses expériences.

JOL Press : C’est « chiraquien » comme attitude…

Bastien Millot : Et tout aussi « sarkozien »…

JOL Press : Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy  justement. Quels enseignements a-t-il tiré de sa proximité avec les deux derniers leaders de la droite – une proximité plus réelle et approfondie, sans doute, avec l’aîné des deux ?

Bastien Millot : De Jacques Chirac, entre autres choses, il a sans doute retenu la nécessité de maitriser l’appareil partisan, une leçon d’habilité politique aussi. De Nicolas Sarkozy, on retrouve cette manière effrénée de faire campagne, une forme d’audace et de culot, la certitude que les pronostics peuvent toujours être déjoués.

JOL Press : Avec les deux, Jean-François Copé n’a-t-il pas aussi en commun cette volonté – et capacité – à « éliminer » ses adversaires ?

Bastien Millot : Éliminer, non. Parmi la génération des quadras [NDLR : Jean-François Copé est né le 5 mai 1964], il est le plus clairement présidentiable.

JOL Press : En revanche, il n’a pas de temps d’avance sur Nicolas Sarkozy…   

Bastien Millot : De facto, mais ils ne sont pas réellement concurrents. Tout au long de sa campagne, Jean-François Copé, s’est posé en garant de la fidélité à l’ancien président de la République ; Ensuite, tout dépendra des candidatures à la primaire…

Jean-François Copé a un autre avantage sur nombre de ses concurrents sérieux – et François Fillon en particulier -, il est encore à un âge où il peut envisager d’être le Premier ministre d’un Nicolas Sarkozy de retour à l’Élysée.

JOL Press : Le spectacle de ces derniers jours pourraient laisser des traces. N’y aurait-il pas, en fin de compte, deux perdants, François Fillon et Jean-François Copé ?

Bastien Millot : Indéniablement, les deux hommes sortent un peu abîmés, mais pas tant que cela, de cette session. Il leur a été impossible de mettre en œuvre de véritables stratégies de communication, tant les événements se sont déroulés à vive allure et de manière assez irrationnelle. Impossible de souffler.

Mais, les sondages passent et le parcours politique reste pour mieux se poursuivre. Jean-François Copé ne l’ignore certainement pas et, cette leçon audacieuse, il l’a tient sans doute aussi de Jacques Chirac.

Propos recueillis par Franck Guillory

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