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Combattre et résorber la crise économique en France

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Dans le but de rendre l’emploi flexible, le Medef, a transmis mercredi dernier une liste de mesures aux syndicats dans l’attente d’une quatrième séance de négociation attendue ce jeudi. Parmi les propositions émises par l’organisation patronale figurent la dégressivité des allocations chômage, l’obligation pour les chômeurs d’accepter « toute offre valable d’emploi », la limitation des recours en justice contre les licenciements à un an au lieu de cinq, la limitation du montant des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

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Le Medef réclame aussi la mise en place d’un CDI plus flexible avec, en parallèle, une utilisation plus ouverte des contrats de mission et des contrats intermittents. Mais aussi la possibilité de licencier un salarié plus facilement dans le cas d’un licenciement économique, avec la mise en place d’un dispositif pouvant permettre un licenciement rapide en cas de restructuration et lorsque l’employé refuse un reclassement interne. Enfin, les patrons veulent obtenir la possibilité de baisser temporairement les salaires, ou d’augmenter ponctuellement le temps de travail en période difficile afin de « maintenir l’emploi ». Les exigences patronales permettront-elles le « compromis historique » tant attendu par François Hollande, à l’issue de la rencontre avec les organisations syndicales ?

Les 32 heures

On ne cessera jamais de le dire et de le redire. Combattre la crise, c’est avant tout autre chose s’en prendre au chômage et, dans cette optique, des mesures draconiennes sur le temps de travail auraient dû être prises dans le prolongement des 35 heures. La loi Aubry sur les 35 heures initiée par le gouvernement de Lionel Jospin avait visiblement rencontré une opposition militante de la part du patronat, en l’occurrence le Conseil national du patronat français (CNPF)[1], et des partis politiques d’opposition (l’UDF et l’UMP). Ainsi l’accord signé avec l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) par trois syndicats de la métallurgie, contre lequel les deux plus importants syndicats avaient refusé de signer, avait privilégié les heures supplémentaires contre la réduction du temps de travail.

La loi sur les 35 heures aurait donc dû être rapidement complétée par un texte limitant les heures supplémentaires. Cependant, n’en déplaise aux libéraux de l’UMP, la réduction du temps de travail à 32 heures serait plus profitable à l’emploi. Les négociations branche par branche, ou par entreprise, pourraient le permettre. Les études menées depuis longtemps à l’institut Max Plank, à Dortmund en Allemagne, ont montré que la productivité s’améliore avec la réduction de la durée journalière du temps de travail. En effet, « une réduction de la durée hebdomadaire se traduisant par une réduction journalière du temps de travail n’entraînerait pas une réduction proportionnelle de la production, en raison de la meilleure productivité des heures effectuées, d’une réduction de la fatigue et d’une diminution de l’absentéisme. »[2]

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C’est la raison pour laquelle lorsque le gouvernement socialiste a réduit en 1983 de 40 à 39 heures la durée du travail, il n’en est résulté aucune création d’emploi sensible. L’ensemble des travailleurs s’est contenté de travailler mieux en 39 heures, afin de faire le travail de 40 heures. La réduction de la production engendrée par celle du temps de travail n’étant donc pas proportionnelle à la réduction des horaires, une certaine compensation s’opère.

Cette compensation est estimée aujourd’hui à près de 50 % à 32 heures, c’est-à-dire que pour une diminution d’un point de la durée du travail, la diminution de la production n’est que de 0,5 point, en raison de l’amélioration de la productivité des heures effectuées, et des efforts parallèles de la rationalisation et de l’organisation qui en découlent. Mais, nous apprennent les études de l’institut Max Plank« en cas de réduction de la durée du travail, la perte de production est plus forte pour les petites entreprises que pour les grandes, parce que celles-ci peuvent plus facilement embaucher du personnel, mettre en service des équipements nouveaux et réorganiser »[3].

La réorganisation de la production

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Au lieu de licencier les travailleurs par dizaines de milliers, comme le patronat a malheureusement pris l’habitude de le faire, il est nécessaire que les moyennes et grandes entreprises apprennent à réduire leur temps de travail global, au fur et à mesure qu’elles améliorent leur productivité. Cette réduction du temps de travail doit-elle s’accompagner d’une réduction proportionnelle des salaires ? Il est évident que non.

C’est en effet l’augmentation de la productivité qui permet de réduire les effectifs dans les entreprises. En conséquence, la réorganisation de la production par une rotation des équipements tournant plus longtemps que le temps de travail légal du personnel doit permettre non seulement de produire plus, mais de faire face au surcoût dû au maintien des salaires, tout en embauchant. Dans toutes les entreprises, cependant, la réorganisation du travail et la fixation des conditions nouvelles de celui-ci sont à négocier entre direction et personnel.

Il n’existe pas d’exemple d’échec de la négociation, lorsque la volonté d’aboutir en créant des emplois existe de part et d’autre, y compris dans les petites entreprises. De plus, il est évident que c’est sur la base de la semaine de 32 heures, c’est-à-dire de 4 jours, qu’il faut pratiquer la réduction future du temps de travail. La loi Fillon sur le temps du travail avait détricoté celle sur les 35 heures en ayant fixé un plafond à ne pas dépasser alors que rien n’empêchait, lors des négociations entreprise par entreprise, d’aller jusqu’à 32 heures lorsque la réorganisation de la production le permettait[4].

Force est de constater que la loi sur les 35 heures est presque trois fois moins efficace que celle sur les 32 heures qui reste, de toute façon, soit à négocier tout de suite si les syndicats sont assez forts pour cela, entreprise par entreprise, soit à officialiser par une autre loi plus tard, malgré l’hostilité du patronat et le fait que la réforme du gouvernement Fillon sur le temps de travail a rendu le salarié taillable et corvéable à merci.

D’autres conditions en vue de la création d’emplois

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Si l’action du gouvernement de Lionel Jospin était apparue un peu timorée, d’autant plus que l’hostilité patronale n’aurait pas pu être plus intense, d’autres conditions auraient pu contribuer à la création d’emplois. En premier lieu, une automatisation bien conçue du processus de production. Aujourd’hui, souvent, une robotisation à outrance apparaît à de nombreux patrons comme le meilleur moyen d’améliorer le profit. Or, on s’aperçoit que le rôle de l’être humain est fondamental dans l’amélioration de la qualité des produits, mais aussi et surtout dans l’amélioration de la productivité. Trop de robotisation peut casser la cadence par la multiplication des incidents. L’insuffisance de personnel peut, de ce fait, engendrer des pertes de temps.

Le développement des cercles de qualité en Suède a montré que l’intervention du savoir-faire du travailleur dans l’organisation du travail et le contrôle des automates sont essentiels. L’amélioration de la productivité par la qualité de l’automatisation et des conditions de travail des ouvriers a d’ailleurs déjà porté ses fruits dans de nombreuses entreprises en France qui, malheureusement, ont décidé, souvent en même temps, de réduire aussi leurs effectifs. C’était très à la mode dans les années 1980. La production avait augmenté de 51 %, par exemple, dans l’industrie chimique française pendant cette période tandis que les effectifs baissaient de 12 %. Le gain de productivité avait donc atteint 71 %, ce qui était considérable.

La concurrence internationale

Les gains de productivité n’ont pas seulement pour objet de maintenir les salaires au niveau antérieur lorsque l’on passe à la semaine de 4 jours. Il faut aussi faire face, surtout pour les grandes entreprises, à une concurrence internationale acharnée, qui, en période de récession comme aujourd’hui, a tendance à tourner à la déflation. Ainsi, par exemple, le groupe Saint-Gobain était confronté à une baisse moyenne de prix de vente à l’étranger de 2 à 3 % afin d’augmenter les ventes. Une telle concurrence internationale, dans la production des grands groupes industriels, représente par ailleurs la garantie d’une meilleure compétitivité par la qualité.

La réduction du temps de travail par l’adoption de la semaine de 4 jours pour le personnel des moyennes et grandes entreprises reste un des meilleurs moyens immédiats de réduire le chômage tout en améliorant la productivité. Mais il faut, comme l’ont confirmé un bon nombre de spécialistes en la matière[5], une croissance forte pour éradiquer totalement le chômage en quelques années.

Les différents financements

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Edmond Malinvaud a proposé de financer ces programmes, non par des modifications de taux d’intérêt comme c’est l’habitude, mais au contraire par des subventions à l’emploi. Cela est possible grâce à l’intervention d’intermédiaires financiers publics, comme Natixis ou ses équivalents étrangers, comme la Banque européenne d’investissements, etc. Notons que les entreprises ne réinvestiraient que lorsque la reprise de l’activité se manifesterait. Il est donc primordial de lancer des programmes d’investissements à finalité collective importants, pour résorber l’excès d’épargne actuel causé par la dépression. En plus, le marché financier est capable d’absorber ces grands programmes d’investissements, sans tension supplémentaire sur le taux d’intérêts à long terme.

Rappelons que la paradoxale coexistence des besoins insatisfaits et de ressources financières inemployées peut occasionner un dysfonctionnement flagrant du système économique, si l’on ne compte que sur la loi du marché. Raison pour laquelle il faudrait lancer un grand emprunt européen, au moment où les réserves d’épargne sont au zénith. Le succès en France de l’emprunt Balladur et des privatisations ont montré que l’argent existe bien et que les citoyens n’hésiteraient pas à souscrire à un tel emprunt européen pour relancer la croissance. Le but de tous ces investisseurs consisterait à provoquer un taux de croissance supplémentaire de 3 à 5 % par an. Cela permettrait une augmentation de l’emploi de 1 à 2 % l’an, laquelle se traduirait par une baisse possible du chômage au rythme de 1 % l’an qui, combinée avec la réduction du temps de travail, représenterait une large part dans la réduction progressive du taux de chômage au fur et à mesure de la reprise.

La France, compte tenu de son échelle, dispose d’un potentiel énorme de croissance de l’ordre de 3 à 5 % par an qu’il suffit de déclencher par de grands travaux à l’échelle européenne. Il faut que la croissance en période de reprise économique atteigne et dépasse largement les 4 %, pour compenser les périodes de récession. On sait que ce qui est perdu en récession est perdu à jamais. Il est impératif, en effet, de rattraper les croissances perdues. On ne peut se contenter des 2,8 % habituels.

Il n’est un secret pour personne. Une croissance régulière dans l’avenir ne sera tirée en France que par la consommation, les investissements et les exportations, surtout dans l’Union européenne elle-même. Ainsi, la production industrielle pourrait redémarrer, plus précisément dans les biens intermédiaires. De plus, les entreprises qui, grâce aux gouvernements libéraux antérieurs, disposent désormais de capacités de financement jamais vues, devraient reconstituer leurs stocks. Si on la dope réellement, la croissance peut devenir importante dans les années qui viennent. Et, bien sûr, si la croissance redémarre autant, les revendications salariales pourront repartir aussi, une plus grande augmentation du Smic pourra être prévue.

 

Documentation

– Les réformes audacieuses pour sortir la France de la crise

– Les 32 heures, outil indispensable contre le chômage

– La synergie franco-européenne face à la crise



[1] L’actuel Medef.

[2] In Maurice Rustant, Vers la semaine de 30 heures, éditions Économie et Humanisme ; Les éditions ouvrières, collection Relations sociales, 1975.

[3] Ibidem.

[4] En effet, faute d’avoir pu agir sur la durée légale du travail, le pouvoir avait encouragé les heures supplémentaires et le rachat des RTT.

[5] Parmi lesquels figurent Jacques Dreze, Paul de Grauwe, Louis Geuers, Alexander Italianer, Olivier Lefebvre, Maurice Marchand, Henri Scesnes, Alfred Steinherr, Paul Champsaur, Jean-Michel Charpin, Jean-Paul Fitoussi et Guy Laroque.

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