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F. Perrin: «L’État nigérian ne doit pas répondre à la violence par la violence»

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Au nord du Nigéria, un groupe d’islamistes du nom de Boko Haram (littéralement « l’éducation occidentale est un péché ») sème la terreur en imposant la charia à la population et en pourchassant les habitants qui ne se soumettent pas à sa loi. C’est par les nombreux attentats que Boko Haram a mené contre des chrétiens et des églises que le groupe se fait connaître depuis deux ans.

Face à ces islamistes qui sévissent, les agents des forces de sécurité nigérianes, chargés de défendre le territoire contre la menace islamiste, sont également coupables de crimes contre les droits humains. C’est ce que révèle un rapport de l’ONG Amnesty International, publié jeudi 1er novembre et qui, après plusieurs mois d’enquête sur le terrain, rend publiques de nombreuses exactions commises contre la population.

Face à ce « cycle d’attaques et de contre-attaques, » selon les termes de Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty international, l’ONG se mobilise pour que le gouvernement prenne les mesures qui s’imposent.

Francis Perrin, l’un des porte-paroles d’Amnesty International France, répond aux questions de JOL Press.

Le gouvernement nigérian ferme les yeux

Actuellement, au Nigeria, de nombreuses exactions sont commises contre les droits humains, et Amnesty International met en cause la responsabilité des forces de l’ordre nigérianes. Aujourd’hui, de quoi a réellement peur le peuple nigérian ? Des islamistes de Boko Haram ou des forces de sécurité, censées le protéger ?

Le dernier rapport d’Amnesty International porte à la fois sur les nombreuses et graves violations perpétrées par l’armée, la police,le Service de sécurité de l’Etat et les forces de sécurité en général et bien entendu sur les attaques de Boko Haram contre la population, les églises, les écoles et les médias.

On considère aujourd’hui que, depuis 2010, plus de 1 000 personnes auraient été tuées par ce groupe.

Mais, en face, les forces de l’ordre du Nigeria sont également responsables d’actes de torture, d’exécutions extrajudiciaires, d’incendies volontaires de maisons, de détentions sans procès et de disparitions forcées.

Il n’y a sans doute pas de réponse à la question qui est de savoir de qui la population a le plus peur. Grâce aux nombreux témoignages qu’Amnesty International a recueillis, nous apprenons que la population a peur, tout simplement. Elle a peur d’un mouvement armé qui menace et qui tue et de forces de sécurité qui commettent de nouvelles violations.

Le gouvernement ferme les yeux sur la situation et affirme que,face à Boko Haram, ses agents sont obligés « d’avoir la main lourde », cet argument est bien connu mais toujours aussi faux.

Justement, dès la publication de votre rapport, le gouvernement nigérian s’est défendu en affirmant que si certains actes « mineurs » avaient été commis, aucune exaction ne pouvait mettre en cause les forces de sécurité nigérianes. Que leur répondez-vous ?

Il n’y a rien de nouveau. Lorsqu’Amnesty International publie un rapport au sujet d’un Etat, le gouvernement concerné n’est jamais réjoui. C’est extrêmement banal pour nous et le Nigeria ne fait pas exception à la règle.

Amnesty International a une méthodologie bien rôdée et, avant de publier un rapport tel que celui-ci, nous l’envoyons en premier lieu au pays concerné afin de lui permettre, avant sa publication officielle, de nous faire part de ses commentaires. Nous recherchons toujours le dialogue avec le pays concerné.

Dans ce cas, nous avons eu de nombreux entretiens avec des représentants des forces de sécurité et des ministres concernés par le sujet.

Mais, lorsque nous leur avons présenté notre rapport, ces derniers ne nous ont pas fait part de commentaires écrits alors que nous leur avions offert cette possibilité.

Le gouvernement proteste aujourd’hui contre nos conclusions, il n’a pourtant rien dit lorsqu’il en a eu l’occasion.

Les chrétiens, cible privilégiée de Boko Haram

Boko Haram s’est fait connaître notamment en raison de violentes attaques perpétrées contre les chrétiens du Nord du Nigeria, à majorité musulmane. Ces chrétiens sont-ils la seule cible de ces islamistes ?

Boko Haram a de nombreuses cibles. Les chrétiens, qu’il s’agisse des fidèles ou de leurs églises, sont effectivement l’une de ses cibles principales.

Ces crimes perpétrés contre des croyants en particulier posent d’ailleurs une question d’ordre juridique. Certaines des atrocitéscommises par Boko Haram peuvent-elles être considérées comme des crimes contre l’humanité ?

Quelle que soit la qualification de ces crimes, face à ces graves violations des droits humains, qu’il s’agisse des chrétiens comme du reste de la population, qu’il s’agisse d’un crime contre l’humanité ou pas, nous appelons Boko Haram à cesser immédiatement de commettre de tels crimes et les autorités nigérianes à agir. Car il y a beaucoup à faire.

Et que suggérez-vous au gouvernement nigérian ? Quel est, selon Amnesty International, le principal échec des autorités ?

Il y a un vrai déficit quant à l’encadrement des forces de l’ordre. C’est un premier sujet. Ces forces de sécurité sont ensuite très peu équipées.

Leurs moyens sont dérisoires. Les témoignages que nous avons recueillis montrent par exemple que de nombreux membres des forces de sécurité ne sont pas munis de gilets pare-balles. Certaines équipes n’ont pas de véhicules, ou quand elles en ont,elles n’ont pas de carburant pour les faire fonctionner.

Le gouvernement ne fait pas les efforts nécessaires pour donner les moyens à ses forces de sécurité de combattre les crimes de Boko Haram.

Pourtant, le Nigéria n’est pas le pays le plus pauvre du monde, c’est un grand exportateur de pétrole et de gaz naturel et il y a de l’argent, quelque part, qui pourrait être investi pour permettre à l’Etat de mieux protéger sa population, ce qui est l’une de ses missions essentielles.

Cet argent doit également être investi dans la rémunération de son personnel. Les policiers comme les militaires sont extrêmement mal payés, ce qui contribue à alimenter des comportements marqués par la corruption.

Pour finir, le gouvernement doit rompre avec la culture d’impunité qui règne et doit envoyer un message fort à ses agents.

Lorsque des crimes sont commis, il doit y avoir une enquêteapprofondie, indépendante et impartiale et ces exactions doivent être pris très au sérieux et sanctionnées comme il se doit si la justice confirme la réalité de ces violences illégitimes.

Cette question est fondamentale car, actuellement, la population n’a plus confiance en ses forces de sécurité et c’est pourtant unpoint essentiel de la lutte contre les crimes de Boko Haram.

Aujourd’hui, un Nigérian témoin d’un crime, s’il se rend dans un commissariat pour témoigner, peut être arrêté et subir de graves violations de ses droits fondamentaux. La population se tait et Boko Haram continue de sévir.

La communauté internationale est inactive devant le cas du Nigeria

Alors que la communauté internationale se mobilise pour lutter contre les islamistes qui agissent au nord du Mali depuis plusieurs mois, elle semble beaucoup plus discrète concernant la situation au nord du Nigeria. Estimez-vous que le cas du Nigeria n’est pas assez médiatisé ?

Il n’y a pas vraiment de comparaison possible entre ces deux pays.Les deux situations sont certes extrêmement graves et de nombreuses violations des droits humains sont commises contre des civils, mais ce sont leurs seuls points communs.

En revanche, il est vrai que la situation au Nigeria est souventpassée sous silence et c’est l’une des raisons pour lesquellesnous publions ce rapport.

Ce qu’il montre doit permettre une médiatisation et une mobilisation suffisantes pour qu’il y a ait une vraie pression exercée sur le gouvernement afin qu’il prenne enfin les mesures qui s’imposent.

Désormais, nous attendons une véritable réponse des autorités et, derrière cette réponse, une action concrète.

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