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L’Allemagne, pas forcément un modèle pour la France

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À rebours des nombreuses idées reçues sur le sujet, Jacqueline Hénard, livre une note critique sur les vrais facteurs de la compétitivité de l’économie allemande.

Sa conclusion est claire. Il serait vain de tenter de reproduire à l’identique le fameux modèle de Mittelstand, l’organisation économique ou sociale française ne s’y prête pas. Ni de trouver outre-Rhin des idées radicales pour créer un choc de compétitivité.

C’est d’abord dans la méthode que l’Allemagne a su innover. En prenant le temps de parvenir à un consensus sur les objectifs des réformes à mener, pour que chaque partie prenante y trouve un bénéfice, et que les entrepreneurs français disposent de la stabilité fiscale ou réglementaire qui leur fait tant défaut.

Vous dites que le Mittelstand est « inimitable », voire même que l’Allemagne elle-même n’arrive pas à le dupliquer sur son territoire. Pourquoi ? Quels sont les facteurs clés de ce Mittelstand ?

Quand on parle du Mittelstand, il faut d’abord rappeler que c’est une catégorie très vague. Selon les estimations, 99,7% des entreprises allemandes en font partie. C’est une catégorie qui n’intéresse pas beaucoup les universitaires en Allemagne. À l’exception d’un petit institut spécialisé, on ne l’a pas théorisé. C’est un élément de la vie économique que l’on prend comme donné. Il y a une dizaine d’années, des économistes allemands très en vue pensaient que le Mittelstand appartenait aux structures démodées qui étaient appelées à disparaître.

Il est inimitable pour différentes raisons. D’abord parce qu’il est porté par des figures sociales qui n’existent pas en France. En premier lieu, l’entrepreneur. Ce n’est pas un patron à la française, figure paternelle. Certes, le Mittelstand est une structure souvent familiale, transmise de père en fils. Mais la personne à la tête de l’entreprise est avant tout un entrepreneur. Il prend des risques, il est au centre de la production. Il fait avancer ses produits, qui sont souvent des produits très spécialisés. À l’inverse des ETI françaises, les entreprises du Mittelstand qui comptent investissent beaucoup dans la R&D, proportionnellement souvent plus que les grands groupes allemands.

D’autre part, même en Allemagne, on a du mal à recréer cette structure. En ex-RDA notamment. Il faut un état d’esprit collectif, un tissu de semblables ainsi que des instruments comme les banques de proximité. Elles jouent un rôle déterminant dans la croissance et la stabilité des entreprises du Mittelstand. Il existe des liens traditionnels, presque organiques, entre l’entrepreneur et sa banque de proximité (Hausbank), qui connait le terrain, le bassin d’emploi, le contexte dans lequel l’entreprise évolue.

Un autre facteur est à relever : le lien fort entre les entreprises et leurs bassins d’emploi. Ces entrepreneurs sont loin de tout ce qui est étatique.

Enfin, ils regardent les marchés là où ils se trouvent. Ils sont très aventuriers. Même les petites entreprises vont aller en Roumanie, au Vietnam, partout. Elles vont s’ouvrir à l’international et veillent à ce que leurs salariés en fassent de même. Il n’est par exemple pas extravagant que, dans des entreprises de 400 à 500 salariés, les employés bénéficient de cours de chinois.

On dit souvent que l’amélioration de la compétitivité allemande serait liée à l’impact des lois Hartz. Qu’en est-il réellement ? Que faut-il en retenir au sujet de la compétitivité française ?

Les lois Hartz sont un paquet de mesures assez vastes dont l’impact aujourd’hui s’observe à deux niveaux.

D’abord la flexibilisation du travail. À partir du moment où l’entreprise n’est pas une sorte de service public qui emploie des salariés à vie, elle doit pouvoir s’adapter avec plus de flexibilité aux demandes : embaucher en période de croissance ou licencier quand leurs marchés sont moins dynamiques. Les instruments de flexibilisation ont permis aux entrepreneurs d’envisager le développement, l’investissement et la croissance de leurs entreprises avec plus de liberté et moins de contraintes.

D’autre part, des coupes drastiques de l’assurance chômage. Après douze mois de chômage, l’ex-salarié ne dispose plus que d’un revenu très bas, équivalent en gros du RSA. Cela peut virer à la catastrophe que l’on imagine. Ceci dit, il y a un consensus assez large qu’il vaut mieux accepter un travail moins bien payé plutôt que d’attendre le CDI de rêve…ou de se retrouver dans la catégorie des « Hartz IV » et dépendre des transferts sociaux qui sont en outre soumis à des conditions strictes. Les Allemands sont aujourd’hui, sur ce sujet, plus pragmatiques que les Français. Au fur et à mesure que la conjoncture s’est améliorée en Allemagne, on a vu de plus en plus de personnes sortir de la catégorie des chômeurs les moins rémunérés.

Vous écrivez que la « fascination pour l’efficacité du modèle allemand » « vire à l’obsession » et ne « favorise pas la justesse des représentations ». Au final, plutôt que de rechercher des mesures capables de créer un choc de compétitivité, n’est-ce pas avant tout de la méthode dont il faut s’inspirer ?

On peut décrire la méthode. C’est au long cours. Avant les lois Hartz, l’Allemagne a connu une décennie de débats sur la nécessité de réformes et les formes qu’elles devraient prendre ; des débats académiques, sociétaux, mais aussi menés par les fondations indépendantes d’entreprises qui ont publié de nombreuses notes qui ont enrichi le débat.

Pendant dix ans, on a posé les jalons des mesures prises entre 2002 et 2005. Ce débat fut porté aussi bien par la droite que la gauche. Lorsque les réformes Hartz furent mises en place, ses architectes pouvaient compter sur une ébauche de consensus quant à leur nécessité.

Dans l’ensemble, un entrepreneur allemand peut compter sur un cadre fiscal et légal stable, ce qui précisément fait défaut en France. Ce sont des facteurs indispensables pour l’entreprise qui doit savoir, au moment où elle prend ses décisions, quel sera son environnement demain. La grande faiblesse de la France est le côté sautillant de sa politique fiscale et réglementaire. En conséquence, pour l’entrepreneur, les risques inhérents à toute décision entrepreneuriale sont multipliés par le changement des paramètres sur lesquels il doit baser sa décision. C’est un risque permanent. Une politique qui reconnaîtrait le rôle de l’entrepreneur serait très positive pour l’économie française, son marché du travail et sa position sur les marchés internationaux.

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Repères :

Jacqueline Hénard  est analyste des relations intra-européennes, notamment des conséquences du poids économique de l’Allemagne, et des changements sociétaux, elle est collaboratrice à Frankfurter Allgemeine Zeitung, France Culture, Arte et Le Monde.

J. Hénard a une longue expérience dans le journalisme et le management. Elle fut notamment directrice du bureau parisien du groupe suisse Tamedia, correspondante pour la France de Die Zeit, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung pour l’Europe de l’Est, puis grand reporteur à Berlin. Elle est aujourd’hui encore chroniqueuse à France Culture.

Elle mène des activités de recherche et d’enseignement. Elle est notamment Senior Policy Associate auEuropean Council on Foreign Relations et chargée de cours en relations internationales/études européennes à Sciences Po Paris

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