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Le «J’assume» très stratégique de François Hollande

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Certains journalistes présents dans la salle des fêtes de l’Élysée commençaient sans doute à se demander s’ils étaient venus pour écouter le président de la République leur faire la leçon ou, comme le veut l’exercice de la conférence de presse, pour poser des questions… Le discours introductif de François Hollande, cours magistral de politique économique et de science du gouvernement, a sans doute été un peu long – 45 minutes – mais, ensuite, il faut admettre que le « professeur » (p minuscule pour l’instant…) n’a pas été avare de son temps et a continué pendant près de deux heures ensuite à répondre aux questions des grands – et plus petits – noms des presses française et étrangère.

Seule l’approche des grandes messes de 20 heures –, le souci inconscient de faire plus court que François Mitterrand en 1984 – d’un chouia… 2h27 contre 2h37 – ou, tout simplement, la faim… ont réussi à mettre un terme à l’exercice, jeu de ping-pong questions-réponses, parfaitement maitrisé par l’hôte du jour, sur la forme si ce n’est – on peut en débattre – sur le fond.

« Je suis un président qui… »

Si, sous la Vème République, la fonction présidentielle change l’homme, il est arrivé par le passé que cette métamorphose ne soit pas instantanée ou qu’elle ne dure pas. Longtemps, au cours des six premiers mois de sa présidence, François Hollande a semblé lui-même éprouver quelques difficultés à endosser l’étroit costume présidentiel…

L’ancien premier secrétaire du parti socialiste avait déjà changé pour remporter la présidentielle, mais il donnait encore l’impression d’être contraint de forcer le trait ou de jouer le rôle d’un autre pour rendre crédible sa nouvelle incarnation.

Le 9 septembre, sur le plateau du 20 heures de Claire Chazal, s’il maîtrisait son propos, l’exercice n’apparaissait pas pleinement naturel au point qu’il a donné l’impression de ne pas être en mesure de se détacher de la démonstration préparée. Au point, qu’une fois de plus, la présentatrice de TF1 était passée pour une bienveillante sparring-partner – juste ce qu’elle est, peut-être…   

Là, devant près de 400 journalistes, François Hollande semblait à l’aise. Peut-être avait-il le sentiment de les avoir quelque peu anesthésiés avec son préambule interminable.

François Hollande est apparu, si à l’aise dans l’exercice gaullien, qu’il s’est même permis comme une private joke, une réactualisation de sa célèbre tirade du débat d’avant second tour face à Nicolas Sarkozy. Le « Moi, Président… » est devenu : « Je suis un président qui essaie d’être digne de la situation de notre pays qui est grave. Je suis un président qui n’est pas chef de parti. Je suis un président qui entend être responsable. » Tout cela avant d’oser, tout sourire, malicieux, un « Mais, rassurez-vous, je vais m’arrêter là… »

Un président responsable

À plusieurs reprises, François Hollande s’est attaché à définir sa conception du rôle et de la mission que lui ont confiés les Français, la mission qui est désormais la sienne. Responsabilité, respect, simplicité, voici les maîtres mots, déclinés sous plusieurs formes.

Mais aussi « hauteur » : « La présidence de la République exige hauteur, élévation, elle exige de se mettre vraiment aux responsabilités du pays » – comme un aveu que cela lui aura pris un peu de temps, au moins quelques mois, pour s’en convaincre, avant de tenter d’en convaincre les Français.

Cette « responsabilité » exigerait aussi un détachement des contingences politiques : « Je ne prépare pas le sort d’une prochaine élection, je prépare le sort d’une prochaine génération », a-t-il assuré. Le Chef de l’État demande du temps avant d’être jugé. Mais il assume la fonction : « Je suis aujourd’hui un président responsable, pleinement responsable, responsable de tout mais qui ne décide pas de tout. »

« La seule question qui vaille, ce n’est pas l’état de l’opinion aujourd’hui, c’est l’état de la France dans cinq ans. »   

Sur le fond, la revendication d’une stratégie personnelle

Depuis hier soir, la majorité et les oppositions bataillent ferme, les uns pour défendre la politique détaillée par le président de la République, les autres pour la dénoncer.

Qu’on y souscrive ou pas, il est certain que François Hollande – fin économiste – a un plan : « Depuis six mois, j’ai fait mes choix, je m’y tiens sans avoir à prendre je ne sais quel tournant, je ne sais quel virage. Ces choix sont conformes à mes engagements, à mes principes et aux intérêts de la France. » Les intérêts de la France, l’avenir jugera… Ses engagements, certains – à droite et plus encore à gauche – en doutent. Ses principes, c’est indéniable.

La lutte contre le chômage et, par cette lutte, l’« inversion » de la courbe dans un an constituent son premier objectif.  « On me dit: “Vous êtes un optimiste.” Non, je me bats ! », répond François Hollande. Par-dessus tout, celui-ci refuse une critique, celle d’avoir tardé à agir et, pour cela, il a tenu à détailler à nouveau les différents étages de sa stratégie : la réorientation de l’Europe au sommet européen de juin, puis le désendettement de la France à travers le collectif budgétaire et les lois de finances pour 2013, enfin la recherche de la compétitivité économique avec la remise du rapport Gallois.

« Pas de pause, pas de renoncement », a-t-il lancé en allusion au tournant de la rigueur pris par François Mitterrand en 1983. « Je n’ai pas attendu la fin du quinquennat », a-t-il ajouté en référence aux réformes annoncées par Nicolas Sarkozy en fin de mandat, comme la TVA sociale.

Un « je » très politique

« Gouverner, c’est choisir », « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis », François Hollande aurait pu reprendre à son compte ces formules historiques. Face à la crise, sans l’évoquer toutefois tant la ficelle paraîtrait grosse, c’est Pierre Mendès-France qu’il convoque, éternel fantasme de la gauche de gouvernement – a fortiori post-Mitterrand.

À dire autant « je », à s’autonomiser dans sa fonction, à se revendiquer « social-démocrate » plutôt que « socialiste », François Hollande ne tenterait-il pas, déjà, un pari au-delà des partis ? Face à la crise, il sait qu’il pourrait être contraint d’avoir recours – comme il a déjà commencé à le faire – à des remèdes susceptibles de heurter la base qui l’a élu. Or, face à la crise, il entend avoir les coudées franches, assumer les échecs et revendiquer les réussites.

À la différence de Pierre Mendès-France, dont l’expérience gouvernementale s’était heurtée au mur des oppositions coalisées après seulement 7 mois et 17 jours, François Hollande sait que la Vème République et le quinquennat donnent du temps au temps : «La seule question qui vaille, ce n’est pas l’état de l’opinion aujourd’hui, c’est l’état de la France dans cinq ans. » Là encore, une posture très mendésiste.

C’est bien la preuve que celui auquel il était reproché de trop évoquer – parfois même singer – François Mitterrand a changé.

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