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Les 35 propositions de Lionel Jospin: évolution plutôt que révolution

 

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C’est le 14 juillet dernier que le Président de la République avait rendu publique son intention de confier à l’ancien Premier ministre socialiste la présidence d’une commission chargée d’élaborer des propositions en vue d’une rénovation de la vie publique. Près de quatre mois plus tard, Lionel Jospin – accompagné de Roselyne Bachelot – a remis à François Hollande un rapport contenant 35 propositions pour une réforme conséquente des pratiques politiques en France.

35 propositions pour une modification de la Constitution

Moderniser l’élection présidentielle, renforcer le pluralisme à l’Assemblée Nationale, améliorer la représentativité du Sénat, limiter le cumul des mandats des ministres et des parlementaires, proposer un statut juridictionnel du Chef de l’Etat et des ministres plus respectueux du principe d’égalité et prévenir efficacement les conflits d’intérêt pour les responsables publics : les membres de la commission ont privilégié une approche extensive de leur mission et traité de nombreuses questions souvent débattues, jamais tranchées.

François Hollande devrait rapidement consulter les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat, ainsi que les chefs des partis représentés au Parlement. Ensuite, des textes, dont un projet de loi constitutionnel, seront élaborés afin d’être examinés au début de l’année 2013. Pour modifier la Constitution, l’exécutif privilégierait la voie parlementaire plutôt que celle référendaire.

Ce que propose la Commission Jospin :

Une élection présidentielle modernisée

L’élection présidentielle est le premier point qu’a choisi d’aborder la commission Jospin, au motif qu’il s’agit, depuis la réforme constitutionnelle de 1962 instaurant l’élection du Président de la république au suffrage universel direct, l’événement majeur de la vie politique française.

Principal proposition : la modification du parrainage des candidats. A la place des 500 signatures d’élus locaux, les candidats devraient recueillir 150 000 signatures de citoyens ordinaires. Ce chiffre de 150 000 correspond à 0,33% du corps électoral et il est dans l’ordre de grandeur retenu par les autres pays européens ayant fait le choix d’un tel dispositif – la Pologne, la Lituanie ou le Portugal. Ces parrainages devraient provenir de 50 départements au minimum et aucune collectivité ne devrait fournir plus de 5% des signatures – 7500.

La commission suggère que chaque électeur reçoive un formulaire de parrainage au moment de la publication du décret de convocation des élections et qu’il puisse le retourner au candidat de son choix. Il n’y aurait pas de publicité de la liste des parrainages.

La limite actuelle fixe à 5% des voix le résultat à partir duquel un candidat peut profiter du remboursement public dans le cadre du plafond de dépense. Pour supprimer un effet de seuil quelque peu injuste, la commission préconise la création de 11 tranches espacées de 2 points – avec une dernière tranche pour les candidats dépassant les 20% -, le taux de remboursement, croissant, varierait ainsi de 6% à 46% du plafond des dépenses.

Si la publicité politique resterait interdite, les temps d’antenne et temps de parole pourraient être mieux encadrés. Jusqu’à présent, il ne doit y avoir égalité de traitement des candidats que durant la campagne électorale officielle. Désormais, l’égalité s’imposerait dès la période dite intermédiaire, c’est-à-dire après la publication de la liste des candidats par le juge constitutionnel.

Depuis le scrutin anticipée qui a suivi le décès du président Pompidou, en avril 1974, l’élection présidentielle se tient fin avril et début mai. La commission préconise ainsi que le mandat présidentiel s’achève en mars et que le délai avec les élections législatives qui suivent soit raccourci de sorte que celles-ci aient lieu au mois d’avril.

Ainsi, le nouveau pouvoir aurait le temps de lancer ses premières réformes avant la période estivale et sans nécessairement avoir recours à une session extraordinaire du Parlement.

Une Assemblée Nationale davantage pluraliste

Le rapport de la commission propose l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif. Ainsi, à nombre de députés constant – 577 députés -, 10% d’entre eux – 58 députés – seraient élus sur des listes nationales à la proportionnelle à un tour.

Il n’y aurait pas de lien entre les deux scrutins. Chaque électeur disposerait de deux voix. Les candidats à la proportionnelle ne pourraient être candidats au scrutin uninominal, il ne s’agirait donc pas d’une élection de la « deuxième chance ».

Cette réforme imposerait donc un nouveau redécoupage des circonscriptions électorales et l’objectif serait de parvenir à une répartition plus équitable sur le plan démographique.

Les députés des Français de l’étranger seraient, eux aussi, élus à la proportionnelle dans deux circonscriptions – Europe et reste du monde.

Un Sénat plus représentatif

La première réforme porterait sur le collège électoral. Afin de renforcer la représentation – et le poids politique – des zones urbaines, une pondération des voix serait instaurée. La voix d’un élu d’une grande ville, d’un département ou d’une région compterait pour plusieurs voix, tandis que celle des grands électeurs maires de petits villages ne compterait que pour une seule voix.

Par ailleurs, le scrutin proportionnel serait étendu aux départements n’élisant que trois sénateurs. Sur les 348 sénateurs, 255 seraient alors élus à la proportionnelle, soit 75%. Enfin, l’âge d’éligibilité serait abaissé à 18 ans, comme pour toutes les élections locales.

Des efforts en matière de parité

Les incitations financières en faveur de la parité seraient complétées sans que, pour autant, celles portent sur le nombre de femmes élues – dans la mesure où les électeurs doivent pouvoir conserver le droit de ne pas élire une femme si elle ne leur convient pas.

Une rupture avec la pratique du cumul des mandats

C’est une spécificité française que la commission Jospin entend combattre.

Les objectifs sont multiples : renouveler le personnel politique, renforcer les mandats locaux, rénover la fonction parlementaire.

Les fonctions ministérielles deviendraient totalement incompatibles avec toutes les fonctions électives. La commission estime que l’argument selon lequel un ministre élu local conserve un lien utile avec le « pays réel » est erroné. Les parlementaires, pour leur part, pourrait occuper un mandat local simple – c’est-à-dire sans responsabilités exécutives.

Un statut juridictionnel du Président de la république et des ministres plus respectueux du principe démocratique

La commission préconise de mettre fin à l’inviolabilité – tant pénale que civile – du Chef de l’Etat. Néanmoins, l’ouverture d’une enquête visant le Chef de l’Etat serait précédé d’une phase d’examen préalable. Le caractère politique de la procédure de destitution du Président – par le Congrès plutôt que la Haute Cour de justice -serait aussi mieux affirmé.

Les ministres perdraient leur privilège de juridiction et la cour de justice de la République serait supprimée. Les enquêtes les visant seraient, elles aussi, précédées d’une phase d’examen.

Un renforcement du code de déontologie des responsables publics

Parmi les mesures envisagées, un contrôle plus serré des départs vers le privé des anciens responsables politiques ou, encore, l’obligation d’effectuer une déclaration d’intérêts et d’activité en début de mandat. Des mesures qui ne sont pas sans rappeler celles existant au niveau de l’Union européenne, notamment.

Pas de révolution…

La mise en œuvre de ces réformes ne transformerait pas en profondeur la vie politique française, le rapport des responsables publiques à l’exercice de leurs responsabilités ou encore le rapport des Français à la politique.

Appel à une sorte de respiration démocratique, ces réformes devront toutefois passer outre les velléités conservatrices de certains grands élus, trop bien élus et depuis trop longtemps. Au-delà, il s’agit de mesures qui pourraient bénéficier d’un large soutien au sein de l’opinion publique.

Un regret, quelques oublis comme, par exemple, le statut de l’élu. Rien dans ce rapport qui pourrait encourager, faciliter véritablement l’engagement politique et, surtout, des « passages »

Puisqu’il devra modifier la Constitution – et sur un certain nombre de points tout de même -, le président de la République pourrait opter pour la voie du référendum. Il ne s’y aventurera sans doute pas et c’est dommage. Si les Français avaient pour habitude de répondre véritablement aux questions référendaires qui leur sont posées, s’ils saisissaient l’importance (et l’impact) des questions institutionnelles – et si le contexte économique et social n’était pas aussi dégradé -, cela aurait pu être l’occasion d’un utile débat national qui puisse changer fondamentalement les rapports au politique.

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