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Les six sens du mot «luxe»

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Avec la montée en puissance des marché émergents (Chine, Brésil…), le secteur du luxe affiche depuis le début du XXIème siècle un bilan de santé insolent qui semble résister aux crises mondiales. Réalisée pour la Fondation Altagamma, qui réunit les grands noms du luxe italien, une étude du cabinet Bain & Company révèle que la croissance du marché mondial du luxe pourrait atteindre jusqu’à 12 %.

L’Asie reste le principal moteur de croissance en 2012, notamment la ChineBain & Company prévoit une augmentation des dépenses en produits de luxe de 7% pendant les vacances, mais les consommateurs chinois, chez eux et à l’étranger, représenteront à eux seuls 25% des ventes mondiales, contre 24% pour les Européens, 20% pour les Américains et 14% pour les Japonais.

Dans Luxe Oblige, Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferere définissent précisément ce que l’on considère ou pas comme du luxe.

Extraits de Luxe Oblige (Editions Eyrolles), de Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer

Le luxe. Il s’agit d’un concept évoquant spontanément ce qui est hors d’atteinte — ou presque — et dont chacun rêve, qu’il s’agisse de produits, de service, ou d’un style de vie. L’enquête d’Ipsos sur le luxe montre que, en entendant le mot « luxe », les consommateurs du monde entier pensent d’abord à des yachts, des avions privés, une île privée dans les Caraïbes, etc. Bref, un univers de privilèges, qui caractérise l’ordinaire des gens extraordinaires.

Mon luxe

À l’opposé du précédent, on est là dans le domaine de l’intimité. Nos études montrent qu’il s’agit beaucoup plus souvent d’un moment ou d’une expérience que d’un objet. On n’est plus dans le domaine de l’inaccessible, mais dans celui de la rareté. Jouir de moments de solitude, ou pouvoir consacrer une journée ininterrompue à ses enfants est décrit comme « mon luxe » par maints managers internationaux.

Un luxe

Ce concept est tout aussi subjectif que le précédent, mais beaucoup moins personnel, derrière lequel se cachent des notions de « non nécessaire mais désirable », « un prix bien au-delà de la simple utilité », « hédonisme », « statut social enviable ». Plus précisément, deux axes se dégagent systématiquement des analyses factorielles faites sur la perception du consommateur/client : l’élitisme et l’hédonisme. On retrouve là le concept dual du luxe : « le luxe pour le regard des autres » et « le luxe pour moi ». Ce concept subjectif est également relatif socialement : en période de récession le seuil de prix minimum qui définit un luxe peut baisser — un champagne à 45 euros peut être un luxe pour beaucoup de consommateurs, un achat qui n’est plus raisonnable.

Le secteur du luxe

C’est le terme traditionnellement utilisé dans les études industrielles. Il se réfère à des marques ou des sociétés considérées entre pairs comme fabriquant et vendant des « produits de luxe », sans égard à ce que les consommateurs en pensent. On retrouve là le concept des guildes du Moyen Âge : des syndicats professionnels sont créés (Comité Colbert en France, Fondazione Altagamma en Italie) — où d’ailleurs le terme « luxe » n’est pas utilisé — pour mettre en œuvre des politiques communes… parfois à la limite du protectionnisme.

Le marché du luxe

Il correspond en fait à l’estimation que fait telle ou telle société de conseil — la plus connue étant Bain & Company — de la taille du marché des produits « chers », et dont le périmètre varie sans cesse. Les voitures, les yachts, les hôtels ou les voyages sont pris en compte ou pas, selon les études, ce qui rend difficile la comparaison entre ces dernières. Cette conception du luxe est l’une des sources principales de la confusion managériale, car les concepts de luxe, mode et premium y sont mélangés.

La stratégie du luxe

Cette dernière acception du terme « luxe » est celle que nous utilisons dans tout cet ouvrage : elle fait une claire différence, au sein des marques de prestige, entre le luxe, la mode et le premium (produits d’une marque nationale positionnée haut de gamme).

Il est clair que, si les trois premières acceptions du mot luxe ne prêtent pas à confusion pour un manager, les trois dernières, et tout particulièrement les deux dernières (marché du luxe versus stratégie du luxe) sont sources d’incompréhension. On peut simplement en retenir pour l’instant les deux points suivants :

— Le secteur du luxe ne recouvre pas l’ensemble des opérateurs du marché du luxe et les entreprises de ce secteur n’appliquent pas toutes la stratégie du luxe, souvent faute de moyens financiers.

La stratégie du luxe n’est appliquée que par une partie des acteurs du marché du luxe, mais peut être appliquée bien en dehors du marché du luxe tel que défini ci-dessus.

Il est indispensable à tout manager de faire clairement son choix entre ces sens lorsqu’il parle de luxe : tous les choix sont en fait légitimes, mais ils conduisent à des stratégies d’entreprise radicalement différentes. 

>> Lire l’interview de Jean-Noël Kapferer : « Le luxe français a un grand avenir »

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