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«Liberté de conscience» et «mariage pour tous»: l’avis de Didier Maus

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Mardi 20 novembre. Le président de la République s’exprime devant les maires de France à l’occasion de leur Congrès à Paris. Évoquant le projet de loi sur le « Mariage pour tous » ou mariage homosexuel, François Hollande évoque une « liberté de conscience » qui, immédiatement, crée la polémique, renforçant les adversaires et suscitant la colère des partisans.

Mercredi 21 novembre, l’Élysée explique que le président de la République retire cette expression.
Ce qui est dit est dit… et JOL Press a tenu à interroger le professeur Didier Maus, un des plus gands spécialistes français de droit public, sur la portée juridique et politique de cette expression. Entretien.
JOL Press : La « liberté de conscience » en droit français, c’est un concept-clé, n’est-ce pas ?

Professeur Didier Maus : C’est un concept fondamental qui découle directement de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 – Article 18 : «  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». C’est une des libertés fondamentales qui autorise à chacun de penser ce qu’il veut. En droit, on ne peut contraindre personne dans sa liberté de pensée ou le forcer à mettre en œuvre des opinions contraires à ses sentiments les plus intimes.

C’est au centre des droits de l’Homme, tant en France qu’en Europe et aux États-Unis, bien évidemment.

JOL Press : Quelle est la différence avec une « clause de conscience » ?

Professeur Didier Maus : La « liberté de conscience » est le principe fondamental, et la « clause de conscience »  en découle.

JOL Press : Existe-t-il une « clause de conscience » pour les élus dans l’exercice de leur mandat ?

Professeur Didier Maus : Non, pas à proprement parler. Mais, ils restent des citoyens ordinaires.

JOL Press : Quels sont, en droit français, les exemples de « clause de conscience » ?

Professeur Didier Maus : On peut donner deux exemples principaux. Dans les deux cas, cela concerne des législations qui ouvrent des droits ou prévoient des obligations.

Le premier a concerné des générations de jeunes hommes mais n’existe plus. Il s’agit de l’objection de conscience, doté d’un statut en décembre 1963. Il stipule qu’en cas de fortes objections vis-à-vis de l’exercice militaire au moment de l’incorporation, et à condition de pouvoir justifier que ces objections sont nettement antérieures, il est possible de remplacer le service militaire par un service civil.

Le second est plus proche, d’une certaine manière, de la problématique du « Mariage pour tous », et concerne l’IVG ou interruption volontaire de grossesse. Un médecin n’est jamais obligé de pratiquer une IVG, s’il estime que c’est contraire à son éthique et à ses convictions les plus intimes. Mais, dans ce cas, la patiente doit être référée à un autre médecin ou un autre établissement.   

JOL Press : Tel que présenté en Conseil des ministres à la fin du mois d’octobre, le projet de loi établissant le mariage pour tous ne prévoit pas de clause de conscience…

Professeur Didier Maus : Les auteurs de la loi n’ont sans doute pas jugé nécessaire de le prévoir.

En effet, qui peut célébrer un mariage civil en France ? Les officiers d’État-civil de plein droit, c’est-à-dire, principalement, les maires et leurs adjoints. Si, dans une commune, ni le maire ni aucun de ses adjoints ne sont disponibles, alors les conseillers municipaux dans l’ordre du tableau des élus peuvent y procéder par délégation.

Dans la plupart des communes, il y a chaque semaine un élu de permanence, chargé, entre autres responsabilités, de célébrer les mariages. Si l’élu est indisponible, il est remplacé… Si un élu ne souhaitait pas, en invoquant ou pas sa clause de conscience, il pourrait être remplacé.

Il serait aussi possible de changer de date…

JOL Press : Mais s’il y avait, comme le prétendent certains maires, des communes où aucun élu ne souhaitait célébrer le mariage entre deux personnes du même sexe ?

Professeur Didier Maus : Si – hypothèse que j’imagine rare car l’unanimité est rare même dans les petits conseils municipaux – aucun élu ne souhaitait procéder au mariage, les mariés pourraient se marier dans une autre commune, s’il ne réside pas tous les deux ou toutes les deux au même endroit.

Et il y a toujours des façons de délocaliser un mariage.

JOL Press : Des maires pourraient-ils refuser de déléguer leurs compétences dans ce cas ?

Professeur Didier Maus : Officier d’État-civil, c’est une fonction confiée par la loi. À l’étranger, elle est confiée aux consuls ou aux notaires… Ces fonctions n’impliquent pas de responsabilité personnelle.

JOL Press : Ce serait important, selon vous, que cette « liberté de conscience » figure dans la loi ?

Professeur Didier Maus : D’un point de vue juridique, cela ne change pas fondamentalement les choses… En revanche, l’utilisation du terme par le président de la République devant le Congrès des Maires de France peut être un signe politique. Compte tenu de l’esprit de décrispation dans lequel se trouve François Hollande, cela pourrait rassurer. Ce ne serait pas suffisant pour que la droite n’en vienne à voter le texte mais certains, au centre, pourrait s’appuyer sur cet argument pour passer dans le camp des « pour ».

JOL Press : En même temps, François Hollande et Jean-Marc Ayrault disposent théoriquement d’une majorité confortable sur ce texte, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat ?

Professeur Didier Maus : La véritable question politique en la matière – et dont dépend peut-être la réponse à votre question -, c’est de savoir si les différents groupes parlementaires laisseront la liberté de vote ou imposeront une discipline à leurs membres.

À droite, cela ne changerait pas grand-chose. Le député UMP de Seine-et-Marne, Franck Riester, a indiqué qu’il voterait le texte quoiqu’il advienne. À gauche, c’est beaucoup plus intéressant… À la place du gouvernement, disposant une majorité théorique dans les deux chambres, je ne prendrais pas le risque d’accorder la liberté de vote sur ce texte… Car, ce serait effectivement un risque…

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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