Les dirigeants chinois se préparent à se réunir à l’occasion du XVIIIème Congrès du Parti communiste, qui débutera le 8 novembre. Ce Congrès, qui se réunit tous les cinq ans au Grand Palais du Peuple de Pékin depuis 1956, officialisera la transition gouvernementale. Dans « La Chine, une bombe à retardement », Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier nous éclairent sur ce pays plein de contradictions. (Extraits 1/2).
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La réussite de la Chine est aussi fulgurante qu’inédite. Au rythme actuel, elle pourrait même devenir la première puissance économique mondiale dès 2022. Pourtant, les stigmates d’une croissance à marche forcée s’accumulent : des villes fantômes, des faillites en cascade, des révoltes de plus en plus fréquentes, des dérives issues de la politique de l’enfant unique, des scandales alimentaires à répétition, des aéroports paralysés par la pollution…
À travers une analyse percutante, Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier montrent que ces déséquilibres économiques, sociaux et environnementaux pourraient déboucher sur une crise majeure dans les années à venir. C’est toute l’économie mondiale qui serait alors entraînée dans le sillage du géant asiatique. Pour saisir la menace, les auteurs décrivent la spécificité du modèle de développement chinois, avec ses contradictions et ses zones d’ombre : un « socialisme de marché » qui mêle parti unique, capitalisme débridé, corruption, contrôle des prix, plan quinquennal, concurrence féroce… Reste à savoir si la crise de ce système sera simplement transitoire, ou mènera à son effondrement.
Extraits de La Chine, une bombe à retardement, de Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier
La lutte contre la corruption passera par une modification profonde du processus de recrutement des élites chinoises, qui encourage à l’évidence le favoritisme, la malversation et le népotisme. La succession à la tête de l’État prévue en 2012 s’annonce comme la plus importante depuis 1978 en raison du départ de la quasi-totalité des membres du comité permanent du bureau politique. Le Congrès national du Parti communiste chinois se réunira en novembre. Près de 2 000 délégués éliront le Comité central (environ 200 personnes) qui lui-même désignera le Politburo (25 personnes) et son comité permanent (9 personnes).
Le nouveau président est déjà connu en la personne de Xi Jingping, 58 ans, formé dans la fameuse université de Tsinghua. Son profil de réformateur et de progressiste lui donne une image plutôt positive dans les milieux intellectuels chinois. Il bénéficie en tant que « prince rouge »[1] d’un solide réseau de soutien sur lequel il pourra s’appuyer et dont il aura grandement besoin, même s’il ne semble pas manquer de hardiesse face à une situation compliquée. Le tempérament de Xi Jingping est à l’opposé de celle du président Hu Jintao, caricature de l’apparatchik policé. Sa haute silhouette, ses épaules larges, sa nonchalance cultivée, son humeur joviale contraste avec l’allure discrète, bilieuse et rigide du président Hu. Il connaît bien l’étranger et les États-Unis, où il a voyagé à plusieurs reprises. D’ailleurs, sa fille est étudiante à Harvard. Son frère vit à Hong Kong et sa sœur au Canada.
Pour autant, rien ne nous indique que Xi Jingping modifiera en profondeur la politique extérieure de la Chine, notamment au moment où les relations avec les États-Unis traversent une passe difficile. Dans cette période de transition, de nombreuses tensions ont vu le jour à la tête de la direction du PCC. Le rapport des sociologues de l’université de Tsinghua a fait l’effet d’un véritable pavé dans la mare en proposant l’institutionnalisation de canaux d’expression. La sortie du livre de l’intellectuel Zhang Musheng, très proche du futur président, sur le thème de la « nouvelle démocratie », a lui aussi fait beaucoup de bruit. Sans assouplissement, le risque d’une implosion du système est élevé. Depuis 1949, ces phases de transmission du pouvoir, qui s’accompagnent de fortes luttes à la tête du parti, ont chaque fois permis que le mouvement pour la démocratie trouve le moyen de s’exprimer. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il soit structuré et plus fort aujourd’hui…
Ces changements ne doivent pas occulter une vérité qui reste immuable : les dirigeants chinois actuels sont les enfants de la révolution culturelle. Depuis leur naissance, ils pensent que le monde leur appartient. Malgré une éducation basée sur la haine du capitalisme, le gouvernement chinois s’est converti à l’économie « socialiste de marché » avec beaucoup de pragmatisme, mais le développement économique, priorité de n’importe quel gouvernement au monde, reste subordonné en Chine à la nécessité de maintenir le Parti communiste au pouvoir, à n’importe quel prix, quoiqu’il en coûte. Même si le PCC a fortement libéralisé l’économie, il l’a fait avec l’impérieuse nécessité de garder le contrôle absolu sur l’État et les organisations qui en dépendent.
Le Département de l’organisation centrale du PCC, sorte de DRH du Parti, est le pilier de la nomenklatura chinoise. Il contrôle toutes les nominations : chef de gouvernement local, maires des grandes villes, responsables de toutes les agences, dirigeants des entreprises d’État, juges, rédacteurs en chef de tous les journaux, patrons des chaînes de télévision, présidents des universités, des instituts de recherche, etc.
Ce processus se passe à l’ombre de la cité interdite à Pékin et les nominations ne sont accompagnées d’aucune justification. Hors élections ouvertes, les luttes de pouvoir constituent la toile de fonds de la vie politique. Et beaucoup mettent au second plan l’analyse de ce processus de sélection des responsables en se focalisant pour l’essentiel sur l’économie et sur l’intégration du pays dans la mondialisation. En fait, la Chine est restée beaucoup plus communiste que son ouverture économique ne le laisse penser et le Parti continue d’éradiquer ses opposants politiques comme au bon vieux temps, même si en apparence le contrôle du PCC a fortement diminué.
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