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N.Brion et J.Brousse:«L’e-réputation, une révolution en communication»

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JOL Press : Vous êtes tous deux devenus spécialistes de l’e-réputation. Pouvez-vous nous dire ce que recouvre ce concept dont tout le monde parle, mais dont peu comprennent l’exacte définition ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : Concrètement, l’e-réputation est un concept qui touche aussi bien la personne individuelle que l’entreprise. Il s’agit simplement – apparemment – de la réputation telle qu’elle s’installe et se diffuse dans le champ numérique, comme le «-e » l’indique. L’e-réputation touche aussi bien les entreprises, leurs produits, les marques, que les personnes. La gestion de cette e-réputation recouvre plusieurs domaines d’intervention et d’expertise,  dont les contours, liés au caractère mouvant de l’économie du web, restent fortement évolutifs. 

JOL Press : Quels sont ces différents domaines d’intervention de l’e-réputation ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : L’e-réputation recouvre selon nous trois aspects.
Le premier consiste en une activité de suivi et de veille très sophistiquée : identifier où, quand et comment on parle de vous ou de telle entreprise.
Le deuxième relève de l’e-influence, c’est-à-dire savoir comment et quand faire circuler certaines informations à travers tous les nouveaux réseaux existants aujourd’hui.
Le troisième s’intéresse à l’activité de gestion et de protection des données diffusées sur Internet.
Avec l’augmentation du nombre d’informations personnelles disponibles sur le web, nombre de personnes ou de marques sont ou seront confrontées à des problèmes liés à leur réputation en ligne. Entreprendre  un « nettoyage » n’est pas toujours un exercice facile. Cette dimension de protection va devenir cruciale. A titre d’exemple, l’assureur Swiss Life propose depuis juin 2011, en partenariat avec l’agence de réputation en ligne Reputation Squad, une « assurance e-réputation ». Ce service – payant – offre une aide pour l’effacement ou l’atténuation de contenus diffamants. La loi évoluera sans doute dans ce domaine.

JOL Press : A-t-on une idée aujourd’hui du volume d’activité produit dans le cadre de l’e-réputation en France ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : près de 150 acteurs interviennent dans le secteur. En 2011, cette activité a généré près de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. En 2012 l’activité s’est amplifiée; cet engouement traduit l’émergence d’un marché en forte croissance, encore largement sous-estimé, et pose de nombreuses questions sur les systèmes d’échange et de communication de l’entreprise, complètement modifiés par les perspectives numériques.

JOL Press : En quoi la e-reputation modifie-t-elle les règles de la communication traditionnelle ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : Selon nous, il existe un glissement sémantique entre communication et e-réputation. La communication visait « l’image » d’une entreprise, par une approche verticale, unilatérale et maîtrisée. Dans le cadre de l’e-réputation, «réputation »  évoque une autre réalité de la perception, plus complexe, multipolaire, et ouverte. Elle comporte même une composante « morale », tant la réputation se réfère à une cohérence générale.   

Dans le cadre de la réputation, il ne s’agit donc plus de construire une image, mais de maîtriser une identité. Or une identité ne se construit pas simplement à partir du numérique. Elle se forge dans le temps sur des racines solidement ancrées. On utilise ensuite les canaux numériques pour la faire vivre, la promouvoir et la diffuser. 

JOL Press : Est-cela, faire du « buzz » ?

Nathalie Brion et Jean Brousse :Dans l’e-réputation il faut distinguer le buzz de la création d’un écosystème pérenne.

Ce qu’on appelle le « buzz » est une diffusion immédiate et très étendue d’une information, lui donnant une visibilité instantanée en recourant principalement aux techniques de référencement. L’e-réputation permet au contraire à l’entreprise et/ou à l’institution de s’inscrire pleinement dans son contexte sociétal. Dans le récent mouvement des Pigeons, ce fut certes une belle opération de buzz, mais ces jeunes entrepreneurs n’ont pas encore construit de message durable. 

JOL Press : La préoccupation de l’e-réputation va–t-elle transformer l’action même des entreprises ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : Nous le pensons. En universalisant l’échange et en le rendant poreux, Internet a changé l’inscription des « corps » institutionnels (entreprises, états, syndicats etc..) au cœur de la société. Plus que de gérer sa communication, il est devenu fondamental de construire et conserver une réputation intimement liée à l’identité de l’entreprise, qui doit en permanence affirmer et affermir sa différence dans un marché de plus en plus concurrentiel. Ce positionnement identitaire participe de la confiance entre l’entreprise et ses parties prenantes.
Une bonne réputation confère à l’entreprise une puissance de recommandation qui lui donne un avantage compétitif sur ses trois marchés clés: les biens&services, l’emploi et le capital.

JOL Press : Voulez-vous dire que l’émergence de l’e-réputation serait le révélateur d’un changement sociétal beaucoup plus profond que le simple changement d’outils d’expression ?

Nathalie Brion et Jean Brousse :Absolument. Nous assistons à une mutation profonde des modes de consommation et de fonctionnement de l’information. Auparavant l’image seule suffisait. Maintenant, avec la viralité née de la diffusion numérique et les transformations des repères sociétaux, les entreprises sont plus que jamais des entités citoyennes à part entières, responsables et impliquées en temps réel, dans un espace démultiplié.

Lorsqu’une entreprise comme L’Oréal, par exemple, s’interdit toute utilisation de composants d’origine animale dans ses produits, elle affirme une position qui la contraint, certes, mais en cohérence avec un engagement de valeurs qui construit sa réputation. Une entreprise ne peut donc plus se concevoir comme une simple source de production. Elle est aussi un véhicule de valeurs et d’engagements. C’est pourquoi, avant d’envisager une stratégie d’e-réputation,  il faut connaître les valeurs que l’entreprise veut défendre et porter, tant auprès de ses consommateurs que de ses salariés qui deviennent « partenaires de valeurs ».

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JOL Press : En quoi la question de l’e-réputation peut-elle intervenir aussi dans le management d’une entreprise ?

Nathalie Brion et Jean Brousse :La réputation est un enjeu du management. C’est un actif immatériel au bilan de l’entreprise, mais sa valeur est déterminée par des tiers. Comment la mesurer ?

Le Reputation Institute (New York) propose une méthode pour évaluer la réputation. La réputation s’exprime au travers d’opinions émotionnelles, la confiance, l’estime, l’admiration ou l’affinité, construites sur sept piliers : les produits et services, la gouvernance, la citoyenneté, l’emploi, l’innovation, le leadership et la performance. Le management de la réputation nécessite donc une approche la plus transversale possible pour atteindre une cohérence entre ces différents niveaux. Ainsi, la question de la gouvernance et de l’alignement avec les collaborateurs est une condition de succès, puisque les salariés sont les premiers ambassadeurs de l’entreprise.

JOL Press : La préoccupation d’e-réputation pour une personne individuelle est-elle très différente de celle qui concerne une entreprise ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : Non. Un chasseur de tête va immédiatement regarder sur Google quelle « réputation » a celui qu’il envisage de sélectionner. Derrière cette réputation se profile la question de la compatibilité de certains travers ou comportements avec l’exercice de certaines responsabilités.

JOL Press : Voulez-vous dire que, pour les dirigeants notamment, la frontière vie publique-vie privée va devenir de plus en plus poreuse ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : c’est déjà le cas. Prenons l’exemple de la diffusion sur la télévision belge d’un documentaire sur Arnaud Lagardère et Jade Foret. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réputation d’Arnaud Lagardère en est désormais transformée.

JOL Press : Mais alors, particuliers et entreprises vont-ils devoir se soumettre à un devoir de contrôle permanent ?

Nathalie Brion et Jean Brousse : Il est certain que l’évolution d’Internet et le développement des réseaux sociaux transforment les règles de la  communication.  Et que dans une économie globalisée, interconnectée où la conversation est permanente, l’impact de la réputation modifie en profondeur la nature des comportements. Une image ou une information peuvent faire le tour du monde en quelques heures. Il faut vivre avec. Mais il faut aussi comprendre que ces réseaux peuvent devenir de formidables leviers de déploiement, d’échange direct avec les collaborateurs, les clients,  la «communauté» à part entière. Pour s’engager dans ces nouvelles pratiques, il est indispensable que les entreprises élaborent de véritables stratégies de « réputation », et plus seulement d’image. Et pour cela, pour y parvenir avec succès, qu’elles s’entourent de conseils avisés. Naviguer sur ces eaux nécessite une expertise spécifique.

Parcours

>Nathalie Brion est titulaire d’un DEA de sciences politiques et d’une licence de philosophie. Elle a été associée et membre du directoire du cabinet d’intelligence économique ESL & Network de 1992 à 2000 et a occupé, depuis 2000, la fonction de Directeur général de l’Institut d’analyses géo-économiques, filiale du cabinet ESL & Network, chargée de développer de nouvelles méthodologies d’étude et d’analyse de l’opinion. Elle a fondé et préside depuis juillet 2004 Tendances Institut. Nathalie Brion a enseigné au DESS d’études stratégiques et marketing de l’IEP Paris, à l’ESCP et à l’École Polytechnique. Elle a été chroniqueuse sur la chaîne Public Sénat et sur la radio BFM. Elle anime un blog sur JOL Press depuis 2012.

>Jean Brousse est conseiller d’entreprises et administrateur de sociétés. Il est ingénieur de l’Ecole Supérieure d’Electricité. Docteur en économie appliquée, il est également titulaire d’un diplôme de 3ème cycle en sociologie. De 1980 à 1994, à la direction de GSI (Stratégie et marketing, communication et qualité), il a été également président de CFRO, filiale spécialisée dans le traitement des sondages d’opinion. Jean Brousse est depuis 1987 directeur de collection et administrateur des Editions du Cherche Midi. Il est administrateur du Groupe Centre-France/ La Montagne.

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