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Pourquoi le luxe français fascine-t-il les Chinois?

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Avec la montée en puissance des marché émergents (Chine, Brésil…), le secteur du luxe affiche depuis le début du XXIème siècle un bilan de santé insolent qui semble résister aux crises mondiales. Réalisée pour la Fondation Altagamma, qui réunit les grands noms du luxe italien, une étude du cabinet Bain & Company révèle que la croissance du marché mondial du luxe pourrait atteindre jusqu’à 12 %.

L’Asie reste le principal moteur de croissance en 2012, notamment la ChineBain & Company prévoit une augmentation des dépenses en produits de luxe de 7% pendant les vacances, mais les consommateurs chinois, chez eux et à l’étranger, représenteront à eux seuls 25% des ventes mondiales, contre 24% pour les Européens, 20% pour les Américains et 14% pour les Japonais.

Dans Luxe Oblige, Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferere expliquent ce phénomène.

Extraits de Luxe Oblige (Editions Eyrolles), de Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer

Les données actuelles du marché du luxe en Chine sont connues  : il s’agit d’acheteurs plus jeunes que dans les pays occidentaux et plutôt masculins. Mais cette spécificité de genre durera-t-elle ? En Chine, nous avons affaire à un marché que l’on peut qualifier de « mass rich ». Les Chinois découvrent la société de consommation, mais ils brûlent les étapes et veulent tous accéder à ce qu’elle propose de mieux : des produits très qualitatifs, porteurs d’émotion, d’excellence, de cadeaux idéaux aux logos des marques prestigieuses qui jouent la fonction de marqueurs sociaux. Surtout, aux antipodes de l’individualisme occidental, en Chine le luxe crée du Nous, comme ce fut le cas au Japon à la fin du XXe siècle.

En achetant un sac Louis Vuitton — quitte à y consacrer plus d’un mois de salaire —, la jeune Chinoise ne cherche pas à se différencier, mais au contraire à s’intégrer. Via ce sac de luxe elle accède de façon symbolique à une vie rêvée, et aussi participe à cet entrain collectif qui caractérise la Chine aujourd’hui. D’où l’importance pour les marques de luxe en Chine d’être très connues et présentes via leurs magasins. Cala dit, pour le consommateur chinois, le luxe est aussi une façon de s’intégrer dans un Nous planétaire.

La femme chinoise qui porte Chanel fait en cela partie de la world class. C’est pourquoi les Chinois aiment nos marques. Probablement pas parce qu’ils vénèrent nos pays européens, mais parce que, venues d’un ailleurs lointain, elles en acquièrent le mystère et le prestige et propulsent le porteur dans une classe internationale. On est — on le voit — très loin de la logique occidentale du luxe qui fait de l’exclusivité une condition nécessaire du luxe.

À quoi tient l’engouement des Asiatiques pour le luxe occidental ?

Tout d’abord, la croissance économique exceptionnelle et la taille du marché potentiel (liée à l’émergence d’une classe moyenne de taille), couples à l’accès à la démocratie, créent un fort appel d‘air pour le luxe. Ensuite, ces pays ont une longue histoire et connu des cultures prestigieuses. Le luxe fait donc partie de leur patrimoine génétique — ce qui les différencie fondamentalement des États-Unis, pays récent et très hétérogène culturellement.

Ils sont toutefois passés par une longue phase de déclin et de domination par l’Occident, puis par des révolutions culturelles où ils ont renié un passé dont ils se sentaient prisonniers et qu’ils devaient rejeter pour se redresser. Le luxe de leur culture est donc pour l’instant enfoui. Et il peut encore moins servir d’outil de stratification sociale que ses valeurs sont celles d’une société rejetée.

Il faut donc trouver ailleurs les symboles de la réussite — et seules les marques occidentales peuvent les fournir aujourd’hui. Par perte de culture et déni de leur Histoire, beaucoup de pays asiatiques n’ont plus aujourd’hui d’autre étalon pour juger de la valeur des choses que leur prix et leur réputation. L’argent devient l’étalon de toute chose. De plus il témoigne non de votre héritage, mais de ce que vous avez réussi vous-même. Il est la mesure de votre mérite. Nous ajouterons que le luxe en est la médaille. À l’ancienne lutte des classes marxiste se substitue la lutte pour la classe, individuelle. Faute de culture, les marques de luxe internationales sont devenues le langage de la distinction immédiate. À quand les marques de luxe locales ?

On assiste donc, et on va assister d’ici à 2025, à un « appel d’air » considérable pour le luxe occidental, et plus spécifiquement européen, le plus sophistiqué. De vraies marques locales de luxe émergeront dans une seconde phase — Liuli Gongfang en est un bel exemple à Taïwan — ou renaître de leurs cendres — comme la porcelaine de Jingdezhen, dans le Jiangxi. Mais cela ne menacera pas le développement du marché du luxe.

Les marques « locales » vont au contraire contribuer à enrichir l’offre et légitimer le luxe. Et cela ne menacera pas non plus les marques occidentales fidèles à la stratégie du luxe — les meilleures, dans les valeurs desquelles le client se reconnaît. La stratégie de Hermès avec la marque Shang Xia est un exemple de cette confiance dans l’avenir. En revanche, les marques qui ne suivent pas la stratégie du luxe vont souffrir — comme ce fut le cas au Japon dans les années 1990 après l’argent facile des années 1980, qui avait enrichi beaucoup de marques occidentales par le biais de licences peu contrôlées. 

>> Lire l’interview de Jean-Noël Kapferer : « Le luxe français a un grand avenir »

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