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Que désire Harlem Désir?

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Lors du congrès de Toulouse, du 26 au 28 octobre, Harlem Désir a officiellement succédé à la mairesse de Lille, Martine Aubry, au poste de Premier secrétaire du parti socialiste français après avoir obtenu plus 71,9 % des suffrages contre 28,1 % à Emmanuel Maurel, le représentant de l’aile gauche, mais avec une participation très moyenne. Le nouveau patron des socialistes a promis une « totale solidarité avec le gouvernement »[1].

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Mais la désignation de l’ancien pote comme premier des socialistes suffit-il à faire du parti de Jaurès le fer de lance de la vie politique française ? Les socialistes étant aux commandes dans la plus grande majorité des institutions de la République française, Harlem Désir ne doit pas se contenter d’être le patron d’une structure godillot. Il est plutôt condamné à rénover le parti socialiste. Tel est le véritable désir d’Harlem. Il est certain que, pour susciter la crédibilité auprès de l’électorat, il faille commencer par la rénovation du parti socialiste. De plus, la politique s’appuie sur le dialogue entre les gouvernants et les gouvernés, les luttes qui en découlent n’ont de sens que s’il existe une société à gouverner et des partis politiques pour la représenter.

Le fonctionnement interne

Dans un geste en direction de ceux qui ont critiqué l’opacité du processus de succession de Martine Aubry, le fondateur de SOS-Racisme a promis une « modification du mode de désignation » du patron du parti socialiste, pour éviter de donner prise à tout « sentiment d’un verrouillage ou de combinaisons internes ». L’organisation du parti socialiste s’appuie sur les adhérents réunis en unités de base (sections, comités, etc.), lesquelles sont articulées en fédérations départementales, elles-mêmes reliées aux organismes centraux avec une direction nationale.

Bien entendu, son fonctionnement secrète une tendance à l’oligarchie, le « cercle intérieur » des dirigeants professionnels, ceux que l’on appelle avec dérision, les « éléphants ». Nul n’ignore que la raison d’être d’un parti politique est de faire désigner ses membres aux fonctions publiques. Les exigences de l’action électorale ont amené progressivement le développement d’une organisation extérieure aux assemblées d’élus, pour désigner les candidats, mobiliser les électeurs et conduire les campagnes. Le parti ne s’identifie à aucun de ceux qui s’en occupent, ni aux adhérents, ni aux électeurs, ni aux élus. Le parti résulte de leur combinaison en une entité qui les réunit sans les confondre.

Le parti socialiste rénové

Le parti socialiste rénové doit donc devenir un parti de masse[2] – dont l’objet consistera à faire triompher un « projet de société », fidèle à son idéologie et à ses valeurs – qui rejettera le système établi. Sachant que les partis de masse doivent rester un instrument à la disposition des catégories les plus larges d’électeurs, il faudra faire en sorte que les députés ne prennent pas toujours position dans des situations inconfortables, parce qu’ils sont à la fois des représentants, dans la tradition française de souveraineté parlementaire, et des militants soumis à l’action du parti.

Vincent Auriol a exprimé en 1949 les principes selon lequel il fallait survivre au parti socialiste.Il écrivait que : « Autrefois, le parti socialiste faisait confiance et donnait pouvoir à son seul groupe [parlementaire, ndlr], ce qui [était] la sainte doctrine. C’[était] donc en tous cas les députés qui [décidaient], sous leur responsabilité de députés, avant leur vote public. Mais que la Chambre absente, les députés absents, ce [fût] Marceau Pivert, Léon Boutbien et d’autres, qui n’[avaient] aucune responsabilité politique, qui [décidaient] du destin d’un gouvernement en dehors des députés, c’[était] une aberration. Et tout cela [pouvait] être considéré comme la négation de la souveraineté nationale. »

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Un leadership en vue d’une perspective dynamique

Les trois éléments du parti – élus, électeurs, militants – ne peuvent être que coordonnés par l’existence d’un leadership qui permet leur intégration dans une perspective dynamique, la seule qui compte, à savoir le gouvernement à exercer. En effet, la direction politique mobilise l’appareil pour obtenir des électeurs qu’ils désignent une majorité responsable, fût-ce une coalition, et réalisent ainsi leur articulation. Cette direction doit être assez ferme et précise, sinon la solidarité des trois composantes se relâche et il apparaît le risque de domination, soit des élus, soit des militants, oligarchie parlementaire ou oligarchie d’appareil.

En droit et en fait

Jean Charlot appelle parti de notables le parti de cadres, tandis que parti de militants le parti de masse. Si la persistance de tendances au sein des partis de masse les pousse vers le parti de rassemblement, il faudrait toutefois penser à ce que rien n’y limite le recrutement et que l’idéologie n’y soit pas dominante aux dépens d’un idéal commun. Si pour Jean Charlot, « tous les partis, en un sens, sont à la fois des partis de militants, de notables, d’électeurs, l’important est de savoir sur quoi ils mettent eux-mêmes l’accent ».

On est donc confronté à deux discours parallèles : l’un, celui du droit, proclame l’indépendance absolue du député, tandis que l’autre, celui du fait, expose la rigoureuse discipline que les partis imposent à leurs élus. Pour Hans Kelsen, « la démocratie […] ne peut sérieusement exister que si les individus se groupent d’après leurs fins et affinités politiques, c’est-à-dire si, entre l’individu et l’État, viennent s’insérer ces formations collectives, dont chacune représente une certaine orientation commune à ses membres : un parti politique. La démocratie est donc nécessairement et inévitablement un état de parti (parteienstaat). »

Hans Kelsen développe le système dont le droit positif ne faisait qu’esquisser la nouvelle logique. Si l’on attribuait au parti « par une application conséquente de guider l’élection proportionnelle, le choix des députés auxquels ils ont droit, d’après leurs forces numériques, rien ne s’opposerait à ce que l’on reconnut également au parti devenu une pièce essentielle du mécanisme constitutionnel, le droit de révoquer leurs députés. »

On abandonnerait alors l’idée que le corps des députés représentatifs, considéré comme une unité, soit créé directement par le peuple entier. Le système de la proportionnelle pure n’est donc pas praticable. L’élection d’un député doit rester le principe de personnalité et le principe de sa territorialité. En conséquence, « les corps entre lesquels les mandats seront répartis et par la manifestation de volonté desquels ils seront attribués ne seraient pas des habitants d’un territoire arbitrairement délimité, mais les adhérents d’un parti. »

Les organes constitutionnels

Sur le plan constitutionnel, il est certain que les lois d’après-guerre ont légalisé la formation de partis politiques. La Constitution française du 4 octobre 1958 stipule que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. »

Les partis politiques sont alors des organes de la formation de la volonté étatique, pour des raisons constitutionnelles. Il n’y a plus hiatus entre la volonté des citoyens et celle de l’État. La communication permanente est reconnue entre les pouvoirs publics constitutionnels – le « souverain juridique » – et le corps électoral – le « souverain politique ». Dieter Grimm décrit cette nouvelle situation, en précisant que « le fondement de la démocratie est le processus libre et ouvert de la formation de l’opinion et de la volonté du peuple, qui a son point culminant dans l’élection. Les partis politiques rendent  possible ce processus essentiel pour la démocratie. Ils fonctionnent comme intermédiaires entre le peuple et l’État. Il s’en suit qu’ils doivent avoir leurs racines dans la société et ne peuvent pas être incorporés à la sphère de l’État. Si le financement public n’entraîne pas forcément une incorporation du parti à l’État, il pourrait néanmoins le rendre indépendant de la base sociale. »

Le financement des partis politiques

Précisément, en France, la loi du 15 janvier 1990 a adopté un dispositif de financement des partis politiques, qui les reconnaît comme faisant partie de la Constitution. Après avoir conféré au parti la personnalité morale, le droit d’acquérir des biens et d’effectuer tous les actes « conformes à leur mission » (cf. article 7), le législateur a prévu l’inscription dans la loi de finances d’un crédit qui est divisé en deux fractions égales. La première moitié est attribuée aux partis qui ont présenté des candidats dans au moins 75 circonscriptions lors du dernier renouvellement de l’Assemblée nationale, et elle se répartit proportionnellement aux suffrages obtenus au premier tour par les candidats ayant déclaré leur être attachés (cf. le texte de 1990). La seconde fraction est attribuée aux partis proportionnellement au nombre des députés et des sénateurs qui ont déclaré y être inscrits.

Les aménagements nécessaires au fonctionnement du parti socialiste

Il reste cependant à examiner le cas particulier du parti socialiste et les aménagements nécessaires de son fonctionnement. À cet effet, avant toute chose, il faut vaincre le guesdisme qui entrave encore son développement.

Par ailleurs, en admettant que 20 % d’adhérents du parti socialiste n’assistent pas aux réunions ou ne payent pas leurs cotisations, bien qu’on les garde encore sur les listes pour des raisons que personne n’ignore, il y a donc 80 % d’actifs allant du simple adhérent, que l’on ne voit que de temps à autre, au militant consacrant tout son temps libre à l’activité du parti. On estime à plus de 30 000 le nombre d’élus socialistes et à plus de 30 000 le nombre de socialistes dont la situation personnelle est acquise, d’une façon ou d’une autre, grâce au parti. C’est ce que l’on appelle la clientèle.

Il n’y a donc, finalement, qu’environ 55 % des socialistes ordinaires venus spontanément, ce qui est totalement insuffisant pour assurer son implantation véritable sur l’ensemble du territoire français. De plus, le nombre d’électeurs socialistes se compte par milliers (on ne comptabilise pas ceux qui votent socialiste seulement pour sanctionner la droite). Il faudrait à peu près un adhérent pour 10 électeurs. Une véritable implantation nécessiterait donc un minimum de 600 000 adhérents réguliers et assez assidus pour diffuser la parole du parti au sein de la nation au lieu de 150 000, soit quatre fois plus.

L’adhésion, les cotisations et l’engagement

Pour attirer les adhérents, il faut d’abord les intéresser. À cet égard, la première chose à faire consiste à organiser des assemblées générales de section régulières, à dates fixes (au moins une fois par mois) avec exposés et débats d’idées, au lieu de ne parler que de considérations électorales, voire électoralistes, immédiates. Il est donc nécessaire que ces assemblées générales soient préparées et portent sur des sujets politiques précis et d’actualité qui intéressent au premier chef la population. La priorité doit être donnée à la qualité des exposées et à la bonne organisation desdits débats, l’essentiel étant de connaître les réactions des adhérents et de susciter chez les participants l’envie de revenir à la réunion suivante.

Il faut aussi que les cotisations du parti socialistes ne soient pas élevées : 0,25 % du salaire maximum pour les salaires compris entre le SMIC et une fois et demi le SMIC, 0,5 % ensuite. Car il ne faut pas que le problème financier constitue un obstacle au recrutement, le parti socialiste étant financé par l’État. Ainsi dispose-t-il d’un budget conséquent[3].

Enfin, l’adhésion doit être l’aboutissement d’un engagement. Il faut donc faire venir les amis[4] du parti socialiste aux assemblées générales et les faire participer aux débats, au même titre que les adhérents. Cela n’empêche pas, bien au contraire, que ceux qui veulent s’investir dans le militantisme de terrain le fassent, ou que ceux qui veulent aider financièrement le parti socialiste versent une cotisation au-delà de cotisation normale prévue. Il faut d’ailleurs organiser périodiquement des souscriptions sous une forme populaire, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une Association qui devra exister en permanence, avec pour objectif de recueillir des fonds pour les campagnes électorales et de les gérer au nom du parti socialiste. Une organisation sérieuse s’impose, afin d’éviter de faire sous-traiter le travail militant aux entreprises privées.

Les différents courants

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Le parti socialiste est une structure comportant plusieurs courants, ne serait-ce que les deux courants traditionnels que sont le courant réformiste et le courant collectiviste. Mais il en existe d’autres dont l’expression doit être assurée. Car la liberté d’expression est la garantie de la démocratie interne. Un journal périodique de section pourra être publié dans lequel chaque tendance s’exprimerait. Cette remarque est valable également pour la création d’un site Internet. Il ne faut pas, par contre, de tracts ou journaux autonomes de courants. L’unité du parti en dépend. Pour cela, la majorité de la section doit veiller au droit des minorités.

À l’occasion des congrès, chaque courant proposera sous la forme d’une motion, ses orientations et ses choix de programme. Il est absolument nécessaire que ces textes parviennent dans les sections au moins un mois avant l’échéance, délai minimum nécessaire pour que chaque adhérent ait le temps de les lire et de les étudier. Sinon, il ne sert à rien d’écrire des motions détaillées si l’adhérent qui doit les voter n’a pas eu le temps d’en prendre connaissance de façon approfondie.

Pour le vote sur les motions, c’est-à-dire les orientations politiques du Parti, il est souhaitable de faire voter non seulement les adhérents mais aussi les sympathisants figurant sur le fichier de la section. De plus, il s’agit d’orientations politiques de caractère national, concernant tous les socialistes et tous les électeurs. Cependant, les sympathisants ne pourront pas voter pour désigner le secrétaire de section, ou les délégués qui participeront au congrès.

Combattre le dogmatisme guesdiste

Si les règles statutaires actuelles sont globalement satisfaisantes pour assurer un fonctionnement organique convenable, il faut souligner la tendance, toujours sensible, d’établir une discipline de parti imposant aux élus – conseillers municipaux, généraux ou régionaux, parlementaires – le respect absolu des directives du parti conformément à un vieil héritage guesdiste. Or, cette discipline est sclérosante et inutile. En plus, elle est illégale. Chaque élu, en son âme et conscience, parce qu’il est socialiste et a été choisi par ses camardes au moment de la désignation interne et par les électeurs, doit être appelé à pouvoir décider lui-même de ses votes. Il faut donc supprimer cette notion de « discipline de parti » qui rebute les sympathisants et déresponsabilise les élus, engendrant souvent des rébellions qui se traduisent par des démissions fracassantes. En particulier, il est nécessaire de laisser aux élus socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat le droit d’avoir la liberté de vote en toute circonstance – le socialisme n’étant pas un carcan et le dogmatisme guesdiste devant définitivement disparaître.



[1] Environ 173 000 adhérents étaient appelés à ce scrutin et les membres du gouvernement, Jean-Marc Ayrault en tête, ainsi que les ténors du parti, n’avaient pas ménagé leur soutien à Harlem Désir. La motion menée par Harlem Désir, élaborée par Martine Aubry et le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait recueilli, le jeudi 11 octobre, à l’issue des votes en section 68,45 % des voix, suivie par celle conduite par Emmanuel Maurel (13,27 %).

[2] C’est-à-dire en mesure d’éviter la primauté de son organisation et, par conséquent, son contrôle par une oligarchie de professionnels, donc la domination de la société par cette oligarchie.

[3] Malheureusement, cet argent ne redescend pas au niveau des sections alors qu’il le devrait.

[4] Ceux que l’on appelle les sympathisants.

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