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«Développer le palliatif pour réduire les demandes d’euthanasie»

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François Hollande en avait fait une promesse de campagne. L’euthanasie revient dans l’actualité avec la publication, mardi 18 décembre, du rapport demandé par le gouvernement au professeur Sicard. Un rapport mesuré qui ne préconise pas la légalisation de l’euthanasie mais la généralisation des soins palliatifs dans les établissements médicaux et un « suicide assisté » dans certaines conditions « extrêmes ».

Si l’euthanasie n’est pas préconisée en raison de son aspect « radical », la mission Sicard envisage une forme de sédation profonde. Lorsqu’un patient souhaite l’arrêt de son traitement, « il serait cruel de (le) laisser mourir ou de le laisser vivre sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin accélérant la survenue de la mort. »

Pour autant, le rapport Sicard ne préconise pas un retour sur la loi Leonetti et cette assistance ne doit pas, selon les termes du document, être « une solution proposée comme une alternative » mais comme « un recours ultime », utilisé dans des cas extrêmes.

Pour y voir plus clair, JOL Press a demandé à Jean-René Binet, spécialiste de droit médical et de bioéthique, de nous donner son analyse sur le sujet. Entretien.

JOL Press : Qu’avez-vous pensé du rapport Sicard ?
 

Jean-René Binet : C’est un rapport qui apporte beaucoup de bonnes choses au débat sur la fin de vie. C’est un texte de grande qualité qui met notamment en lumière la méconnaissance de la loi Leonetti. Cette loi est en effet, trop peu connue pour déployer toute son efficacité. Les dispositions de 2005 ne sont pas encore entrées dans les pratiques médicales. Il faut donc développer l’information dans le milieu médical ainsi que la culture palliative. Après six mois de travaux sur le terrain, le rapport a donné des conclusions dans le même esprit que ce qui anime la loi Leonetti : développer le palliatif pour réduire les demandes d’euthanasie.

JOL Press : Ce rapport était-il nécessaire ?
 

Jean-René Binet : Oui, parce qu’il fallait se rendre compte du degré de méconnaissance de la loi, de l’insuffisance du développement des soins palliatifs, même si beaucoup avait déjà été fait. Il était important de faire un état des lieux de l’application de la loi Leonetti sur le terrain. Il est aussi important de ne pas fantasmer le nombre de demandes d’euthanasie. Le rapport Sicard est avant tout un travail de raison.

JOL Press : Que faut-il améliorer dans la loi Leonetti ? Ou bien est-elle suffisante ?
 

Jean-René Binet : Dans son esprit, c’est une loi suffisante mais elle est mal appliquée car elle est mal connue. S’il fallait l’améliorer sur un point, ce serait en redonnant plus de force à la volonté exprimée par le patient avant qu’il ne puisse plus parler, notamment grâce aux directives anticipées. Aujourd’hui, le médecin n’est pas lié pas ces directives. La mission Sicard distingue à ce sujet deux catégories de directives anticipées.

La loi Leonetti permet à chacun de rédiger des directives pour préciser les conditions souhaitées pour sa fin de vie, comme le refus de l’obstination déraisonnable, autrefois nommée acharnement thérapeutique, par exemple. Mais cette disposition est peu connue. C’est pourquoi le rapport Sicard préconise des campagnes régulières d’information sur le sujet et la mise en place d’un document spécifique. Il propose surtout la mise en place d’un deuxième document, qui serait rédigé en cas de maladie grave diagnostiquée ou d’intervention chirurgicale risquée par le patient et cosigné par son médecin afin d’anticiper les souhaits du patient en cas de complications. Ces directives très précises auraient alors une force contraignante plus importante pour le médecin.

JOL Press : Que pensez-vous de la sédation terminale (administration d’opiacés entraînant le coma puis la mort) qui est proposée dans le rapport ?
 

Jean-René Binet : Pour atténuer la souffrance d’une personne, un médecin peut déjà lui administrer des antalgiques en quantité telle que cela peut risquer de hâter la mort. Ce n’est pas pour tuer mais pour atténuer la souffrance d’une personne qu’on sait condamnée.

La sédation terminale, c’est un peu la même chose. Si le patient est inconscient, elle ne pourrait être administrée qu’à la condition qu’il l’ait expressément demandé dans ses directives anticipées ou dans le dossier médical. Il faudrait que sa mort soit déjà certaine. Cela revient donc à arrêter le traitement qui permettait de prolonger sa vie et d’endormir profondément le patient dans l’attente de la mort.

C’est une solution un peu différente que ce que propose la loi Leonetti mais ce n’est pas pour autant qu’il faudrait une nouvelle législation. La mission Sicard est par ailleurs farouchement opposée à l’inscription de l’euthanasie dans une nouvelle loi. François Hollande a promis un projet de loi sur la fin de vie en juin 2013 mais c’est un choix qui lui appartient. Ce n’est, pour ma part, pas indispensable.

JOL Press : Que pensez-vous du terme « suicide assisté » ?
 

Jean-René Binet : La mission Sicard dit que la question du « suicide assisté » peut être réfléchie, mais qu’en aucun cas il ne peut être une solution alternative à l’absence de soins palliatifs ou de réel accompagnement. Et je suis assez d’accord. Si le législateur prend la décision de l’inscrire dans la loi, ce qui ne me semble pas souhaitable, il faudra très sérieusement l’encadrer. Le rapport dit qu’il ne faudrait pas que ce soit le médecin qui injecte les médicaments prescrits mais le patient lui-même. Le médecin traitant et le pharmacien du patient devraient pouvoir user de l’objection de conscience.

JOL Press : Quelle serait, selon vous, la réforme prioritaire ?
 

Jean-René Binet : Pour moi, la priorité serait de renforcer les directives anticipées afin que les volontés du malade soient vraiment respectées.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté dont il dirige le centre de recherches juridiques (CRJFC, EA 3225). Spécialiste de droit médical et de bioéthique, il a publié en 2010 un Cours de Droit médical (Lextenso, Montchrestien) et en 2012 La réforme de la loi bioéthique (LexisNexis, coll. « Actualité », préface Jean Leonetti).

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