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Faut-il se réjouir de l’accord sur la supervision bancaire européenne?

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L’accord est intervenu aux premières heures de jeudi 13 décembre, à Bruxelles, entre les ministres des Finances de l’Union européenne après quatorze heures d’âpres échanges. L’Europe est coutumière de ces négociations fleuves jusqu’au bout de la nuit, lorsque, le dos au mur, ses membres se doivent de trouver une issue à une situation de crise. De fait, les ministres des Finances n’avaient pas trop le choix, il leur fallait trouver une solution.

Ainsi ont-ils réussi à s’unir sur le principe d’une supervision bancaire en Europe, une avancée en termes d’intégration des politiques économiques. Pour Pierre Moscovici, le ministre des Finances de la France, cette étape représente « un signal adressé au reste du monde : on peut faire confiance à l’Europe, on peut faire confiance à la zone euro ». De son côté, le ministre des Finances chypriote, Vassos Shiarly, qui assure la présidence semestrielle de l’Union européenne, a déclaré que cet accord était un « cadeau de Noël pour l’ensemble de l’Europe ». Mais alors que le dernier sommet européen de 2012 rassemble jeudi et vendredi tous les membres de l’UE, ce cadeau est-il réel ou ne serait-il pas un peu empoisonné ? Plusieurs questions se posent.

Un accord signé dans une situation de crise

Depuis que la présidence chypriote du groupe avait présenté lundi une ébauche de projet, tout le monde attendait cet accord sur la supervision bancaire, préalable à l’union bancaire que les pays de la zone euro appellent de leurs vœux, surtout depuis que l’agence de notation Moody’s a dégradé la note du Mécanisme européen de stabilité (MES), tout comme celle du Fonds européen de stabilité financière (FESF), et celle de l’ensemble des titres de dette émis à ce jour par le FESF. La nécessité d’une stabilisation de l’édifice de défense des finances européennes était indéniable. Au milieu du gué, l’Europe ne pouvait reculer. Pourtant, l’accord a été obtenu après d’âpres discussions. Signe que, malgré l’urgence, les pays ne partageaient pas les mêmes vues sur les modalités.

La nécessaire supervision bancaire

Sur le fond, à partir du moment où les pays membres sont amenés à prendre en charge les déficits de pays en défaillance, comme la Grèce, ou de leurs banques, comme Bankia en Espagne, il était logique que cette même Europe institue une autorité de contrôle avec des règles systématiques. Le plus étonnant, en réalité, est que la question de la supervision ne soit envisagée que maintenant, alors qu’elle aurait dû l’être dès le début de la mise en place de l’euro. On mesure aussi combien l’interdépendance des institutions financières s’est accrue en quelques années, rendant plus vulnérable toute défaillance de l’un des acteurs. Parce qu’il y avait urgence, et parce qu’il était logique de le faire, le principe d’une supervision bancaire à mettre en place en Europe semblait remporter le soutien général. Pourquoi alors tant de difficultés à sa mise en oeuvre?

La question du champ d’intervention

Le chiffre qui fâche : 6000. C’est le nombre d’établissements bancaires dans la zone euro. Le chiffre du jour : 200. C’est approximativement le nombre de banques qui relèveront de la supervision directe de la Banque centrale européenne. Car le principe qui a été retenu, conformément à ce qui avait été annoncé lundi dernier, est que seules les banques qui possèdent plus de 30 milliards d’euros d’actifs ou qui pèsent plus de 20% du PIB du pays d’origine (sauf si leurs actifs sont inférieurs à 5 milliards d’euros), ou encore qui bénéficient d’un programme d’aide européen relèveront du champ d’application de l’accord. Entre 6000 et 200, il y a un grand écart. C’est l’Allemagne qui a imposé cette zone d’action restrictive, alors que c’est elle qui était à la pointe du principe du « contrôleur-payeur ». Elle l’a fait afin de s’épargner l’obligation d’un renflouement de ses banques régionales, dont la santé financière ne correspond pas aux critères requis. La France, elle, aurait au contraire été favorable à une extension du terrain d’action de la supervision. L’Allemagne a donc gagné, et peut-être entaché cet accord d’un « péché originel » qui le condamne à définir une protection insuffisante. Car, même si les banques exclues du contrôle sont plus petites, il n’empêche que leur addition, ou leurs interrelations, peuvent aussi se montrer toxiques. Voire même composer un maillage de « junk banks » explosif.

La question des chevauchements d’autorités 

Afin d’assurer cette supervision, un « Conseil de supervision » va être créé au sein de la BCE. Il sera composé de représentants des 17 superviseurs nationaux, de quatre membres de la BCE, d’un président et d’un vice-président. Même si des règles de pilotage par comité restreint avec rotation des membres sont prévues pour faciliter son fonctionnement, on voit déjà que ce conseil aura du mal à être efficace.

De plus, la politique monétaire de la zone euro continuera d’être dirigée par le Conseil des gouverneurs. Ce Conseil devra valider toutes les décisions importantes prises par le Conseil de supervision qui touchera des pays non membres. Les États ont prévu de mettre en place un comité indépendant qui statuera en dernière instance en cas d’objection du Conseil des gouverneurs sur une décision du Conseil de supervision. Les choses commencent déjà à se compliquer.

Enfin, quid de l’Autorité bancaire européenne (EBA), au sein de laquelle siègent à Londres l’ensemble des Vingt-Sept ? Elle continuera de disposer de ses pouvoirs de contrôle au niveau européen. Un nouvel étage d’autorité qui risque de se chevaucher avec les précédents.

La question des membres qui seront soumis à supervision

Une Europe à deux niveaux est donc de fait en train de se dessiner : celle qui regroupera les pays adhérents à l’union bancaire et les autres. Ce projet de supervision concerne dans un premier temps les pays de la zone euro, mais pas seulement. D’autres pourront le rejoindre. Le Royaume-Uni, la Suède et la République tchèque ont d’ores et déjà indiqué ne pas vouloir en faire partie. Mais si l’un d’entre eux devenait défaillant, pourrait-il alors être secouru de la même manière, sans subir les contraintes des contrôles ?

Une union économique préalable à une union politique ?

En réalité, la structure qui va se mettre en place est à la fois complexe et hétérogène. Alors faut-il se réjouir de cet accord ? Oui et non. Oui, car sans lui, l’Europe implosait et les marchés aussi. Non, car la difficulté du consensus montre la disparité des situations et la prééminence allemande en matière budgétaire européenne. Même si cette union autour de la régulation forme un premier pas vers l’union bancaire, elle ne se met pas en place en communauté de vues. Elle n’épargne en tout état de cause pas les pays membres de l’Union de faire le ménage chez eux et de réformer leur système bancaire en profondeur, comme la France et le Royaume-Uni s’apprêtent à le faire.

De plus, cette union bancaire reposera inévitablement la question de l’union politique. François Hollande l’avait déjà affirmé cet automne : l’union économique précédera l’union politique. Quand on voit les difficultés à mettre en place la première, on peut imaginer celles qui attendent la mise en place de la seconde. Mais n’est-ce pas ainsi, plaquée au mur des évènements, que l’Europe a toujours avancé ? 

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