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J.-L. Mano: «M. Le Pen renouvelle à M. Valls son brevet de gauche»

[image:1,l]Inviter Marine Le Pen, comme autrefois son père, à la télévision, c’est la garantie d’un joli score d’audience, la faire débattre avec un autre responsable politique, a fortiori de premier plan, c’est assurer le spectacle. Si, jeudi 6 décembre, la présidente du FN viendra affronter le ministre de l’Intérieur, c’est à ce dernier que sera consacrée toute l’émission « Des Paroles et des Actes », sur France 2. 

Manuel Valls, à lui seul, fait débat. Ancien candidat marginalisé à la primaire citoyenne en 2006, il a réussi à se rendre indispensable au candidat puis au président François Hollande : jusqu’à quand ? Jusqu’où ? Avec quelles ambitions ?

Nous avons interrogé Jean-Luc Mano, journaliste politique chevronné, ancien correspondant à l’Elysée, ancien responsable de l’information sur TF1 puis France 2. Entretien.

JOL Press : Ce n’est pas la première fois que Manuel Valls se retrouve face à Marine Le Pen pour débattre. Quel intérêt politique peut y chercher – et y trouver – le ministre de l’Intérieur ?

Jean-Luc Mano : Tout d’abord, par les temps qui courent, compte tenu de l’état dans lequel se trouve l’UMP – en pleine crise existentielle -, le gouvernement manque d’opposition. Débattre avec Marine Le Pen, la placer en position de principale opposante, c’est mettre en exergue la faillite de l’opposition républicaine.

Ensuite, l’affrontement avec Marine Le Pen devrait porter principalement sur les questions de sécurité et d’immigration. Face à la présidente du Front national, Manuel Valls, accusé de porter des positions dites « de droite » sur la question, gauchise son image. Et il a intérêt à cela. S’il débattait de ces mêmes sujets avec certains « Fillonistes » ou des responsables centristes, il risquerait davantage de mettre en évidence une certaine communauté de vue, qui lui nuirait auprès de son propre camp.

Enfin, il prend un risque dont, on l’imagine, il espère tirer profit. Personne – aucun responsable politique – n’a encore clairement battu Marine le Pen dans un débat. On imagine que Manuel Valls se sent capable d’être le premier et compte ainsi remporter un succès d’estime.

JOL Press : Un succès qui rappellerait celui de Nicolas Sarkozy, alors lui aussi ministre de l’Intérieur, face à Jean-Marie Le Pen en 2002, un succès qui le ferait encore davantage décoller dans les sondages…

Jean-Luc Mano : Effectivement, deux responsables politiques sont parvenus à dominer Jean-Marie Le Pen, Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie.

Pour Nicolas Sarkozy, sa prestation réussie face à Jean-Marie Le Pen a marqué sa mise en orbite présidentielle. Bernard Tapie a affronté à deux reprises le fondateur du Front national, un débat houleux en 1989 puis un autre, plus posé, en 1994 – lors duquel Paul Amar avait proposé aux deux hommes des gants de boxe. Entre les deux, Bernard Tapie avait une belle carrière de ministre sous François Mitterrand.

JOL Press : Manuel Valls dispose-t-il de suffisamment d’atouts pour espérer un tel effet ?

Jean-Luc Mano : Depuis un peu plus de six mois, le parcours de Manuel Valls est un sans-faute. Juste un petit dérapage lors d’une séance de questions au gouvernement lorsque, en réponse à Éric Ciotti, il a déclaré « Le terrorisme, c’est vous ! ». Et il s’en est excusé peu après.

La réalité, c’est qu’il tient le discours que la droite républicaine devrait tenir en matière de sécurité et d’immigration. Il gagne des voix à droite et, pour remporter des élections, il faut mordre sur le camp adverse. Cela pourrait lui profiter à l’avenir…

JOL Press : Mordre sur le camp adverse mais conserver le soutien de son propre camp. Or, si Marine Le Pen l’a qualifié d’ « immigrationniste forcené », l’image de Manuel Valls ne s’est-elle pas trop fortement dégradée à gauche ?

Jean-Luc Mano : Lors des réunions du parti socialiste – et notamment à La Rochelle ou au Congrès de Toulouse -, il a été très applaudi, peut-être même le plus applaudi. L’idée selon laquelle il faut faire preuve de fermeté en matière d’immigration et de sécurité est une idée qui progresse fortement parmi les socialistes.

Ce n’est encore l’objet d’un consensus, mais il n’est pas forcément rédhibitoire pour avoir un destin à gauche que de faire l’objet des critiques de la gauche du PS et de la gauche de la gauche et de la gauche associative.

JOL Press : Et les attaques de Marine Le Pen peuvent lui servir, n’est-ce pas ?

Jean-Luc Mano : Oui, absolument, en étant violente et virulente, en tentant de l’affubler des critiques traditionnelles faites à la gauche – qui serait, entre autres choses, laxiste -, elle lui délivre ou renouvelle – si tant est qu’elle en ait l’autorité – son « brevet de gauche » à Manuel Valls.

JOL Press : Critiques traditionnelles… Pourtant, à observer les ministres de l’Intérieur socialistes depuis Gaston Defferre en mai 1981, on ne peut pas dire que le laxisme ait été leur point commun…

Jean-Luc Mano : François Mitterrand, lui-même ancien ministre de l’Intérieur de Pierre Mendès-France, s’y connaissait en matière de sécurité. Gaston Defferre, Pierre Joxe, Philippe Marchand, Paul Quilès n’étaient, en effet, ni des laxistes ni des gauchistes, mais des hommes ayant un profond sens de l’État, plutôt et doté de remarquables politiques.

Lionel Jospin a reconnu lui-même avoir été quelque peu laxiste et angélique en matière de sécurité – surtout lorsque, après la démission de Jean-Pierre Chevènement, il a nommé Daniel Vaillant place Beauvau.

Manuel Valls appartiendrait plutôt à la première catégorie.

JOL Press : À gauche, le ministère de l’Intérieur, est-ce une bonne rampe de lancement pour qui s’imagine un destin national ?

Jean-Luc Mano : C’est sans doute une étape très utile, mais c’est insuffisant. C’est parfait pour faire ses armes, mais je conseillerais à celui-ci d’occuper ensuite un ministère plus social.

Il n’y a que deux hypothèses après un passage réussi à l’Intérieur, s’il se confirme, pour Manuel Valls : soit un ministère comme les affaires sociales ou la santé où il puisse conduire des réformes de proximité et sortir des seules compétences régaliennes, soit Matignon

JOL Press : Manuel Valls à Matignon, vous y croyez ?

Jean-Luc Mano : Avec un Premier ministre – celui qui est en place – faible, par nature, et affaibli, François Hollande pourrait être contraint d’envisager un changement à la tête du gouvernement. Ensuite, le choix du remplaçant relèverait, en vertu des institutions de la Vème République, du seul Président.

Manuel Valls à Matignon, c’est d’abord un risque personnel : François Hollande pourrait hésiter à installer à Matignon un potentiel rival pour la présidentielle.

Mais surtout, c’est une différence de stratégie. Si le choix fait est celui d’une réorientation au centre pour tenter de séduire les centristes, ce qu’il reste du Modem et Bayrou lui-même éventuellement, alors Manuel Valls est sans doute bien placé. Si François Hollande persiste dans sa logique actuelle, celle d’une alliance à gauche, alors il faut plutôt parier sur Martine Aubry ou d’autres. Et puis, il y a aussi l’option de Premier ministre « technique » comme Pierre Moscovici ou Michel Sapin – ce serait un gros risque en termes de popularité.

JOL Press : L’option Valls ne ferait pas que des heureux à gauche…

Jean-Luc Mano : C’est l’Élysée qui décide et on imagine mal le PS lâcher le Président.

JOL Press : Vous imaginez un tel scénario à quelle échéance ?

Jean-Luc Mano : En théorie, d’ici un ou deux ans, avant ou après les municipales et les européennes. Mais, peut-être plus tôt si Jean-Marc Ayrault devait continuer à s’affaiblir.

L’option Manuel Valls, ce serait le coup de barre à droite.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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