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«La sédation profonde du rapport Sicard, alternative à l’euthanasie»

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François Hollande en avait fait une promesse de campagne. L’euthanasie revient dans l’actualité avec la publication, mardi 18 décembre, du rapport demandé par le gouvernement au professeur Sicard. Un rapport mesuré qui ne préconise pas la légalisation de l’euthanasie mais la généralisation des soins palliatifs dans les établissements médicaux et un « suicide assisté » dans certaines conditions « extrêmes ».

Si l’euthanasie n’est pas préconisée en raison de son aspect « radical », la mission Sicard envisage une forme de sédation profonde. Lorsqu’un patient souhaite l’arrêt de son traitement, « il serait cruel de (le) laisser mourir ou de le laisser vivre sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin accélérant la survenue de la mort. »

Pour autant, le rapport Sicard ne préconise pas un retour sur la loi Leonetti et cette assistance ne doit pas, selon les termes du document, être « une solution proposée comme une alternative » mais comme « un recours ultime », utilisé dans des cas extrêmes.

Pour y voir plus clair, JOL Press a demandé à Philippe Bataille, directeur d’études à l’École des hautes études en Sciences sociales et membre du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, de nous donner son analyse sur le sujet. Entretien.

JOL Press : Ce rapport était-il nécessaire ?
 

Philippe Bataille : C’était un rapport nécessaire car la loi Leonetti qui devait régler un certain nombre de problèmes en a posé beaucoup d’autres. Nous arrivons dans des hôpitaux à des situations difficiles avec des demandes de mourir. Le professeur Didier Sicard a donc voulu répondre à ces demandes avec ce qu’on appelle la sédation terminale qui plonge dans un sommeil sans réveil un patient qui est à quelques jours, voire quelques heures, d’une complication qui peut l’emporter.

La loi Leonetti ne réglait pas tout. Certains disent qu’elle est mal connue et mal appliquée, mais le « laisser mourir » de Jean Leonetti est insuffisant. Il fallait trouver une solution qui permette de façon légale la sédation terminale dans certains cas. Les médecins pourraient alors administrer des opiacés entraînant le coma puis la mort des patients. François Hollande a parlé d’une activité législative à venir sur le sujet. Je crois que le processus est en route.

JOL Press : Que retenez-vous comme étant le plus important dans ce rapport ?
 

Philippe Bataille : Ce rapport a osé franchir le pas en mettant en discussion l’idée centrale de la loi Leonetti qui est d’organiser le « laisser mourir ». La mission Sicard a étudié la pertinence technique du procédé par lequel on donne la mort à quelqu’un qui l’attend et qui l’a réclamée. Le rapport touche aussi à la valeur éthique du « laisser mourir » qui serait meilleur qu’un « faire mourir ». Et ces réflexions étaient nécessaires.

JOL Press : Que pensez-vous du terme « suicide assisté » ?

Philippe Bataille : Je ne comprends rien à ce terme. Je ne vois pas d’où il est issu. J’ai vu que la Croix titrait dessus, mais dans le rapport, les choses ne sont pas aussi nettes. L’idée du suicide assisté ne répond pas à beaucoup de cas ou de situations. Le suicide assisté suppose déjà une pleine conscience ne serait-ce que pour ingurgiter, ce qui n’est pas forcément le cas. Il y a davantage des situations où la mort est réclamée par des parents pour un enfant inconscient, par exemple et là, le suicide assisté n’a pas sa place. Pour le suicide assisté n’est ni une voie d’avenir ni un débouché, et surtout il ne suffit pas pour régler les problèmes que nous posent les situations cliniques aujourd’hui. Le suicide assisté n’est pas la question posée ni la solution attendue.

JOL Press : Pourquoi ne pas demander plus simplement la légalisation de l’euthanasie ?
 

Philippe Bataille : Le rapport Sicard intervient dans le prolongement de la proposition 21 du candidat François Hollande qui souhaitait une réflexion sur la fin de vie. Il devait donc à la fois répondre à une intention politique, qui n’était pas tout à fait précise, faire l’état des lieux de la situation depuis la loi Leonetti, et il fallait en même temps proposer une voie nouvelle qui tout en étant originale n’en resterait pas moins très fortement polémique. Je ne crois pas qu’il était question d’autoriser ouvertement l’euthanasie. C’est au président de la République, à sa lecture du rapport, de déclencher ou pas une activité législative. Le Parlement a aussi sa capacité d’initiative.

Ce qui est intéressant dans le travail de la mission Sicard c’est qu’elle a mis en lumière les résistances de la médecine et du personnel soignant à entendre une demande d’aide active à mourir, ou demande à être plongé dans une sédation terminale, une sédation profonde durant laquelle on n’essaie pas de réveiller le patient et, par les injections qui lui sont administrées, la bascule opère.

JOL Press : Quelles différences entre la sédation terminale et l’euthanasie ?
 

Philippe Bataille : Tout est une question d’intention et de geste. Ce sont des notions assez fines… Administrer une solution létale à un patient conserve une dimension violente pour les soignants mais aussi pour la famille. La loi Leonetti souhaitait ôter toute intention de donner la mort en légalisant la technique du « laisser mourir » en suspendant l’alimentation et l’hydratation. En réalité, cela ne retirait pas l’intention mais il masquait l’intention de « faire mourir ». Si on lève ce masque, en disant que ce masque créé des situations insupportables, inacceptables, ça ne veut pas dire pour autant qu’on s’arrête sur un geste unique d’injection létale dont on vient de dire qu’elle avait une dimension très violente.

Ce qu’il y a de très intéressant dans le rapport Sicard, c’est de penser que la sédation terminale est d’emblée engagée sans soucis d’avoir à réveiller celui qu’on endort. L’intention doit être assumée. Les techniques, les moyens, voire le temps peuvent varier… La sédation profonde ouvre beaucoup de perspectives pour ceux qui réclament la mort. 

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Bataille est directeur d’études à l’École des hautes études en Sciences sociales et directeur du CADIS /centre d’analyse et d’intervention sociologiques (EHESS/CNRS). Il est responsable de la formation doctorale et de master de sociologie de l’EHESS. Il est membre du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Il est l’auteur de À la vie, à la mort : Euthanasie, le grand malentendu (Editions Autrement).

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