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O. Hassid: «Les tueries de masse, dérives du culte de la performance»

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JOL Press : Comment réagissez-vous face à cette terrible tuerie de Newtown, qui fait suite à d’autres terriblement célèbres : Aurora, Columbine… ?

Olivier Hassid : Il faut prendre du recul quant à l’évènement. Bien sûr, il n’y a pas de mots pour décrire notre émotion. Mais il ne faut pas non plus rester aveuglés par l’émotion. D’abord, le phénomène de ces tueries de masse n’est hélas pas nouveau. En 1927, par exemple, il y avait eu celle qui avait fait 44 morts à l’école élémentaire de Kehone. Ensuite, ce que l’on constate, c’est une accélération du phénomène. Rien qu’en 2012, il y aura eu 12 tueries de masse dans le monde. 

JOL Press : Comment expliquez-vous cette augmentation ? Pensez-vous par exemple au statut de la possession individuelle des armes aux États-Unis ?

Olivier Hassid : Il est vrai que la législation des armes est particulièrement permissive aux États-Unis, surtout dans certains États américains. Mais ce n’est pas une raison suffisante. D’ailleurs le Connecticut, où s’est située la tuerie de Newtown, n’est pas un État de type « Far West ». Nous avons étudié toutes les statistiques dans notre livre, et le lien entre législation des armes et tueries de masse n’est pas pertinent. Toutefois, il est évident, et c’est du bon sens de le penser, que la question du contrôle des armes en vente libre doit être posée : comment un jeune homme de 20 ans pouvait avoir en sa possession des pistolets et des fusils d’une telle puissance ? Selon nous, plus encore que la détention individuelle des armes, c’est la puissance de feu des armes en circulation qui est en cause, et qui devrait être plus strictement règlementée. 

JOL Press : Comment une telle règlementation peut-elle se mettre en place ?

Olivier Hassid : Le vrai problème est qu’il ne suffit pas d’imaginer une nouvelle loi pour mieux encadrer la vente d’armes et la nature de ces armes. Comment faire pour celles qui sont déjà en circulation ? Une nouvelle loi qui ne gèrerait pas aussi le parc actuel ne servirait pas à grand-chose. L’Australie a pris à ce sujet une initiative intéressante : après la tuerie de Port Arthur, elle a institué une sorte de «  prime au retour ». C’est-à-dire qu’une prime a été donnée aux personnes pour chaque arme rendue. Cette mesure a permis un rééquilibrage des détentions privées.

JOL Press : Les médias américains ont également  évoqué l’autisme du tueur de Newtown. Y a-t-il eu une défaillance du système de santé ? Faudrait-il mieux soigner les personnes fragiles ?

Olivier Hassid : C’est une question délicate. La plupart du temps, ces tueurs de masse ne sont pas à proprement parler des personnes diagnostiquées comme particulièrement malades psychiquement. Si on doit établir des mesures d’enfermement pour tous les autistes et les enfants fragiles, nous allons vers des dérives très dangereuses. Ceci étant dit, et c’est encore du bon sens, une société qui traite mieux et de manière plus régulière avec un dépistage précoce ceux qui souffrent de troubles psychiatriques leur donne plus de chance d’équilibre et de protection. Mais en l’occurrence ce n’est pas très efficace pour déceler les germes des tueurs en série qui n’entrent pas en général dans cette catégorie.

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JOL Press : Quel est alors le portrait type du tueur de masse ?

Olivier Hassid : Le profil de ces tueurs est rarement celui de fous, et il n’y a en général jamais eu de signes avant-coureurs dans leur comportement. Alors que souvent la communication essaie de les faire passer pour insensés : c’est beaucoup plus rassurant pour le public de penser que ces actes sont commis par des personnes « hors de la raison ». En réalité, le moteur est en général l’humiliation, la vengeance. L’école ou l’entreprise sont des lieux très  « confrontationnels », où les personnes qui ne sont pas les « dominants » seront moquées, marginalisées. Que ce soit aux États-Unis en Chine, ou en Allemagne où ces tueries sont intervenues, la question d’un système qui exalte la « performance » des élèves, qui établit une compétition féroce très tôt d’ordre individuelle et non pas collective, favorisent l’émergence de ces actions extrêmes. À Colombine, par exemple, les tueurs étaient brimés, car ils n’étaient pas bons en sport. Ils se sont attaqués en premier lieu à ceux qui étaient les « héros » des équipes sportives, ceux qui étaient les « populaires » de l’école. La même problématique se retrouvera au sein de l’entreprise : une personne qui va ressentir comme une terrible humiliation un licenciement va vouloir se venger en tuant tous ceux qui lui semblent « complices » de sa mise « à l’écart ».

JOL Press : Vous considérez alors que ces tueurs sont des personnes « ordinaires » ?

Olivier Hassid : Je n’irai pas jusque là ! Mais psychiatriquement fous, non. Il apparaît que les jeunes tueurs ont été eux-mêmes souvent victimes de violences, soit au sein de leur famille, soit dans leur environnement. Le cocktail parents défaillants-situation de confrontation sociale en état d’infériorité, sans possibilité d’aide pour se défendre, crée un fond de grande frustration. Cette frustration rentrée face à un ensemble d’humiliations subies va donner lieu soit au suicide (violence qui se retourne vers soi), soit à la tuerie collective, qui est une sorte de vengeance symbolique, une manière de rejeter la faute de la violence subie sur les autres. Le fruit de nos recherches a  montré que ces tueries sont donc avant tout un symptôme sociétal, non une fatalité. Pourtant, chaque fois, la réaction est la même : beaucoup d’émotion bien sûr, puis après une sorte de classification de la tragédie en fait du « diable » et une qualification du tueur comme  « fou ». En invitant la fatalité et en évoquant la folie, on évite simplement d’interroger le politique. Alors qu’il s’agit avant tout d‘un malaise social, dont la réponse doit être politique.

JOL Press : Quelles mesures doivent alors être prises au niveau politique ?

Olivier Hassid : Tout d’abord, il faut que les écoles et les entreprises arrêtent de mettre en place un système de compétitivité individuelle. À l’école, ce sont les notations prématurées, les coteries et les hiérarchies qui désolidarisent les groupes, qui sont toxiques, alors que l’école devrait favoriser la valeur collective. Dans le cadre des entreprises, il faut arrêter le système basé uniquement sur le rendement, avec mise en place en toile de fond, d’un conflit permanent et déshumanisé entre le salarié et sa hiérarchie.
Ensuite, et c’est surtout vrai pour l’école, il est important que cette institution s’ouvre plus sur le monde. Tout ce qui vit en vase clos est très dangereux. Il serait souhaitable d’impliquer davantage les parents dans l’école et d’impliquer l’école dans son rôle de prévention des risques : comment explique-t-on la si faible implication des écoles dans la détection des abus et des violences chez les jeunes ? Des campagnes  « anti-bullying », c’est à dire anti-harcèlement, ont commencé à se mettre en place, mais il y a un énorme travail à faire en ce sens. L’école comme l’entreprise sont des lieux de vie sociale, pas seulement de travail.  Enfin, il existe une pression de plus en plus grande pour faire rentrer les enfants, puis ensuite les adultes dans « un modèle idéal ». C’est une vision abstraite, qui exclut tous ceux qui ne s’y identifient pas. De l’exclusion naît un dysfonctionnement qui peut générer le désir de violence.  

[image:3,s] En savoir plus sur Olivier Hassid

Docteur en sciences économiques, Olivier Hassid enseigne la sécurité en entreprise et la gestion des risques à l’université Paris-X-Nanterre, ainsi qu’à l’ESC Reims.

Il dirige la revue Sécurité & Stratégie. Il est également l’auteur de Tueurs de Masse, coécrit avec Julien Marcel ( Eyrolles) et de La sécurité en entreprise, coécrit avec Alexandre Masraff (Maxima).

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