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P. Poupelle: «Oui à la supervision bancaire, non à l’excès de règles»

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JOL Press : Que pensez-vous de l’accord sur la supervision bancaire adopté par les ministres des Finances de l’Union européenne ?

Pascal Poupelle Je pense que c’est une bonne première étape vers l’union bancaire en Europe, même si c’était en vérité la plus facile. D’autant que ces pouvoirs de supervision ont été confiés à la Banque centrale européenne, qui était la plus légitime selon moi pour assumer cette responsabilité, davantage que n’aurait pu l’être la European Banking Agency en tout cas, institution plus récente et moins structurée.

JOL Press : Êtes-vous satisfait du champ d’application de cette future supervision ?

Pascal Poupelle Pour ce qui est des critères de contrôle (NDLR : principalement les banques qui possèdent plus de 30 milliards d’euros d’actifs ou qui pèsent plus de 20% du PIB du pays d’origine), je crois qu’ils sont réalistes, car la BCE n’aurait de toutes façons pas eu, depuis Frankfort, la capacité de contrôler les 6000 banques de la zone euro ! Il faudra en tout état de cause s’appuyer sur des principes de subsidiarité : la BCE  délèguera  pas mal de choses aux superviseurs nationaux, qui eux-mêmes renforceront leurs contrôles directs. Cela ne me choque pas que certains pays, comme l’Allemagne, aient souhaité garder leur réseau de banques régionales à l’écart de cette supervision européenne ; à vrai dire, elles ne présentent guère de risque systémique. D’autant que leurs actionnariats publics en font des acteurs bien particuliers. L’accord prévoit de plus que le superviseur européen puisse se saisir de tout dossier dont il jugerait qu’il pose problème : cela paraît de nature à éviter les feux qui couvent.

JOL Press : Qu’en est-il du périmètre géographique ?

Pascal Poupelle Pour ce qui est du périmètre géographique de l’accord, on en est à 24 pays, si j’ai bien compté, ce qui est en soi un fort plébiscite de la légitimité de la BCE, au-delà des contours de la zone euro stricto sensu.
Concrètement, les rapports quotidiens entre les banques et le superviseur continueront très certainement d’être essentiellement locaux, même si des transferts de compétences devront être effectués pour renforcer les capacités de la BCE.
Accessoirement, à l’heure où la réduction des dépenses publiques doit inspirer chaque initiative, le fait de mutualiser une compétence en la centralisant devrait aussi être globalement source d’économie (il faut en tout cas s’y obliger).

JOL Press : Vous qui connaissez bien la Grande-Bretagne, comment pensez-vous qu’elle se situe par rapport à cette nouvelle Europe financière qui est en train de se mettre en place, alors qu’elle a refusé clairement de se joindre à l’accord sur la supervision ?

Pascal Poupelle Si la question est de savoir si Londres est moins européenne aujourd’hui que lors de son adhésion à l’Union, la réponse est malheureusement claire… Mais en matière bancaire, il faut reconnaître que le Royaume-Uni a subi les effets de la crise financière beaucoup plus violemment que nous. Au total, ce sont près de 60 milliards de livres que les contribuables britanniques ont dû injecter dans leurs banques… et ils y sont toujours. En même temps, la City reste un enjeu économique et de souveraineté très important pour le Royaume-Uni. La réforme Vickers en préparation vise à concilier l’inconciliable : rassurer les citoyens britanniques sur le fait qu’ils n’auront plus jamais à recapitaliser leurs banques pour sauver leurs dépôts, et en même temps permettre la poursuite de ce que les tabloïds appellent le « Casino Banking » à la City. Sur un certain nombre de points, on sent aussi que Londres reste plus proche des États-Unis que de l’Europe continentale, comme par exemple sur le point essentiel des mécanismes de résolution.

JOL Press : La France se prépare elle aussi à une grande réforme bancaire. Pensez-vous que cette réforme, moins rigide que les projets Vickers et Volcker, prenne une bonne direction ?

Pascal Poupelle : Le fait que ce projet respecte le modèle de la banque universelle est tout d’abord une bonne nouvelle. Pour une banque, la diversification des activités a clairement pour effet une diversification des risques, ce qui constitue un amortisseur efficace des effets de cycle ou des effets systémiques. La crise de 2007/2008 a permis de tremper cette hypothèse à l’épreuve du feu. Il serait dommage de remettre en cause ce qui a permis à nos institutions bancaires de faire la démonstration de leur robustesse. Globalement, le projet de loi tel qu’on croit le connaître aujourd’hui me paraît intelligent, sous réserve qu’on arrive à bien définir dans ses modalités d’application ce qu’on appelle « activités spéculatives » et que le résultat n’affaiblisse pas la capacité de nos banques à intervenir efficacement sur les émissions obligataires de leurs clients (y compris de l’État français, bien sûr). Reste à voir comment ce projet « coucherait » avec les recommandations Liikanen, beaucoup moins subtiles quant à elles, si ces dernières venaient à être adoptées par l’Europe… Restons également prudents tant que le débat parlementaire n’est pas clos, car on sait le dogmatisme qui peut prévaloir sur tout ce qui touche aux banques.

JOL Press : Qu’en est-il selon vous des renforcements des pouvoirs de contrôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) ?

Pascal Poupelle J’y suis pour ma part plutôt favorable. Je suis un tenant du bon équilibre entre règles prudentielles et supervision. Si la supervision est faible, on a tendance à bâtir des règles pour transformer les banques en blockhaus, pour les rendre incassables en quelque sorte : c’est la mauvaise approche, car elle affecte l’efficacité des « bonnes » banques au service de l’économie et n’empêche pas les dérives des mauvais élèves. C’est malheureusement la très mauvaise route empruntée par certains aspects de Bâle III jusqu’à présent. Avec une meilleure supervision, les établissements bien gérés restent efficaces et les écarts peuvent être rapidement détectés et prévenus. C’est la bonne voie.

Je crois aussi que bon nombre des dérives qui ont culminé avec la crise de 2007 ont été le résultat de formidables faiblesses de gouvernance. Il me paraît essentiel que le superviseur exerce rigoureusement ses prérogatives en la matière et soit d’une exigence redoublée sur la validation des dirigeants responsables des banques françaises. Pour ma part, j’ai toujours été surpris que les membres des conseils d’administration des banques ne soient pas eux-mêmes validés par les autorités de supervision, voire préalablement auditionnés pour les plus importants d’entre eux, comme le président du conseil ou celui du comité des risques. Je n’ai pas vu cela dans le projet de loi, mais c’est peut-être une amélioration que le Parlement souhaitera apporter.

JOL Press : Quelle est la position américaine sur ce point ?

Pascal PoupelleLes États-Unis viennent de confirmer qu’ils n’appliqueraient pas Bâle III (ce qui montre une certaine constance puisqu’ils n’avaient déjà pas appliqué Bâle II). Ils ont, il est vrai, fort à faire pour mettre en place la Loi Dodd Frank qui se révèle d’une très grande complexité, avec en particulier la règle Volcker qui vise à bannir le trading pour compte propre. Le nouveau dispositif prudentiel est encore en fait en chantier. Leur système de supervision et de régulation reste par ailleurs très morcelé et hétérogène en qualité. Ils avancent en revanche assez vite sur les mécanismes de résolution, dont ils ont une grande expérience, puisque plus de 600 banques ont fait faillite aux États-Unis depuis la chute de Lehman. Il est important de garder présent à l’esprit, qu’aux États-Unis, c’est le marché qui joue un rôle essentiel sur le financement de l’économie, alors que ce sont les banques en Europe. Une nouvelle donne règlementaire qui briderait davantage notre système bancaire que le système américain serait bien contre-intuitif…

JOL Press : Que diriez-vous à un jeune qui voudrait se lancer dans la banque aujourd’hui ?

Pascal Poupelle : J’ai été banquier pendant vingt-cinq ans. C’est un très beau métier, exigeant et stimulant intellectuellement. La banque des entreprises, en particulier, est au cœur des mécanismes de création de valeur de nos sociétés et joue un rôle irremplaçable. Les dérives nombreuses et pitoyables des dernières années ne doivent pas faire oublier que la très grandes majorité des banquiers ont fait leur métier avec rigueur et engagement et parfois même avec passion. Il ne reste plus qu’à réhabiliter cette industrie, ce qui prendra incontestablement du temps. Un de mes patrons me rappelait que les banques vivent du crédit qu’elles accordent, mais qu’elles vivent aussi du crédit qu’on leur prête. Il y a fort à faire en la matière dans les années qui viennent…

[image:2,s]Pascal Poupelle, est le Président non-exécutif de The Royal Bank of Scotland  pour la France.
Ancien élève de l’École Polytechnique et ingénieur de l’aviation civile, il a exercé d’importantes responsabilités auparavant, notamment au 
Crédit Lyonnais, au Crédit Agricole et chez Dexia.

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