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Personnalité de l’année 2012: Angela Merkel, Chancelière du «faire»

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Le tournant remonterait au 14 novembre 2011 et à un congrès annuel de son parti, l’Union chrétienne démocrate (CDU), à Leipzig, dans l’ex-RDA, là même où elle a poursuivi ses études dans les années 1970.

Devant un millier de délégués venus de toute l’Allemagne, Angela Merkel prévient d’emblée que l’Europe connaît « l’une des heures les plus difficiles depuis la Seconde Guerre mondiale et peut-être même la plus difficile ».

« Nous faisons tous partie d’une politique intérieure européenne », poursuit-elle, et si l’Allemagne est prête à « aider » les pays en difficulté, notamment la Grèce, elle attend d’eux qu’ils « fassent leurs devoirs » en assainissant leurs finances publiques.

« L’heure est venue pour une percée vers une nouvelle Europe », lance-t-elle.

Angela Merkel n’aime pas les paroles en l’air. Femme de tête, femme de conviction, femme d’éthique en politique, elle dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit. Comme promis, au cours des douze derniers mois, elle a bataillé ferme sur tous les fronts et, plus que jamais, elle apparaît comme la patronne. De la CDU, de l’Allemagne et de l’Europe. Une chancelière de fer – ou du « faire » – qui a de bonnes chances de le rester au-delà des élections générales du 22 septembre 2013.

Popularité et respect

Rien de très étonnant à ce que la dirigeante de la première puissance économique du continent se soit imposée en leader de l’Union européenne.

De tous les grands pays européens, l’Allemagne est le seul pays à ne pas avoir connu l’alternance depuis les débuts de la crise européenne : Gordon Brown, José Luis Zapatero, Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy ont tous été remerciés – plus ou moins gracieusement -, Angela Merkel demeure en place – et pas seulement en raison d’un calendrier électoral favorable.

La chancelière a fait bien mieux que de s’accrocher au pouvoir, elle jouit, sept ans après son accession au pouvoir, d’une popularité inédite qui force l’admiration : le score « cubain » dont l’ont gratifiée les membres de son parti en la réélisant avec 97,94% des voix, début décembre, pourrait s’expliquer par un talent indéniable pour éliminer ses rivaux, sa cote de popularité de près de 70% auprès des Allemands atteste de l’adhésion qu’elle suscite.

Peu importe que son opposant social-démocrate, Peer Steinbrück, l’accuse de surfer sur les effets de réformes structurelles engagées par son prédécesseur Gerhard Schröeder au début de la décennie ; cela ne lui réussit à en croire les sondages. En réalité, Angela Merkel ne se contente pas de gérer la crise européenne et la prospérité germanique, elle développe désormais une vision pour l’Europe.

Sur tous les fronts de la crise européenne

Fin 2011 et dans les premiers mois de 2012, Angela Merkel a poussé – avec Nicolas Sarkozy – au renforcement du pacte de stabilité et de croissance. Dans la deuxième moitié de 2012 – malgré les promesses électorales de son nouveau partenaire français François Hollande -, elle a obtenu gain de cause pour renforcer la discipline budgétaire en zone euro et muscler les mécanismes de contrôle.

De Bruxelles à Strasbourg, à Paris, à Londres, à Athènes, Rome ou Madrid, la chancelière allemande n’a cessé de parcourir la zone euro pour approfondir toujours davantage ses liens avec ses homologues étrangers, pour apporter son soutien aux États en difficulté dont elle reconnait les efforts pour se redresser, mais aussi imposer ses vues, l’application stricte des mécanismes qu’elle perçoit comme autant de leviers pour exporter la culture allemande de la stabilité.    

Une gestion de « mère de famille » pour l’Allemagne et l’Europe

« Culture allemande de la stabilité » mais aussi de fortes convictions et un parcours personnel unique, voilà les fondements de la politique d’Angela Merkel.

Au cours des derniers mois, une image a souvent été reprise. En Une des journaux et magazines, Angela Merkel est qualifiée de « mère de famille » pour l’Allemagne et, désormais, pour l’Europe…. Si, dans l’absolu, l’image est flatteuse, il n’est pas certain qu’elle soit toujours employée, en l’occurrence, avec une complète bienveillance.  Ce choix est doublement curieux : d’une part, l’association pourrait sembler osée pour une femme qui n’a elle-même pas eu d’enfants, voire déplacé s’il s’agit aussi – à mots couverts – de moquer un physique et un look souvent décrié pour son manque de féminité ; d’autre part, ses « principes éducatifs » sont loin d’être ceux de toutes les mères de famille, fussent-elles allemandes, à notre époque.

Angela Merkel est le pur produit de l’Histoire et de son histoire. Chancelière d’Allemagne, elle est mieux placée que quiconque pour rappeler où la crise que traverse l’Europe pourrait la conduire, les effets ravageurs qu’elle pourrait avoir sur nos économies et la démocratie. Ancienne citoyenne de la République démocratique allemande, elle a vécu les privations matérielles, physiques et psychologiques de la vie socialiste. Fille de pasteur luthérien et scientifique de formation, elle a fait sienne des valeurs de rigueur et un pragmatisme à tout épreuve.    

Réformer l’Europe mais, d’abord, remporter un troisième mandat

Angela Merkel ne souffre pas d’un tropisme est-allemand, qui pourrait la pousser à se concentrer sur la Mitteleuropa, l’Europe centrale et orientale. Elle est aussi l’héritière politique directe d’Helmut Kohl, le chancelier de l’unification mais aussi le chancelier de l’amitié franco-allemande et de l’euro. Et si elle doit satisfaire un certain nombre de critères et de règles, la solidarité avec l’Europe dite du Sud est essentielle. Elle sait qu’une Europe « rabougrie », « rétrécie » ne saurait servir les intérêts primordiaux de l’Allemagne. Elle l’a démontré tout au long de 2012.

Son avance dans les sondages pourrait lui faciliter la tâche qu’elle s’est fixée, une réélection pour un troisième mandat. Ses alliés libéraux du FDP au bord de l’extinction, elle devra se trouver un autre allié. Si une « grande coalition » avec les sociaux-démocrates sera toujours arithmétiquement possible, elle sait que ceux-ci pourraient lui réserver le même sort qu’elle avait fait subir à Gerhard Schröeder et poser comme condition à leur collaboration son départ de la chancellerie. Elle rêverait d’une alliance inédite avec les Verts – des écologistes dans les rangs desquels elle retrouverait tant de camarades de la dissidence est-allemande de la fin des années 1980…

Pour se consacrer à cette campagne, elle devra peut-être placer au second plan sa véritable ambition, réformer l’Europe, faire évoluer les traités dans le sens d’une plus grande fédéralisation – de l’économique notamment – mais aussi changer les mentalités – « Je m’inquiète de voir que beaucoup de gens en Europe pensent simplement que l’Europe et les États-Unis sont les seules références pour le monde, que l’Europe est traditionnellement forte et que le monde nous attend », a-t-elle déclaré dans un entretien au Financial Times jeudi 13 décembre.

À observer Angela Merkel, on songe à Margaret Thatcher. Par certains côtés, elles se ressemblent… par leur détermination, leur force de caractère et un très grand nombre de valeurs – rigueur et austérité, goût de l’ordre. Mais, là où la Britannique, la « Dame de fer » avait pour seule obsession de récupérer son argent et larguer les amarres direction l’Amérique, la chancelière du « faire » a fait de l’Europe son horizon. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, une chose est sûre : Angela Merkel a une ambition pour l’Europe, une ambition forte qui, menée à bien, pourrait accélérer d’un coup la nécessaire marche à l’union du continent européen. 

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