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Philippe Braud: «L’UMP souffre d’un déficit de culture démocratique»

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Alors qu’un partie de l’UMP ne reconnaît pas la victoire de Jean-François Copé, François Fillon a décidé la création d’un nouveau groupe parlementaire, le Rassemblement UMP. Il a par ailleurs proposer de revoter d’ici trois mois pour élire le président de l’UMP. 

« Dans l’attente d’une nouvelle élection, j’ai décidé, avec les députés qui me suivent, de constituer un groupe parlementaire qui aura pour nom le Rassemblement UMP (R-UMP) », a annoncé mercredi 28 novembre l’ancien Premier ministre lors d’une conférence de presse au Musée social à Paris, ajoutant que, si une nouvelle élection interne à l’UMP avait lieu dans des « conditions optimales », le groupe rejoindrait immédiatement l’UMP. Le groupe de 68 députés fillonistes a été constitué mardi 27 novembre au soir. Claude Bartolone, le président PS de l’Assemblée nationale, a affirmé qu’il se préparait à prendre les mesures nécessaires pour accueillir le nouveau groupe parlementaire.

Selon le baromètre TNS Sofres- Sopra Group pour Le Figaro Magazine, Jean-François Copé et François Fillon sortent tous les deux abîmés de la folle séquence qu’ils viennent de faire subir à leur parti. S’ils perdent chacun 6 points de popularité chez les Français, les sympathisants de l’UMP sont plus sévères envers le maire de Meaux (- 17) qu’à l’encontre du député de Paris (- 10). 

Afin de bien comprendre les tenants et aboutissants de cette crise, Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique, répond aux question de JOL Press.

Le divorce est-il consommé entre Jean-François Copé et François Fillon ?

Philippe BraudCe n’est pas encore totalement sûr. En politique, rien n’est jamais définitif, même entre frères ennemis, lorsqu’il apparaît qu’un compromis est plus avantageux pour l’un et l’autre des protagonistes qu’une lutte à mort.

Sur quoi repose fondamentalement cet affrontement d’une rare violence ?

Philippe Braud : Ce qui est exceptionnel ici, ce n’est pas le niveau de violence, mais le fait que cette violence s’étale dans les médias. Si les rivalités au sein d’un même parti sont habituellement mieux masquées, cela ne veut pas dire qu’elles ne soient pas également intenses. Quant à la cause profonde de cet étalage d’affrontements, il faut la rechercher dans le fort déficit de culture démocratique qui caractérise la plupart des partis politiques français.

À partir du moment où l’on choisit le leader au suffrage universel au lieu de s’en remettre à d’obscures manœuvres de couloir, la compétition ne peut rester pacifique que si les règles du jeu sont honnêtement respectées par tous (égal accès des candidats aux ressources du parti, contrôle des votes, respect des chiffres…) et garanties par des instances indépendantes. Comme ce n’est pas le cas (ni au PS ni à l’UMP), une victoire au fil du rasoir suscite nécessairement de vigoureuses contestations. Il en est d’ailleurs de même lors des élections nationales dans les pays qui ont des habitudes de truquage des résultats ou de violation grossière de l’égalité des candidats.

Pourrait-on assister à une rébellion des militants, pilotée par les non-alignés ?

Philippe Braud : J’en doute, car les militants sont eux-mêmes partagés. Beaucoup soutiennent fermement soit Jean-François Copé soit François Fillon. En outre, plus que les militants, ce sont les poids lourds du parti qui exercent une véritable influence sur la base. Ils pourraient chercher à imposer une troisième personnalité mais cela risque surtout d’ajouter à la confusion. L’expérience ancienne du Grand Schisme nous montre, qu’en empruntant cette voie, les cardinaux de l’Église romaine se sont retrouvés avec trois papes au lieu de deux. Cela pourrait être aussi le sort de l’initiative des « cardinaux » de l’UMP.

Peut-on imaginer un nouveau vote sans l’accord de Jean-François Copé ?

Philippe Braud : Oui, c’est l’un des scénarios possibles, mais non le plus probable. Cela supposerait sans doute un recours judiciaire pour le faire céder s’il était prêt à résister jusqu’au bout à la « pression de ses amis ».

Quelles sont les motivations qui conduisent Nicolas Sarkozy à s’impliquer personnellement et directement dans cette crise ?

Philippe Braud : Si, ce qui est probable, il songe à se ménager la possibilité de revenir un jour dans la course présidentielle, il a intérêt à préserver ce précieux outil qu’est un grand parti en ordre de marche. Il a aussi intérêt à apparaître comme un arbitre, ce qui le place en position de supériorité par rapport à ses deux rivaux. Mais cet atout perd de son efficacité et même se retourne contre lui s’il échoue dans sa tentative de sortie de crise.

A-t-il enfreint les principes du droit de réserve auquel est soumis tout membre du Conseil constitutionnel ?

Philippe Braud : Non, pas réellement, du moins jusqu’ici. Comme l’a fait remarquer le président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré, pour l’instant, il ne s’agit que de « propos rapportés » par d’autres, et pas d’une intervention ouverte et publique dans la vie politique et partisane.

À qui profite cette crise ?

Philippe Braud : Il est beaucoup trop tôt pour le dire, même si, au FN comme à l’UDI, on affiche une satisfaction bruyante. En fait, tout dépend de l’issue de la crise. Une scission de François Fillon avec 70 députés serait très embarrassante pour Jean-Louis Borloo et ses maigres troupes. Et l’axe des soutiens de Copé serait déplacé vers la droite, ce qui ne ferait pas l’affaire du FN. Quant à une solution de compromis, elle ferait vite retomber la poussière de la bataille actuelle car l’opinion publique est vite oublieuse des affrontements de ce type.  L’UMP garderait sa place hégémonique à droite.

Quel est l’avenir de l’UMP ?

Philippe Braud : Il faudrait être une voyante confirmée pour répondre à cette question. Ce qui est sûr, c’est qu’une recomposition à droite va s’opérer. Il s’agit moins des thèmes ou des problèmes qui resteront substantiellement ce qu’ils sont, mais de la constitution de nouveaux réseaux et de nouvelles allégeances dans la perspective de l’élection présidentielle. Au sein d’un ou plusieurs partis d’ailleurs. Il ne faut pas oublier que l’UMP est de création récente. Le retour à la pluralité de partis à droite n’aurait rien de bien exceptionnel.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

​> Lire l’analyse de Christian Delporte sur le sujet

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